Des drapeaux rouges, un porte-parole étudiant, Gabriel Nadeau-Dubois, qui revendique la gratuité scolaire et en appelle à la « contestation beaucoup plus large, beaucoup plus profonde, beaucoup plus radicale » de la société actuelle ; des manifestations continuelles, dont une, rigolote, où les participants ont marché dénudés ; le retour de termes comme « lutte des classes »… L’actuelle crise étudiante a des éléments néo-hippys incontestables. On se croirait parfois replongés dans les années 1960, l’ère de la « génération lyrique », pour reprendre le titre de l’essai classique de François Ricard. Sur les médias sociaux, une vidéo YouTube sur le Mai 68 parisien circule, « en guise d’inspiration », explique-t-on.
Le sociologue Stéphane Kelly a déjà expliqué que l’imaginaire des lyriques « est fondé sur une foi quasi aveugle dans le potentiel de l’avenir. C’est un regard progressiste sur le monde, qui retient du passé les grandes réalisations humaines et qui envisage le futur avec un enthousiasme contagieux ».
En 2005, Kelly s’était penché sur la mobilisation étudiante qui avait saisi le système scolaire cette année-là. « Contrairement à ce qui a été souvent dit dans les médias, les manifestations étudiantes étaient loin de l’esprit des années 1960 », concluait-il. À ses yeux, 2005 marquait même « la fin de l’âge lyrique au Québec ». Explications : les grévistes de l’époque avaient intériorisé le pessimisme de la génération X, notamment parce que « des choix collectifs mal avisés ont été faits dans les années 1960 et 1970 ». Leurs demandes consistaient non pas à réclamer un changement radical, mais à « conserver un acquis social juste », c’est-à-dire 103 millions en bourses que le gouvernement Charest voulait convertir en prêts : « Si l’objectif du mouvement étudiant avait été d’obtenir la gratuité scolaire, aucune association étudiante n’aurait obtenu un mandat de grève générale illimitée », faisait remarquer Kelly à l’époque.
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En 2012, pourtant, la gratuité, c’est précisément ce que la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE), qui représente la majorité des étudiants en grève, a présenté dans sa contre-offre au gouvernement. Une question s’impose donc : en 2005, Stéphane Kelly aurait-il rédigé trop tôt la notice nécrologique de l’âge lyrique ?
Peut-être bien. François Ricard lui-même, en interview au Devoir en 2002, reprenant un terme de l’écrivain Philippe Muray, observait une « généralisation lyrique » à l’oeuvre. « Cet esprit hypermoderne, que j’ai essayé de décrire dans mon livre en l’attribuant à une génération en particulier, affirmait Ricard, je serais porté à dire qu’il triomphe de façon générale dans la société d’aujourd’hui, dans la culture, dans les comportements politiques, dans la morale familiale. » La présence d’un certain néolyrisme n’étonne donc pas aujourd’hui.
Ce néolyrisme est aussi présent par le retour d’un radicalisme de gauche. C’est essentiellement le résultat du poids plus grand qu’a pris la CLASSE, en 2012, dans la dynamique entre les associations. En 2005, il y avait bien l’ASSE, (élargie en CASSEE, le « C » étant pour Coalition, le dernier E pour élargie) et dont la CLASSE est issue (CL étant pour Coalition large) ; mais son poids face à la FEUQ était moins important qu’aujourd’hui. Depuis la fin du conflit en 2005, la FEUQ a perdu plusieurs associations étudiantes importantes provenant de trois universités : McGill, Laval et Sherbrooke.
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En 2005, la CASSEE avait au final été écartée des négociations avec le gouvernement. Lorsqu’un règlement est intervenu entre les parties, plusieurs de ses membres avaient exprimé leur colère. Le président de la FEUQ de l’époque, Pier-André Bouchard-St-Amand, avait été carrément agressé « par un groupe d’étudiants membres de la CASSEE », selon le communiqué d’avril 2005 de 15 associations étudiantes qui avaient dénoncé ce geste « disgracieux et puéril ».
Alors qu’hier s’est opéré un rapprochement des parties - parmi lesquelles la CLASSE - dans cette crise étudiante qui n’en finit plus, il faut se rappeler que lyrisme et radicalisme ne font pas bon ménage avec la négociation. Dans un texte en 2005, l’historien Éric Bédard notait que l’ASSE rappelle plusieurs des caractéristiques idéologiques de l’ANEEQ (Association nationale des étudiantes et des étudiants du Québec), organisation qui a marqué l’histoire du mouvement étudiant de 1975 à 1994. « Dans les deux cas, note Bédard, on retrouve le même esprit de contestation globale, la même rhétorique anticapitaliste, la même méfiance des autorités instituées. Pour l’ANEEQ, “ dialoguer “ avec le pouvoir, c’était “ se faire fourrer ”, jouer le jeu des autorités. » C’est essentiellement la position qu’ont exprimée les actuels membres du comité de négociation de la CLASSE lorsqu’ils ont été élus en février : il ne s’agissait pas de négocier, mais « d’exiger » des choses du gouvernement. Dans un compte rendu du congrès de la CLASSE du 4 avril, on peut lire : « Si nous persistons dans notre détermination à poursuivre la grève, rien ne pourra nous arrêter. Nous obtiendrons le gel des frais de scolarité au niveau de 2007 […] Bref, nous vaincrons ! »
Certes, dans la crise que nous traversons, l’intransigeance du gouvernement n’a pas aidé. Mais le retour d’un certain lyrisme non plus.
Des idées en l’ère
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