Les premières fois que je suis venu en reportage en Europe, nous étions encore dans les belles années du multiculturalisme. La presse internationale ne ratait jamais une occasion de vanter tout particulièrement celui des Pays-Bas. Les journalistes décrivaient en long et en large ces écoles modèles d'Amsterdam composées à 90 % d'immigrants, où des enseignantes voilées enseignaient l'arabe aux enfants. Cela n'empêcherait-il pas ces petites filles de devenir néerlandaises, demandaient les rares sceptiques? Bien sûr que non puisque tout ce beau monde allait bientôt se fondre dans le beau grand chaudron de la mondialisation, nous répondait-on.
En Grande-Bretagne, on entendait la même chanson alors que fleurissait sans qu'on le sache encore le Londondistan au coeur de la capitale anglaise. Le nouveau parti travailliste dirigé par un certain Tony Blair n'hésitait pas à flatter les minorités en brandissant l'étendard de l'identité plurielle, cette culture métissée portée disait-on par une jeunesse urbaine, tolérante et cosmopolite. Même la France, qui est pourtant un des rares pays européens à n'avoir jamais flirté officiellement avec le multiculturalisme, y allait de son petit couplet black-blanc-beur.
C'était avant l'attentat du 11 septembre 2001 commis par de jeunes musulmans qui avaient grandi et étudié en Europe. C'était avant l'assassinat du cinéaste Theo Van Gogh, le 2 novembre 2004, par un jeune islamiste, Mohamed Bouyeri, qui avait grandi à Slotervaart, en banlieue d'Amsterdam. C'était avant les attentats de 2005 à Londres perpétrés par de jeunes musulmans britanniques. C'était avant les émeutes des banlieues en France dont les acteurs avaient la citoyenneté française depuis deux générations. C'était avant les référendums sur la Constitution européenne à l'occasion desquels Français et Néerlandais dirent non à une Europe fédérale qui semblait reléguer leur identité aux calendes grecques. Un choc dont l'Europe ne s'est d'ailleurs toujours pas remise.
Il en a coulé de l'eau sous les ponts depuis cette époque où chacun brandissait naïvement le mot multiculturalisme un peu comme on aurait exhibé un certificat de bonne vertu. Car c'est un peu ce dont il s'agissait au fond pour une Europe qui, à cause de la guerre, traînait toujours un fort sentiment de culpabilité à l'égard des nationalismes.
Mais les bons sentiments ne font pas une politique. Voilà ce qu'a reconnu le premier ministre britannique David Cameron la semaine dernière en affirmant que le multiculturalisme avait été un échec. Qui peut encore s'offusquer de ce constat alors que Cameron est l'un des derniers dirigeants européens à se rendre à l'évidence? Ce jugement est d'autant plus à prendre au sérieux que le chef conservateur se veut le représentant d'une droite modérée qui, contrairement à Nicolas Sarkozy par exemple, n'a jamais fait de démagogie à propos de l'immigration. Son constat a d'ailleurs été repris par plusieurs travaillistes, comme l'ancien ministre David Blunkett. La démocrate-chrétienne Angela Merkel n'est pas non plus du genre à faire de la démagogie sur ces questions. Le 17 octobre dernier à Potsdam, elle a affirmé elle aussi que le rêve d'une société multiculturelle avait «complètement échoué».
Il faut relire le discours très nuancé prononcé par le premier ministre britannique la semaine dernière à Munich. Cameron ne s'y fait pas le défenseur d'un nationalisme outrancier. Bien au contraire. Il dresse le bilan d'une idée qui paraissait belle mais qui a échoué. Il prend garde de se démarquer de la «droite dure» qui oppose irrémédiablement l'Occident à l'Islam. Mais aussi de la «gauche molle», très présente au Québec, pour qui les problèmes d'intégration ne seraient dus qu'à la «peur de l'autre».
Récemment, dans un débat organisé par le quotidien Libération, le philosophe français [Paul Thibaud->35035] répondait au sociologue [Michel Wieviorka->35036]. Thibaud en appelait à sortir d'un débat moraliste qui ne nous apprend rien sur la réalité.
«Selon le politiquement correct, écrivait-il, il n'y a jamais de problèmes objectifs mais des mentalités déplorables "qui créent des problèmes", la peur de l'étranger, l'attachement à son groupe quand il est majoritaire. Ces mentalités, on cherche à les corriger en proscrivant les vocables maudits comme celui d'identité nationale. Le politiquement correct est une stratégie de redressement des mentalités par la culpabilisation. L'opinion majoritaire y réagit en se rétractant, alors que chez les nouveaux venus elle encourage des comportements de fermeture.»
Et le philosophe de conclure que le multiculturalisme «est le nom d'un problème et non d'une solution. Il y a toujours eu de l'hétérogénéité sociale et culturelle, mais cela n'empêche pas qu'il y ait nécessité et urgence de développer du commun, faute de quoi le multiculturalisme produit une libanisation et non l'enrichissement mutuel promis».
La semaine dernière, David Cameron a planté le dernier clou dans le cercueil du multiculturalisme européen. Ce faisant, il n'a fait que reconnaître une évidence: la diversité est l'état naturel des sociétés. Le rôle des politiques n'est pas de la cultiver encore plus, mais de créer un lien. Ce lien se nomme l'identité nationale.
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