Le modèle québécois

Ce qui apparaît plutôt comme une nouvelle manoeuvre pour éviter d'aller au fond des choses permet au contraire de relancer le débat de plus belle.

Commission Charbonneau



Jusqu'à présent, le gouvernement Charest s'était largement inspiré de l'étranger dans sa lutte contre la corruption. Ainsi, l'UPAC était une adaptation locale de l'escouade qui existe à New York depuis longtemps.
Ce que le premier ministre a présenté hier est cependant une recette purement québécoise: une commission d'enquête publique qui travaillera pour l'essentiel à huis clos et qui ne pourra forcer personne à témoigner, contrairement à ce que prévoit la Loi sur les commissions d'enquête. Et s'ils acceptent de le faire, ils ne jouiront d'aucune immunité. Le message est clair: il vaudra mieux se la fermer.
Le premier ministre a fait valoir que, pour rédiger son rapport, Jacques Duchesneau a rencontré plus de 500 personnes qui ont témoigné sur une base volontaire. Précisément, M. Duchesneau a lui-même admis qu'à défaut d'un pouvoir de contraindre, il n'avait pas pu aller plus loin. Quelle que puisse être la compétence de la juge France Charbonneau, à quoi bon lui donner un mandat tous azimuts si on lui refuse les moyens de le remplir?
Si le gouvernement a demandé au juge en chef de la Cour supérieure de désigner un volontaire, c'est vraisemblablement qu'on ne se bousculait pas aux portes. Imaginez ce qu'on aurait dit de Michel Bastarache s'il avait eu le malheur d'accepter des contraintes semblables.
Le magazine Macleans, qui avait qualifié le Québec de province la plus corrompue de la fédération canadienne, pourra maintenant donner une suite à son article de l'an dernier en se penchant sur le «modèle québécois» en matière de commissions d'enquête, qui consiste à les soustraire aux lois qui les régissent. Il ne reste plus qu'à voir comment on traduira l'expression «patente à gosses».
***
Pour mesurer l'incongruité de cette trouvaille, il suffit d'imaginer la commission Gomery sans les témoignages des Jean Brault, Jean Lafleur, Paul Coffin, Gilles-André Gosselin, Benoît Corbeil et autres Chuck Guîté, qui ne se seraient certainement pas précipités pour expliquer leur rôle dans le scandale des commandites s'ils avaient eu le choix.
Malgré les craintes du gouvernement Charest, qui soutient qu'une enquête publique pourrait permettre aux criminels d'éviter la prison, tout ce beau monde a fini par se retrouver derrière les barreaux. Pourquoi en irait-il différemment cette fois-ci?
D'ailleurs, si les inquiétudes du gouvernement étaient justifiées, pourquoi l'Association des procureurs de la Couronne et celle des policiers du Québec, qui n'ont certainement aucun intérêt à faire avorter des enquêtes en cours, auraient-elles réclamé une enquête publique?
Il est vrai que des gens qui n'ont rien à se reprocher risquent d'être éclaboussés du seul fait qu'ils témoigneraient devant une commission et que d'autres peuvent avoir de bonnes raisons de craindre pour leur sécurité, peu importe la protection qu'on pourrait leur assurer, mais vaut-il mieux laisser «l'empire malfaisant» que Jacques Duchesneau évoquait dans son rapport continuer à étendre ses tentacules?
Comment arrivera-t-on à démonter les mécanismes de la collusion si les dirigeants des grandes firmes de génie-conseil et d'entreprises de construction ne sont pas forcés d'expliquer en détail leur mode de fonctionnement? Sans parler des liens avec le financement des partis politiques et les élus municipaux.
***
Le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes, Yvon Vallières, a versé dans l'euphémisme en disant qu'«un grand travail pédagogique» sera nécessaire pour convaincre la population qu'il ne n'agit pas d'une nouvelle astuce pour éviter des révélations compromettantes.
Ceux que M. Vallières a appelés monsieur et madame Tout-le-monde pourraient en effet avoir du mal à comprendre. Quand il est nécessaire d'organiser un breefing technique pour expliquer à la presse ce dont il s'agit, c'est que c'est loin d'être évident.
Le dernier sondage Léger Marketing-Le Devoir indiquait qu'un Québécois sur quatre aurait une meilleure opinion du premier ministre s'il déclenchait une enquête publique, mais ce n'est vraisemblablement pas ce qu'ils avaient en tête. Inévitablement, on va conclure qu'il a quelque chose à cacher.
Même les militants libéraux, qui se réuniront en congrès à Québec en fin de semaine, risquent d'être sceptiques devant une telle insulte à l'intelligence. Ils ont beau avoir le sens de la discipline de parti, il y a des limites à faire rire de soi.
Le premier ministre avait raison de dire que Pauline Marois aurait trouvé à redire peu importe ce qu'il aurait annoncé, mais elle aurait dû passer rapidement à autre chose si la proposition du gouvernement avait semblé le moindrement crédible.
La création d'une commission d'enquête en bonne et due forme, qui aurait pris un certain temps à se mettre en branle, lui aurait assuré un certain répit d'ici les prochaines élections. Ce qui apparaît plutôt comme une nouvelle manoeuvre pour éviter d'aller au fond des choses permet au contraire de relancer le débat de plus belle.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->