Dernièrement, Michel Paillé, un démographe retraité de l’Office québécois de la langue française, critiquait mes travaux dans un texte intitulé « Les baby-boomers du Québec ne sont pas “pure laine” à 95 % », paru dans ces pages.
Sur le fond, Michel Paillé cherche à invalider ma thèse voulant que l’ascendance française au Québec devienne minoritaire avant la fin du milieu du XXIe siècle en s’attaquant à ma méthodologie. La critique de Paillé comporte de graves lacunes puisque celle-ci repose sur une lecture superficielle de mon article publié en 2020 et une interprétation gravement erronée de ma méthodologie. Je prendrai donc quelques lignes pour répliquer à cette critique en répondant sur le fond, c’est-à-dire en démontrant que l’ascendance française déclinera considérablement au cours des prochaines décennies.
Tout d’abord, le lecteur doit savoir que mes travaux de démographie démontrent que l’ascendance française, qui était de 79 % dans la population québécoise en 1971, selon le recensement, chute à 64,5 % en 2014, et continuera de décliner pour atteindre 45 % en 2050. Mes travaux ont aussi établi que les seuils migratoires sont si élevés que même une hausse de la fécondité de 1,6 à 2,6 enfants par femme ne permettrait pas d’empêcher le déclin. Ce dernier point, à lui seul, brise le mythe selon lequel le déclin de l’ascendance française serait principalement la faute des couples québécois, dont la fécondité est sous le seuil de renouvellement. Pour que ce mythe soit vrai, il faudrait que nos seuils migratoires soient considérablement inférieurs.
La meilleure façon de savoir si les résultats d’une étude sont plausibles est souvent de faire l’analyse d’études similaires et indépendantes, quand de telles études existent. Heureusement, en septembre 2022, les démographes de Statistique Canada ont publié des projections pour la plage 2016 à 2041 en ce qui concerne la démographie ethnoculturelle du Canada et de ses provinces. En tenant compte du recensement de 2011, on peut étendre la comparaison sur 30 ans. En 2011, selon le recensement, les immigrants de 1re et 2e générations formaient 21,6 % de la population québécoise.
Selon les projections de Statistique Canada, ces mêmes immigrants formeront 38,0 % de la population québécoise en 2041 ; c’est donc une croissance de 16,4 points de pourcentage qui est observée. Selon mes travaux, l’ascendance française passera de 66,2 % en 2011 à 50,8 % en 2041, soit une baisse de 15,4 points. La concordance est donc assez bonne compte tenu des méthodologies très différentes.
Une autre étude d’intérêt, plus ancienne, est celle du fondateur de la démographie québécoise, Jacques Henripin. Celui-ci a montré en 1987 que les Québécois dont les ancêtres sont tous arrivés au Canada avant 1981 ne formeront plus qu’entre 25 % et 35 % de la population en 2081. Dans ses projections, Henripin montre que la descendance des Québécois de 1981 dans la population québécoise déclinera de 22 % entre 2011 et 2041. Comparativement aux projections d’Henripin, le déclin obtenu par mes projections est conservateur.
Sous un angle purement démographique, mes estimations de population pour 2014 et 2041 sont en phase avec les valeurs historiques et les projections de Statistique Canada. En 2014, le Québec comptait 8 214 000 habitants (8 208 000 pour mes projections), et il en comptera entre 8,8 et 10,3 millions, selon Statistique Canada (9,2 millions pour mes projections), en 2041.
Ainsi, le déclin de l’ascendance française tel que présenté dans mes travaux est réel. Et je pense que ce phénomène devrait faire partie de notre processus de réflexion collective dans ce grand débat historique qu’est celui du français.
Je crois qu’au fond, par réflexe antiraciste, plusieurs intellectuels comme Michel Paillé refusent de réfléchir à l’incidence de l’ethnicité sur le déclin de la langue. Lorsque l’ascendance française ne sera plus que l’héritage d’une minorité de Québécois, la langue risque de devenir un instrument de communication sans charge émotive, culturelle et identitaire. Et si la langue ne devient qu’un moyen d’expression, on peut alors parier que les Québécois se tourneront vers celui qui est le plus pratique en Amérique du Nord : l’anglais.
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