Le déclin du français avait été prédit il y a 35 ans

... par le démographe Jacques Henripin

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Sortir de la torpeur


Depuis un peu plus d’un an, on ne compte plus les textes qui ont été écrits sur le déclin du français. Les auditions publiques sur la réforme de la loi 101, qui ont pris fin le 7 octobre dernier, ont fait entendre les inquiétudes de plusieurs intervenants de renom.


Si on peut certainement se réjouir de cette soudaine prise de conscience collective, on peut aussi s’étonner de son caractère tardif. Les tendances démographiques qui expliquent la situation actuelle étaient après tout prévisibles depuis des décennies.


Des pionniers au Québec


Il y a 35 ans, les travaux de démographie de Jacques Henripin permettaient déjà d’entrevoir ce fameux déclin que l’on déplore depuis un an. Qui est Jacques Henripin ? C’est le père de la démographie québécoise ainsi que le fondateur du Département de démographie de l’Université de Montréal. En 1986 et en 1987, Jacques Henripin et Louis Pelletier ont publié des travaux dans lesquels ils avançaient que si la tendance se maintenait, les Québécois de 2081 n’auraient que de 25 à 35 % d’ancêtres parmi les Québécois qui vivaient en 1981. Cela signifie que les immigrants arrivés au Québec entre 1981 et 2081 seraient la source de jusqu’à 75 % de la population vivant en 2081. L’article de 1986 se terminait par ces propos : « Bref, s’il faut s’efforcer de rester ouvert à l’enrichissement apporté par les immigrants, d’où qu’ils viennent, le recours immodéré à cette source d’accroissement démographique pourrait entraîner des situations propres à faire regretter la mise au rancart un peu trop allègre de nos berceaux. Sans compter que la grande majorité des Québécois de la fin du siècle prochain risquent d’avoir des grands-parents qui seront nés partout dans le monde sauf au Québec. »


À l’époque, Henripin avait envisagé deux scénarios : le premier dans lequel l’immigration permettait de stabiliser la population québécoise et le second dans lequel l’immigration permettait d’augmenter la population québécoise de 1 % par an. Les 40 dernières années n’ont pas fait mentir Henripin : la fécondité des Québécoises a oscillé autour de 1,6 enfant par femme comme il l’avait anticipé, et la population québécoise a augmenté en moyenne de 0,7 % par année, ce qui nous rapproche du second scénario étudié. Mes propres travaux donnent également raison à Henripin sur la tendance observée.


Un déclin inévitable


Est-ce que Jacques Henripin avait pour autant prédit le déclin du français ? Pas directement. Celui qui lit entre les lignes comprend cependant que si l’assimilation linguistique des immigrants vers le français est inférieure au poids démographique des francophones, le français ne peut que décliner. Ainsi, quand on comprend que l’ascendance française décline rapidement dans la population en raison de l’immigration et que l’assimilation vers le français est inférieure au poids du français, le recul devient inévitable.


Henripin déclarait ceci en conclusion de son article de 1987 : « Nous restons persuadés que les conséquences de la stratégie dont nous avons tenté de quantifier les résultats sont difficilement acceptables pour une société qui souhaite assurer le maintien de ses principaux traits culturels ». En ce qui concerne la langue, le constat s’applique forcément.


Charles Gaudreault, Ingénieur M.Sc.A, Chercheur indépendant, Québec




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