Immigration

Le Québec largué

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Le Québec doit récupérer tous les pouvoirs en immigration


Si on fait exception de 2020, année marquée par les sévères restrictions liées à la pandémie, le gouvernement Trudeau vole de record en record en matière d’immigration. Cette semaine, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser, a dévoilé de nouvelles cibles qui placent le Canada au sommet des pays — et de loin — quant au nombre d’immigrants qu’ils accueillent.


Au cours de son premier mandat, le gouvernement Trudeau a fait passer le seuil de 280 000 immigrants du gouvernement Harper à quelque 350 000. L’an dernier, Ottawa a voulu effectuer un rattrapage en raison des contraintes touchant les déplacements internationaux et des ratés administratifs qui ont contribué à réduire à 186 606 le nombre d’immigrants admis en 2020 au lieu des 341 000 prévu ; il a donc porté ce nombre à 400 000 en 2021.


Cet objectif de 400 000 et plus, c’est maintenant le nouveau plancher canadien en matière d’immigration. Dans son rapport annuel de 2021 présenté cette semaine au Parlement, le ministre Fraser a établi les seuils à 431 000 pour 2022, 447 000 pour 2023 et 451 000 pour 2024. C’est grosso modo 20 000 à 30 000 de plus que les niveaux avancés dans le rapport annuel précédent.


Si on se réfère à la cible élevée plutôt que moyenne, telle qu’inscrite dans le rapport pour 2024, soit 475 000 immigrants, nous sommes tout près de la recommandation de l’organisme canadien-anglais Century Initiative, qui entend convaincre le gouvernement Trudeau de hausser à 500 000 le seuil d’immigration pour 2026. L’objectif, c’est de faire passer la population canadienne de 37 millions à 100 millions en 2100.


Tandis que le ministre pousse à la hausse le nombre de dossiers à traiter, sa machine administrative ne suit pas. On ne sait d’ailleurs pas sur quelle planète Sean Fraser vit quand il écrit dans son rapport : « Heureusement, le Ministère a su s’adapter aux immenses pressions exercées par la pandémie. » La réalité, c’est qu’au Québec, son ministère est dysfonctionnel.


Les délais pour obtenir le statut de résident permanent, c’est-à-dire devenir un immigrant reçu en bonne et due forme après avoir été sélectionné par Québec, ont encore augmenté, pour atteindre en moyenne 28 mois.


En raison de problèmes administratifs, Ottawa n’arrive même pas à remplir les objectifs d’immigration que lui transmet le gouvernement du Québec. Le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration a demandé qu’un rattrapage soit effectué en 2021 pour combler les retards engendrés par la pandémie, soit un total de 18 000 nouveaux résidents permanents de plus. Manquent à l’appel 15 000 d’entre eux.


Qui plus est, sur les 48 600 détenteurs d’un certificat de sélection du Québec toujours en attente de leur résidence permanente, 25 000 résident au Québec et occupent un emploi. Le ministre Jean Boulet a demandé à son homologue fédéral d’accorder la priorité à ces demandeurs. Mais Ottawa se montre réticent. Si on tient compte de toutes les catégories de nouveaux arrivants, ce sont 90 000 personnes qui sont en attente, selon les données obtenues par Radio-Canada auprès d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.


C’est deux poids, deux mesures, car les délais imposés au Québec sont beaucoup plus importants que dans le reste du Canada. Par ailleurs, les autorités fédérales exercent une discrimination à l’endroit des étudiants étrangers en provenance de l’Afrique francophone qui souhaitent étudier au Québec : le taux de refus de ces étudiants pourtant admis dans nos cégeps et nos universités est beaucoup plus élevé que celui des étudiants étrangers anglophones.


Mais plus grave encore, c’est que le Canada, avec sa politique d’immigration extrêmement vigoureuse, est en train de larguer le Québec. On voudrait diminuer rapidement son poids démographique — et celui du Québec français — au sein du Canada qu’on n’agirait pas autrement. En clair, le reste du Canada, toutes proportions gardées, accueille deux fois plus d’immigrants que le Québec. Si l’on voulait résister à cette érosion démographique, ce ne sont pas 53 000 immigrants qu’il faudrait admettre, mais près de 120 000 l’an prochain et davantage les années suivantes.


Dans ce contexte, il est clair que l’entente Canada-Québec sur l’immigration, signée en 1991 par les ministres Gagnon-Tremblay et McDougall, ne tient plus, du moins dans son esprit. Cette entente prévoyait que le Canada consulte le Québec pour établir ses seuils d’immigration, ce qu’il ne fait plus. En outre, les seuils canadiens devaient permettre au Québec de recevoir un pourcentage d’immigrants égal à celui de sa population. Ce n’est plus possible.


Cette évolution du Canada postnational constitue une menace pour la nation québécoise. Il est temps — et c’est un minimum — que le Québec obtienne tous les pouvoirs en matière d’immigration.

 





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