Jean Chrétien a réussi le tour du chapeau. Après Georges Farrah et Serge Marcil, il vient de recruter, en Liza Frulla, un des derniers éléments soi-disant nationalistes qui restaient au conseil des ministres quand le PLQ a perdu le pouvoir, en 1994. Il ne manque plus que Gérald Tremblay.
À la veille de célébrer le vingtième anniversaire du rapatriement de la Constitution, ce choix illustre remarquablement la démission, pour employer un terme poli, de ceux qui prétendaient jadis incarner une vision québécoise du fédéralisme. D'accord, Mme Frulla n'a jamais été la femme des grands débats d'idées, mais elle avait su se donner une certaine image. Elle formera éventuellement un très beau couple avec son ami Paul Martin.
Elle dit vouloir aller à Ottawa pour «défendre les Québécois au sein d'un gouvernement qui est très fort, qui a beaucoup d'appuis, qui est là pour un bon bout de temps». Comme disent les anglophones: «If you can't beat them, join them.» En français, on appelle ça un plan de carrière. Bon salaire, beaux voyages, pratiquement pas d'opposition. Bref, la belle vie.
Bien sûr, il lui «faut tout réapprendre, se mettre dans un mode fédéral, dans une perspective fédérale». À cet égard, elle n'a pas à s'inquiéter, c'est très simple: il lui suffira de se taire quand les pouvoirs du Québec seront attaqués, comme ses futurs collègues l'ont toujours fait.
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La perspective de retrouver un fauteuil ministériel à Ottawa semble décidément causer de sérieux problèmes de mémoire aux transfuges du PLQ. Dans certains cas, on peut presque parler d'un dédoublement de la personnalité.
Celui de Georges Farrah est particulièrement fascinant. À l'époque où il siégeait à l'Assemblée nationale, le député des Îles-de-la-Madeleine déclarait à qui voulait l'entendre qu'il n'appuierait jamais le fossoyeur de l'Accord du lac Meech. Pour lui, Jean Chrétien était «l'image de la bagarre perpétuelle avec le Québec». Ses anciens collègues du PLQ avaient été estomaqués de le voir rallier son camp aux élections de novembre 2000.
Liza Frulla était à peine moins virulente quand elle était ministre dans le cabinet Bourassa, dénonçant les visées centralisatrices «tout à fait inacceptables» d'Ottawa. Elle avait pleuré de rage, en 1994, quand un jugement de la Cour suprême avait sonné le glas des prétentions québécoises sur la téléphonie, qui remontaient à Louis-Alexandre Taschereau.
Trois ans plus tôt, elle avait bruyamment applaudi au rapport Allaire et s'était fait fort de rapatrier au Québec la totalité des pouvoirs en matière culturelle. Peu importe le futur statut politique du Québec, cela allait de soi, disait-elle. Tout le monde a le droit de changer d'idée, n'est-ce pas? Tiens, je la verrais très bien à Patrimoine Canada, où ses talents de vendeuse feraient merveille.
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La capacité des libéraux fédéraux de se renouveler en recrutant des gens qui, comme Mme Frulla, sont davantage identifiés à un nationalisme mou qu'à un fédéralisme intransigeant est de très mauvais augure pour le Bloc québécois.
Les élections partielles du 13 mai dans Verdun-Saint-Henri-Saint-Paul-Pointe-Saint-Charles, comté qui était représenté par un obscur député d'arrière-banc promu au Sénat, et dans Saint-Michel-Saint-Léonard, laissé vacant par l'exil d'Alfonso Gagliano, sont de simples formalités.
Là où l'avenir du Bloc risque d'être sérieusement compromis, c'est lorsque ses propres députés décideront de tenter leur chance sur la scène québécoise. Maintenant que l'interdit imposé par le premier ministre Landry a été levé, ou plutôt défié par Stéphan Tremblay, il faut s'attendre à ce que les meilleurs éléments du Bloc viennent frapper à la porte du PQ.
Il est clair que des candidats comme Paul Crête, Yvan Loubier, Michel Bellehumeur, Pierre Brien, Pierre Paquet et Richard Marceau, solidement implantés sur le terrain, pourraient permettre au PQ de sauver de précieux sièges aux prochaines élections générales. La question est de savoir comment le Bloc pourra conserver les comtés qu'ils abandonneront.
Le plus urgent est de trouver un successeur à Stéphan Tremblay dans Lac-Saint-Jean et, éventuellement, à Pierre Paquet dans Joliette. Pourquoi ne pas demander à Jacques Brassard et à Guy Chevrette de faire un dernier tour de piste à Ottawa?
M. Brassard dit s'ennuyer à mourir depuis sa démission du cabinet Landry. Quand le PQ était dans l'opposition, il était celui que Robert Bourassa craignait le plus. Il pourrait être aussi efficace aux Communes. De son côté, Guy Chevrette aurait le plaisir de survivre à celui qui l'a poussé à la retraite. Surtout, l'un et l'autre auraient une belle occasion de faire oublier leur triste sortie en redonnant priorité à la patrie.
Le transfuge
il lui suffira de se taire quand les pouvoirs du Québec seront attaqués, comme ses futurs collègues l'ont toujours fait.
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