L'énigme Ignatieff

Ignatieff - le PLC et le Québec

À l'aube d'une élection automnale quasi inéluctable, force est de constater que bien des électeurs connaissent peu ou mal le chef du Parti libéral du Canada. Plus d'une personne m'a confié récemment qu'elle a de la difficulté à se faire une opinion définitive à son égard.
J'ai connu Michael Ignatieff lors de mes études à l'Université Harvard, il y a cinq ans. Nous nous sommes revus depuis à plusieurs occasions. Il demeure pour moi un homme à la pensée beaucoup plus nuancée que ce que nous décrivent des commentateurs indépendants et surtout les porte-parole des autres partis politiques.
Certains de ceux-ci poussent leur critique jusqu'à déclarer qu'élire un gouvernement libéral sous sa gouverne ne mènerait qu'au remplacement des néoconservateurs actuels par des néolibéraux. Du pareil au même, semblable à ce que disaient faussement les partisans du candidat Ralph Nader à propos du président George W. Bush et du sénateur John Kerry lors de l'élection présidentielle en 2004, ainsi que du gouverneur Bush et du vice-président Al Gore en 2000.
Pensée politique
M. Ignatieff a toujours été considéré, autant en Grande-Bretagne qu'aux États-Unis et ailleurs au Canada, comme un libéral progressiste, du moins avant la guerre en Irak. Qu'en est-il
depuis?
Dans un long entretien révélateur dans le numéro de mai dernier de la revue Options politiques, le chef libéral révèle le fond de sa pensée: «Le paradoxe du Québec et du reste du Canada est que nos cultures politiques sont étonnamment similaires dans leur orientation de base au centre-gauche et soutenir ce modèle est le défi auquel nous faisons face tous les deux.»
Il ajoute lors d'une soirée-bénéfice à Toronto le 1er avril dernier: «Allons-nous maintenir notre foi envers l'équité, cette croyance fondamentale qui fait de nous un grand pays? L'unité nationale, la compassion sociale, la responsabilité fiscale, la durabilité environnementale et le leadership sur la scène internationale -- les principes qui font de nous le centre progressiste de la politique canadienne.»
Environnement
Voici ce qu'il a dit à propos des gaz à effet de serre lors de cette même soirée. Il faut, dit-il, «un système de limites et d'échanges [cap and trade] avec des plafonds contraignants qui s'attaquent au changement climatique au lieu de faire porter le chapeau à quelqu'un d'autre. Une stratégie énergétique qui unit les Canadiens de toutes les régions autour de deux objectifs: faire de nous les utilisateurs d'énergie les plus efficaces au monde et les plus durables». Il renchérit: «Allons-nous exploiter le pouvoir de nos rivières, marées, vents et carburants -- et la force de notre ingéniosité -- afin de devenir la superpuissance mondiale de l'énergie verte?»
Cette préoccupation pour l'unité nationale revient régulièrement dans ses propos. Le 14 janvier dernier, devant de jeunes libéraux à Vancouver, M. Ignatieff affirme, à propos des sables bitumineux: «Le défi est que c'est sale et il faut que nous nettoyons cela... La politique énergétique au pays est une question d'unité nationale. La chose la plus stupide que nous puissions faire -- et aucun libéral ne doit le faire -- est de faire campagne contre l'Alberta, faire de l'Alberta l'ennemi, isoler l'Alberta.»
Coalition
En fait, l'unité du pays est l'une des deux principales raisons pour lesquelles il a laissé tomber la coalition PLC-NPD appuyée par le Bloc, l'hiver dernier, devant les déchirures Est-Ouest et gauche-droite que celle-ci provoquait au pays. L'autre raison étant évidemment la crise financière et économique en plein envol.
Pensez-y. On offrait à M. Ignatieff sur un plateau d'argent non seulement la chefferie du Parti libéral mais aussi les clés du 24 Sussex et il les a refusées. Certains ont conclu alors qu'il était assurément de droite en appuyant le nouveau budget du gouvernement conservateur, tandis que d'autres ont plutôt vu en lui un dirigeant qui a le sens de l'État. Aujourd'hui, il demeure ouvert à l'idée de gouverner avec l'appui de partis sociaux-démocrates à la Chambre des communes s'il devait former un gouvernement minoritaire, sans coalition formelle toutefois, comme par le passé.
Irak et Afghanistan
Ce sont cependant ses appuis aux interventions militaires en Irak, regrettés depuis, et en Afghanistan qui lui ont valu plus que tout autre ce faux étiquetage de droite. C'est pourtant sur la base de concepts avancés par une grande partie du centre-gauche que M. Ignatieff et d'autres ont appuyé à l'origine ces interventions: le droit d'ingérence et la responsabilité de protéger les populations, en l'occurrence les chiites et les Kurdes irakiens, les femmes afghanes et les victimes potentielles de présumées armes de destruction massive.
Cela n'a donc rien eu à voir avec les visées dites impérialistes sur le pétrole et autres intérêts économiques et géopolitiques de ces régions, attribués au camp du président Bush et à leurs alliés. Qui plus est, la mise en application erronée et manipulée de ces principes, aux conséquences tragiques, fait en sorte qu'il est peu probable que l'histoire se répète, du moins avant longtemps. Et dès cet automne, nous devrions voir inclus dans la plateforme électorale du PLC le retrait des troupes canadiennes du conflit armé en Afghanistan.
Leadership
Trop souvent, malheureusement, nous n'avons pas accès à toute la pensée de M. Ignatieff sur un sujet donné, en partie à cause des citations partielles venant de ses opposants, des clips médiatiques de seulement huit secondes et des commentaires incomplets qu'il prononce à l'occasion, ce qui peut créer certaines confusions et même des ondes de choc lorsqu'il s'agit de sujets délicats.
Sachez par contre que son approche reflète de près la pratique du leadership telle qu'enseignée à la Kennedy School, où il fut professeur pendant cinq ans, mettant ainsi l'accent sur l'empathie, la compréhension, la vision partagée, l'étapisme, l'interventionnisme, la mobilisation, l'analyse des résultats et l'ajustement tactique, afin de surmonter avec succès les défis adaptatifs les plus sérieux que nos sociétés doivent confronter.
Je souhaite que ces quelques lignes, si personnelles soient-elles, aideront à lever l'énigme autour de celui qui pourrait devenir le prochain premier ministre canadien aussi tôt que cet automne.
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Robert David, Professeur à temps partiel en développement international aux universités Concordia et d'Ottawa

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Professeur à temps partiel en développement international aux universités Concordia et d'Ottawa





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