Le nouveau Harper

Élections 2006

La perspective que le Parti conservateur puisse former le prochain gouvernement est maintenant bien réelle, certaines maisons de sondages prédisant même qu'il pourrait s'agir d'un gouvernement majoritaire. Cela étant, les rôles sont désormais inversés entre Paul Martin et Stephen Harper, à qui il appartiendra de préciser davantage d'ici la fin de la campagne électorale les changements qu'il envisage pour le pays.
Cette inversion des rôles entre les chefs libéral et conservateur était manifeste lors du débat des chefs de mardi soir. Paul Martin, métamorphosé en chef de l'opposition, était forcé d'attaquer le premier ministre virtuel qu'est devenu Stephen Harper depuis quelques jours, lui qui devait aussi se garder des assauts du Bloc québécois et du NPD.
Ce retournement de situation est d'abord attribuable à la mauvaise campagne que Paul Martin a menée jusqu'ici. Son incapacité à incarner un véritable renouveau a conduit les électeurs à regarder avec plus d'attention du côté conservateur, où ils ont découvert un Stephen Harper qui n'était pas ce diable que les libéraux leur avaient décrit lors des élections de juin 2004. Depuis, le chef conservateur a adouci son image et, surtout, fait évoluer le discours de son parti vers le centre-droit.
Au Québec, l'engouement d'une partie de l'électorat pour M. Harper repose d'abord sur la perception selon laquelle celui-ci est empathique à l'endroit des aspirations québécoises. Son ouverture, qui contraste fortement avec son discours passé, comme le relève un de nos correspondants dans la page ci-contre, tient essentiellement à un engagement en trois points pris le 19 décembre lors d'un discours à la Chambre de commerce de Québec : respect des compétences des provinces, participation du Québec aux travaux de l'UNESCO sous une forme similaire à son statut au sein de la Francophonie, puis règlement du déséquilibre fiscal.
Ce triptyque, accueilli avec un commentaire plus que sympathique du premier ministre Jean Charest, a créé une nouvelle atmosphère sans que M. Harper ait besoin d'entrer dans les détails. Pourtant, c'est là que se trouve la réalité des changements qui devront être apportés pour corriger des situations comme le déséquilibre fiscal.
Au cours du débat de mardi soir, Paul Martin a eu tout à fait raison de chercher à apprendre du chef conservateur combien d'argent il consacrera à la résolution de ce problème. Seule la réponse à cette question -- que nous n'avons pas encore eue -- permettra de mesurer les véritables intentions que ce dernier entretient. M. Harper pourrait par exemple proposer l'ajout de quelques milliards de dollars dans les transferts aux provinces, ce qui les soulagerait temporairement mais ne réglerait pas un problème qui, étant avant tout d'ordre structurel, exige que le gouvernement fédéral libère un espace fiscal aux provinces tel que le proposait la commission Séguin. Sur ce plan, M. Harper se contente de dire que le rapport Séguin l'«intéresse beaucoup». Devant une réponse aussi vague, le premier ministre Charest devrait se précipiter vers un micro pour exiger du chef conservateur qu'il se commette davantage pour éviter de se retrouver devant des réponses encore plus fuyantes au lendemain du 23 janvier.
Par le passé, le chef conservateur a dit beaucoup de choses qui sont en contradiction avec le discours qu'il tient aujourd'hui, ce qui n'est pas seulement le cas à propos du Québec. Sur beaucoup de sujets, la santé par exemple, son discours a profondément évolué ces 18 derniers mois, l'homme ayant compris de sa défaite aux dernières élections qu'il ne serait jamais premier ministre en demeurant aux marges de l'extrémisme. Cela laisse toutefois place à des doutes que les autres partis exploiteront d'ici le 23 janvier. Les électeurs aujourd'hui tentés de s'aventurer en terrain conservateur ont le droit de savoir au préalable sur quelle route le nouveau Stephen Harper veut les engager. M. Harper voudra qu'on le croie sur parole, mais encore faudra-t-il que son discours soit sans ambiguïtés et que ses réponses soient complètes.


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