Le feu vert aux ports méthaniers affaiblira le Québec

Rabaska



La Presse Canadienne -
Le feu vert donné par Québec à deux projets de ports méthaniers va affaiblir plutôt que renforcer la sécurité énergétique du Canada et du Québec en cas de crise énergétique par un double effet domino, révèle un avis juridique signé en janvier 2007 par le professeur de droit international Charles-Emmanuel Côté, de l'Université Laval.


Même si cet avis juridique remet fondamentalement en question la justification énergétique de ces deux projets, à savoir qu'ils devraient accroître la sécurité énergétique du Québec, la commission du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) n'y a pas une seule fois fait référence dans son rapport sur le projet Rabaska. Les commissaires ont accepté sans sourciller les arguments du promoteur de Rabaska sans débattre des arguments contraires soumis par le professeur Côté.
L'avis juridique produit par M. Côté a été annexé au mémoire présenté à titre personnel par Lise Thibault, une citoyenne de Lévis opposée au projet Rabaska, lors des audiences publiques de l'an dernier. Me Côté a précisé jeudi avoir produit cet avis sans exiger d'honoraires, à titre de contribution professionnelle à la collectivité. Toutefois, a-t-il précisé, lui-même ne milite pas contre le projet Rabaska et n'en a pas suivi les hauts et les bas.
«La faute» à l’ALENA
Tout comme dans son avis juridique de janvier 2007, le professeur Côté a précisé que la présence d'un ou deux ports méthaniers allait «affaiblir l'approvisionnement du Québec en cas de crise énergétique d'une double façon en raison des dispositions de l'ALENA».
Ce traité, a-t-il expliqué, prévoit à l'article 605 de son chapitre 6 qu'en cas de crise énergétique, les États-Unis peuvent exiger le maintien de la proportion moyenne de la production gazière canadienne qui leur a été réservée au cours des trois dernières années. Cela signifie que si le Canada devait compter sur moins de gaz naturel en raison d'une crise internationale, il pourrait certes «réduire en chiffres absolus ses livraisons aux États-Unis», mais à la condition de ne pas réduire la proportion de la production canadienne dont bénéficiaient nos voisins américains avant la crise.
Si le Québec réduit ses achats actuels de gaz naturel en provenance de l'Ouest canadien parce qu'il en importe de pays étrangers, a expliqué M. Côté, ce gaz sera fort probablement vendu aux États-Unis, où la demande est particulièrement forte. Cela haussera davantage le pourcentage actuel de la production canadienne qui sera assuré aux États-Unis en vertu de l'ALENA, a-t-il dit.
Gaz garanti
Mais les deux projets québécois vont eux aussi accroître le niveau des exportations canadiennes aux États-Unis, ce que les deux promoteurs ont ouvertement reconnu en audiences. Ces livraisons vont alors contribuer elles aussi à hausser d'un autre cran le pourcentage de gaz canadien garanti aux Américains.
En cas de crise énergétique, si les livraisons provenant de l'étranger sont réduites ou interrompues, a expliqué M. Côté, les États-Unis pourront exiger du Canada qu'il maintienne le pourcentage éventuellement plus élevé qu'auront atteint les exportations canadiennes. La conséquence est inéluctable: plus le pourcentage garanti aux Américains sera élevé, moins il y aura — en proportion — de gaz naturel disponible pour les provinces canadiennes déjà desservies par l'Ouest, lesquelles devront alors se serrer la ceinture pour approvisionner le Québec, privé de ses sources étrangères.
Le BAPE avait requis sur cette question un avis juridique qui concluait que l'ALENA n'oblige pas les «fournisseurs» ou les producteurs canadiens à approvisionner leurs clients américains en cas de crise énergétique, car le traité de libre-échange canado-américain n'engage que les États signataires. Cette façon d'aborder le problème «me semble passer à côté du coeur de la question», écrivait M. Côté dans l'avis juridique dont le BAPE n'a pas tenu compte.
«L'ALENA, écrivait le professeur Côté, fait en sorte de créer une solidarité entre le Canada et les États-Unis en cas de crise énergétique en garantissant aux États-Unis le maintien de leur accès à une certaine proportion du GNL (gaz naturel liquide) disponible au Canada.»
Le Québec fragilisé
À l'heure actuelle, le Québec est alimenté presque exclusivement en gaz naturel par les puits de l'Ouest canadien, contrairement à ce qui se produit avec le pétrole de l'Ouest, qu'aucun pipeline n'achemine vers le Québec.
Il n'est pas déraisonnable de penser qu'une crise énergétique qui frapperait le pétrole provoquerait aussi une demande accrue — et même un choc considérable — sur le marché du gaz naturel, ce qui rendrait le Québec encore plus fragile parce que ses deux sources de combustibles fossiles dépendraient alors de pays étrangers.
Cette double fragilité, qui a totalement échappé aux commissaires du BAPE même si elle mine la justification énergétique des projets méthaniers, mérite, selon le professeur Côté, «que le public et ses représentants puissent à tout le moins poser ces questions au gouvernement fédéral et au gouvernement québécois afin d'obtenir des réponses rigoureuses».
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