Des milliers de personnes dans les rues de Montréal pour protester contre la privatisation du Mont-Orford et le gouvernement Charest se proclame encore le défenseur de la nature et des parcs. Mais il n'a pas décidé d'ouvrir le jeu sur la construction des petites centrales hydroélectriques, ça, c'était une manchette alarmiste.
Et il n'a pas non plus l'intention de précariser davantage les locataires les plus mal pris, ça, c'est encore du jaunisme. Il veut plutôt améliorer l'efficacité de la Régie des loyers.
Il a du mal à se faire comprendre, ce gouvernement. Mais il n'augmentera pas, comme il le voulait, la rémunération des députés et « Ce n'est pas une volte-face » de dire sans rire l'ineffable MacMillan. (Le devoir, 27 avril). Le gouvernement Charest n'en finit plus de s'expliquer. Il vacille et gesticule comme un boxeur sonné. Et pourtant, ce n'est pas l'Opposition qui lui porte les coups les plus durs. Il est tout simplement victime des circonstances qu'il crée et de la logique du projet qu'il porte, celle de la dislocation de l'État.
Ce gouvernement se décompose sous l'action délétère de sa propre idéologie. Les libéraux sécrètent la morosité comme un poison toxique. Le parti-pris pour le laisser-faire s'est retourné contre eux pour se transmuter en véritable consentement à l'impuissance. La gestion de la province de Québec n'est plus qu'un accommodement aux circonstances, une tentative forcenée pour s'ajuster aux contraintes et trouver une rhétorique compensatoire qui permettrait de se convaincre qu'il y a plus de grandeur à endurer qu'à combattre.
L'économie du Québec s'en va à vau-l'eau. Les statistiques s'accumulent pour mieux boucher l'horizon. Les prévisions du Mouvement Desjardins sont accablantes, des années sombres s'annoncent : les investissements chutent, notre position relative se détériore, sur la plupart des indicateurs les plus stratégiques l'écart se creusent entre le Québec et le Canada. Gérard Bérubé (Le Devoir 27 avril) parle de la morosité québécoise en se désolant des tendances qu'il observe pour mieux rappeler qu'il n'en a pas toujours été ainsi et que le Québec a, pendant quelques années (1997-2003), commencé de prendre un élan qui s'est arrêté pour cause de freinage idéologique : «... il y avait un catalyseur, l'État se positionnant en partenaire de l'investissement privé pour recruter les investisseurs et attirer les projets industriels structurants». Mais cela c'était avant que la province ne renonce à ses aspirations nationales. Maintenant qu'elle n'est plus qu'une coque de noix ballottée par les vagues du marché, c'est autre chose.
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Une autre chose particulièrement affligeante. Au point que le milieu des affaires n'en finit plus de se plaindre de ce qu'il ne se passe plus rien. Curieuse, cette contradiction. Le marché ne suffirait-il donc pas ? L'initiative privée ne serait-elle donc pas la réponse adéquate, un substitut efficace pour nous débarrasser des lourdeurs de l'État bureaucrate ? Et le gouvernement du Canada ne servirait pas bien la province, lui qui s'y connaît pourtant bien en matière d'intérêt national et de grandes visions ?
Il y a quelque chose de pathétique à entendre les lamentations sur l'absence de grands projets. En vérité, c'est peut-être moins de grands projets que de succédanés puisant aux fonds publics dont on s'ennuie. Même Lucien Bouchard, qui s'y connaît pourtant très bien en matière de lamentations, ne se peut plus. Il en a assez de voir qu'il n'est même plus possible de s'agiter pour faire semblant. Une colère pour un projet de casino avorté, des humeurs parce qu'on ne parvient même plus à se faire accroire qu'une marina peut relancer la métropole de la province. Décidément, quelque chose ne tourne plus rond. Il n'est pas facile de voir Montréal dégénérer en gros Moncton.
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Un gouvernement qui s'effondre, une économie qui s'enlise, cela n'est pas affaire de vicissitudes politiciennes ni même de conjoncture. Une nation en déliquescence, ployant sous une domination qui la rend incapable de faire sa cohésion sur des finalités qu'elle puisse définir et contrôler, une nation empêchée et qui ne parvient pas à faire l'unité sur le projet de s'émanciper, une telle nation ne peut aspirer à la prospérité. Le gouvernement de Jean Charest est en train de réaliser sa mission historique. On ne régresse pas dans l'harmonie, et le statut de minoritaire nié ne sera jamais un bon deal. On chauffe la maison en brûlant les meubles, les amis du régime se paient la curée et pour le reste, c'est sauve qui peut, chacun pour soi.
Ceux-là qui s'inquiètent tant des risques de ce qu'ils appellent l'aventure séparatiste, devraient s'alarmer davantage des coûts réels de notre incapacité collective, de cette impuissance induite par notre statut provincial. Ils sont nombreux à déplorer l'inconfort que leur procure la morosité ambiante mais ils se refusent à tirer la seule conclusion qui s'impose : par définition, consentir au statut de minoritaire, c'est renoncer à l'initiative pour se consoler de l'accommodement. S'il ne se décide plus rien au Québec, c'est qu'il n'y a plus rien à décider dans la province. Si aucun grand projet ne parvient à mobiliser, c'est tout simplement qu'il n'est plus possible d'avoir la cohérence et la cohésion que seuls peuvent procurer un État et l'aspiration nationale.
