Au moment où le Québec amorce sa planification 2024-2027 de l’immigration, le gouvernement Legault est accusé de fournir un portrait incomplet de la situation. Des statistiques existent concernant le solde d’immigrants temporaires dans la province, mais certaines ont été évacuées des documents qui servent de base à la consultation publique, a constaté Radio-Canada.
C'est une fausse planification
, s’insurge le porte-parole du Parti libéral du Québec (PLQ) en matière d’immigration, Monsef Derraji. Selon lui, les citoyens, experts et organismes qui se fient aux documents gouvernementaux pour préparer leur mémoire n’ont pas l’information exacte
.
Dans le Recueil de statistiques sur l’immigration au Québec, rendu public le 25 mai dernier par la ministre Christine Fréchette, les immigrants temporaires sont exclus de pratiquement tous les tableaux et graphiques.
C’est le cas d’un tableau portant sur les migrations interprovinciales et internationales au Québec depuis 1975 qui montre, année après année, l’accroissement de la population lié à l’immigration. Au bas du tableau, une note indique que ce solde migratoire net
ne tient pas compte des immigrants temporaires.
résidents non permanents.
Conséquence : pour l'année 2019, l'ISQ estime que l'accroissement de la population québécoise lié aux migrations interprovinciales et internationales était de 95 317 personnes, tandis que le ministère de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration (MIFI) arrive à un solde presque trois fois moins élevé (32 241).
Les temporaires font partie de la population, dit l'ISQ
L'écart est donc majeur. Or, selon l’ISQ, les travailleurs étrangers, les demandeurs d’asile et les étudiants étrangers doivent bel et bien être comptabilisés dans la population générale, puisque leur lieu de résidence habituel
se trouve au Québec.
« Le solde des résidents non permanents fait partie intégrante des composantes démographiques. »
Même son de cloche chez Statistique Canada, qui inclut aussi les immigrants temporaires dans ses calculs du solde de migration internationale.
Statistique Canada adopte une approche cohérente à celle qui est privilégiée par plusieurs autres organismes statistiques nationaux [aux] États-Unis, [en] Australie et [en] Nouvelle-Zélande, entre autres
, souligne Melissa Gammage, agente de communication.
Les résidents non permanents ne sont pas inclus afin de voir l’effet annuel de l’immigration permanente au Québec sur le solde des migrations internationales et interprovinciales
, explique par courriel la porte-parole du MIFI, Arianne Méthot.
« Une erreur »
Aux yeux du porte-parole de Québec solidaire (QS) en matière d’immigration, Guillaume Cliche-Rivard, il s’agit d’une erreur
dans le contexte actuel.
« Non seulement on les a, mais ce sont ces chiffres-là qui ont alimenté la très vaste majorité des débats en immigration [durant] cette session parlementaire. De ne pas les inclure [dans le Recueil de statistiques], ça m'apparaît assez particulier. »
Selon le porte-parole du Parti québécois (PQ) en matière d’immigration, Pascal Bérubé, ces centaines de milliers d’immigrants sont carrément occultés
par la consultation publique qui s’amorce.
Depuis le début, le gouvernement de la CAQ a fait le choix de ne pas en parler dans sa politique d'immigration. Pourquoi? On ne le sait pas, mais c'est une donnée très importante qui est au cœur des débats en immigration
, insiste M. Bérubé.
Son homologue du PLQ, Monsef Derraji, invite d’ailleurs la ministre Christine Fréchette à modifier dès que possible le Recueil de statistiques sur l’immigration au Québec pour tenir compte de cette réalité.
« J'invite la ministre à revoir son document, d'inclure le portrait réel des [immigrants] temporaires; comme ça, on va avoir une réelle planification pluriannuelle. »
La situation a changé beaucoup
Ce n’est pas la première fois que le MIFI omet d’inclure le solde annuel d’immigrants temporaire dans son recueil statistique. C’était aussi le cas lors des consultations précédentes qui ont eu lieu en 2019 et en 2016 au Québec.
La situation a changé beaucoup
, indique cependant Anne Michèle Meggs, ancienne directrice de la planification et de la reddition de comptes au MIFI. Le recours aux immigrants temporaires pour combler des besoins de main-d’œuvre a explosé et a inévitablement un effet sur les services publics.
« Avant, s'il y avait le même nombre de résidents temporaires qui arrivaient et quittaient chaque année, ça ne changeait pas vraiment grand-chose. Ça ne changeait même pas le niveau de la population. Maintenant, c'est clair que ça a un impact. »
Dans ce contexte, continuer à planifier l’immigration comme le Québec l’a toujours fait, c’est-à-dire en se concentrant uniquement sur ceux qui obtiendront leur résidence permanente, n’a plus vraiment de sens, selon Mme Meggs.
Le gouvernement lui-même essaie d'encourager les personnes à statut temporaire à demeurer au Québec, que ce soit des étudiants qui ont étudié en français ou que ce soit des travailleurs temporaires qui parlent ou qui ont appris le français
, rappelle-t-elle.
Au centre des préoccupations
Dans l’autre document qui sert de base aux consultations publiques – intitulé Cahier de consultation –, le MIFI reconnaît que l’immigration temporaire a pris une ampleur accrue depuis quelques années
.
Le Cahier de consultation fournit également quelques données, comme le nombre impressionnant d’étrangers détenteurs d’un permis de travail (108 000) ou d’études (93 000) au Québec en date du 31 décembre 2022.
Malgré cela, la ministre Christine Fréchette a déjà promis que l’immigration temporaire serait un élément de contexte
pouvant être discuté durant les consultations, sans plus.
Les citoyens, experts et organismes qui souhaitent déposer un mémoire à l’occasion de la consultation sur les seuils d’immigration ont jusqu’au 11 août pour le faire. Un questionnaire sera également accessible sur le site web du MIFI jusqu’à cette date.
Les consultations en personne à l’Assemblée nationale doivent quant à elles commencer à la reprise des travaux parlementaires, le 12 septembre prochain.
Le gouvernement devra ensuite déposer sa planification de l’immigration le 1er novembre, comme le prévoit la Loi sur l’immigration au Québec.