En 2020, en pleine pandémie, François Legault est allé chercher Sophie Brochu pour diriger Hydro-Québec pour un mandat de cinq ans, la durée statutaire pour un p.-d.g. de la plus importante société d’État québécoise. Au bout de trois ans, Sophie Brochu part sans compléter son oeuvre.
Les trois p.-d.g. avant elle avaient achevé leur mandat. Éric Martel n’a fait qu’un mandat de cinq ans, mais André Caillé est resté huit ans et Thierry Vandal avait cumulé deux mandats. D’habitude, un p.-d.g. d’Hydro-Québec compétent ne quitte pas son poste avant terme, et, de l’aveu même de Sophie Brochu, la job était captivante. À 59 ans, la démissionnaire a encore de belles années devant elle comme dirigeante de sociétés.
Sophie Brochu est une communicatrice hors pair. À l’entendre, on dirait que rien ne l’opposait au mégaministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon. « Je ne quitte pas parce que je suis en conflit avec le gouvernement », a-t-elle affirmé. Des tensions, il y en avait ; rien de plus normal. S’il n’y en a pas, c’est qu’on est mort, a-t-elle avancé.
Rappelant qu’elle avait présenté le plan stratégique d’Hydro-Québec 2022-2026 — c’était au printemps dernier —, Sophie Brochu s’est décrite dans les entrevues qu’elle a accordées comme une architecte, tandis que son successeur, lui, se posera en bâtisseur. C’est une jolie métaphore, mais elle ne s’applique pas à celle qui a occupé les deux rôles pendant 12 ans chez Énergir, à titre de présidente et cheffe de la direction, une société qu’elle a indéniablement contribué à bâtir.
Sophie Brochu annonce son départ après avoir participé, en décembre, à une première réunion du nouveau comité de l’économie et de la transition énergétique, qui est présidé par François Legault et qui réunit les ministres de l’Économie, des Finances, de l’Environnement et des Relations avec les Autochtones, ainsi que la p.-d.g. de la société d’État. Il faut croire que la rencontre ne l’a guère inspirée.
Dans son point de presse, mercredi, François Legault a parlé « d’un choix qui est personnel ». Il n’y avait pas de « différences d’orientations » entre le gouvernement et la p.-d.g., ce que la principale intéressée s’est d’ailleurs évertuée à soutenir sur diverses tribunes en annonçant son départ pour le mois d’avril.
Le dernier plan stratégique, qui tranchait avec les précédents, n’était pas de nature à encourager une vision économique où l’énergie verte cédée à bas prix permettrait d’attirer en masse des activités industrielles aussi lucratives qu’énergivores. L’époque des surplus d’électricité était révolue, et la décarbonation de l’économie du Québec allait exiger d’Hydro-Québec qu’elle hausse de 50 % d’ici 2050 le nombre de ses TWh disponibles.
L’automne dernier, la p.-d.g. affirmait que le Québec ne devait pas se transformer en un « Dollarama de l’électricité ». Elle a lancé l’avertissement suivant : « Ce qu’il ne faut pas faire, c’est d’attirer un nombre indu de kilowattheures industriels qui veulent payer pas cher et, après ça, construire des barrages pour les alimenter parce qu’on manque d’énergie. » Ça ne peut pas être plus clair.
Le premier ministre a répété que réduire l’écart de richesse avec l’Ontario restait son obsession. Il compte sur l’électricité d’Hydro-Québec pour doper le développement économique. Une cinquantaine de projets d’entreprises d’ici et d’ailleurs sont sur la table de Pierre Fitzgibbon, projets qui représentent 40 % de la production actuelle d’Hydro-Québec. C’est beaucoup, beaucoup trop.
Le gouvernement devra nous dire comment il entend réaliser la quadrature du cercle. Hydro-Québec n’a plus de surplus, et le coût des nouveaux approvisionnements — le coût marginal de l’électricité — est de 11 cents le kWh, environ trois fois le coût moyen actuel. Il est clair que plus Hydro-Québec haussera sa capacité de production, plus les tarifs augmenteront.
Dans une entrevue accordée en novembre dernier au journaliste économique Jean-Philippe Décarie, Sophie Brochu affirmait qu’elle n’était pas contre l’idée qu’Hydro-Québec participe au développement économique « de façon sensée ». Il faut trouver ce qu’il y a de mieux pour le plus grand nombre, disait-elle. « Hydro-Québec n’est pas une shop économique, pas une shop environnementale, pas une shop autochtone, pas une shop sociale : on est tout ça en même temps. »
Sophie Brochu part à un moment charnière dans l’évolution d’Hydro-Québec, un moment où les Québécois — et pas seulement les entreprises — devront se mobiliser et participer au vaste chantier d’une transition faite d’efficacité et de sobriété énergétiques. C’est ce qu’il faut entreprendre avant de songer à lancer les castors hydroquébécois dans la construction de nouveaux barrages.