Tant que le gouvernement du Québec restait dirigé par des partis désireux de composer avec un statut dénoncé au nom des aspirations nationales déniées, il était toujours possible de construire l'espace public sur un intérêt collectif susceptible de cimenter des alliances et de nourrir la mobilisation. La gestion provinciale totalement assumée comme horizon minoritaire fait sauter toutes les contradictions. La politique du renoncement sécrète la morosité pour mieux disloquer l'État et dissoudre les articulations institutionnelles. La pénurie des moyens n'est pas la pire des contraintes, c'est la décision de vivre avec les moyens que le Canada nous laisse qui fait le plus de ravages.
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Et cela se passe d'abord dans la représentation de nous-mêmes. Se voir et se percevoir comme empêchés collectivement n'a pas le même effet sur les mentalités que de se représenter impuissants et dépendants d'Ottawa. Ce qui se donne pour un climat social déprimé, n'est en réalité qu'un dynamisme national réprimé. Et pour nier cela, tout un pan de l'élite est prêt à pratiquer la terre brûlée, à préférer consacrer ses énergies à tuer le projet national plutôt que de remettre en cause un ordre posé comme immuable.
Le Québec qui ne veut pas rompre, nous l'avons dans toute sa splendeur. Il est fasciné par l'éventualité de sa propre dissolution et grisé du vertige que lui procurent les poisons qu'on lui administre à grand renfort de campagnes de propagande qui accompagnent les coups de boutoirs que lui assène l'État canadian. Un État qui le dépouille de ses ressources et de sa liberté non plus seulement d'agir, mais de se représenter lui-même. Et surtout un État qui est bien relayé, au Québec même, par des cohortes d'idéologues trop heureux de valser dans le vertige de la dépossession.
C'est le projet de dénationalisation de l'enseignement de l'histoire qu'a rendu public Le Devoir qui illustre le mieux le vertige dont l'inconditionnel du Canada peut être est saisi lorsqu'il s'abandonne aux pulsions d'autodestruction. Ce délire n'est pas une exagération, c'est un aboutissement, le récit qui tente de donner sens et cohérence à un Québec sans destin propre.
La résorption des aspirations nationales dans les attitudes minoritaires passe inévitablement par l'amputation de notre nom. Pas étonnant que le document se gausse de nous désigner comme un agrégat innommable, sinon que par une formule neutre, totalement désincarnée. Le Québec n'est pas le Québec, notre peuple n'a pas de nom, il se désigne au neutre pour mieux se conjuguer au pluriel, c'est-à-dire pour s'effacer devant le nom des autres. Ainsi donc nous formerons la jeunesse en lui apprenant les limbes de « la société au sein de laquelle l'apprenant évolue » (Le Devoir 27 avril). Une société dans laquelle on fera apprendre encore plus précocement l'anglais au primaire pour être bien sûr que les enfants sachent ce que le neutre fera d'eux.
Apothéose du multiculturalisme canadian, version intériorisée de la négation de soi, le cours projeté formera des citoyens de nulle part qui ne seront jamais aussi à l'aise que dans l'amnésie requise pour que fonctionne bien le Canada des libertés. Ainsi la province de Québec accomplira-t-elle son destin. Un peuple sans nom aura choisi de s'effacer plutôt que de combattre, poussé par une élite qui aura trouvé grandeur à lui proposer de se dissoudre plutôt que de rompre. Mais, là encore, le gouvernement ne se fait pas bien comprendre : le ministre Fournier a démenti sans conviction (Le Devoir, 28 avril) minimisant la portée du document pour mieux banaliser la protestation et l'indignation qui l'alimentent.
Ce n'est pas tant le révisionnisme qui inspire ce projet que le fantasme d'une existence délestée d'elle-même. Une existence où le Québec ne trouverait de nécessité vitale que dans la neutralisation de ce qu'il a été pour mieux se faire le destin de n'exister que pour désamorcer toutes les confrontations que pourrait lui valoir le simple fait de se poser dans le monde. Le neutre sera donc notre prophétie, notre mission providentielle, celle d'accomplir l'essence de ce que le Canada s'efforce d'être et de déployer pour mieux nous nier. Le messianisme de la désincarnation vient de montrer dans ce projet son vrai visage. C'est celui de la minorisation au sourire hébété de satisfaction de se savoir dans la quintessence du Canada. Approuvée, enfin. Ivre de s'espérer enviée de son audace à se délivrer de ce qui la déforme dans les miroirs qu'on lui tend dans tous les lieux où se décrète le statut auquel devrait s'ajuster notre conscience collective.
Ce messianisme exerce une fascination réelle, c'est la figure culturelle de la légitimation de la régression minoritaire. C'est le consentement à l'oblitération de soi dans une représentation de la culture énucléée. Ce projet est une véritable chimère, le fruit du travail d'idéologues qui cherchent à faire tenir ce qu'ils dénaturent dans une forme qu'ils voudraient nous faire prendre pour la fine pointe, sinon l'essence même de la civilisation. Ce délire ne trompera personne, sauf ceux-là qui ont besoin d'habiller leur reniement. Cela s'est déjà vu. Cela n'a pas duré et cela ne durera pas. Ce peuple résiste depuis toujours aux verdicts de tous ceux qui l'ont décrété périmé, sans pertinence dans l'histoire et sans avenir. Il sait se nommer et se construire, jusque dans le mal qui le ronge.
C'est là tout le paradoxe de la situation actuelle : il y a ici une force qui n'a pas encore trouvé à se canaliser, ce qui nous laisse, pour le moment, dans un marécage où peuvent se vautrer tous les démissionnaires de la bourgade. Mais le jour n'est pas loin où la colère, enfin, dira son nom. Celui du courage.
Le messianisme de la désincarnation
Chronique de Robert Laplante
Robert Laplante173 articles
Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.
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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.
Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]
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