Le virage identitaire de la CAQ

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«Mais qu’arrivera-t-il si la CAQ découvre que chaque avenue nationale pour le Québec est bloquée par la constitution de 1982?»





Denis Lessard l’annonce ce matin mais la chose se laissait deviner depuis un bon moment : la CAQ de François Legault prendra un virage identitaire. Et cela, au moment où au PQ, plusieurs pensent à renoncer au discours identitaire. Pour le dire très schématiquement, dans la mesure où la souveraineté passionne moins l'électorat ces temps-ci que la question identitaire (et dans la question identitaire, j’inclus la critique du multiculturalisme et des accommodements raisonnables, la défense de la laïcité et du patrimoine historique québécois, la volonté de renforcer l’intégration des immigrants et d'ajuster nos seuils d'immigration à nos capacités réelles d'intégration, etc.), on devine que la CAQ mise sur cela pour déclasser le PQ chez les francophones.


Je comprends ainsi la vision de la CAQ: pour les caquistes, la souveraineté, qu’on la veuille ou non, semble impossible à court ou moyen terme, même si son chef François Legault, avec une étrange incohérence, rappelle de temps en temps qu’il voterait Non à un référendum, ce qui veut dire qu’il ne croit pas seulement la souveraineté irréalisable pour l’instant, mais qu’il s’y opposerait. Mais cela ne veut pas dire qu’il faille pour autant renoncer au principe du Québec d’abord et qu’il faut se jeter dans les bras du Canada à la manière du fédéralisme servile pratiqué par Philippe Couillard. Il faut alors défendre l’identité collective car on ne saurait sacrifier le Québec pour le punir de pas avoir choisi l’indépendance.


La question identitaire, est souvent mal comprise. Elle se décline en fait de deux manières.


Il s’agit d’abord de défendre le minimum vital pour le Québec, qui n’est pas qu’un territoire administratif sans identité culturelle, sans profondeur historique. Le Québec n’est pas habité par une population anonyme mais par un peuple qui a son caractère national, ses particularités historiques. En un mot, le Québec est une nation. Et il se trouve qu’en Amérique du Nord, les Québécois seront toujours minoritaires et ils devront faire de la défense de leur identité culturelle une part importante de leur vie politique. Un homme politique inconscient n'est pas à la hauteur des fonctions qu'il aspire à occuper. Faut-il ajouter que quiconque parle de l’identité québécoise sans parler de la majorité francophone fait des phrases creuses?


Il s’agit aussi de défendre l’identité québécoise dans un Canada soumis au multiculturalisme d’État et dans une époque marquée par une mondialisation qui pousse les peuples à l’indifférenciation, à la dépersonnalisation culturelle. D’ailleurs, aucune société n’échappe à la question identitaire, même si les idéologues du multiculturalisme y voient une tentation régressive, commandée par la xénophobie et la «peur de l’autre». Comme si le droit de conserver son identité historique pour un peuple était abject. Comme si la volonté de définir politiquement le cadre de la vie collective était une dérive antidémocratique. On cherche aujourd'hui à faire passer l'attachement d'un peuple à son identité et son histoire pour une inquiétante dérive qui justifierait la mise sous tutelle du peuple par le gouvernement des juges.


Analysons la chose froidement, à la lumière des calculs électoraux des uns et des autres : assisterons-nous à un retour aux années 2006-2007, lorsqu’au moment de la crise des accommodements raisonnables, le PQ d’André Boisclair, dévasté par la mauvaise conscience post-référendaire, ne pratiquait plus qu'un nationalisme aseptisé, inhibé par la rectitude politique, trudeauisé de l’intérieur, alors que l'ADQ entreprenait une critique franche de l'idéologie des accommodements raisonnables? On se rappelle du résultat : l’ADQ avait déclassé le PQ et ce dernier avec justement du renouer avec l’identité nationale qu’il avait abandonné pour renouer avec de grands pans de l’électorat nationaliste (j’ai analysé cette petite époque dans mon premier ouvrage, La dénationalisation tranquille, paru en 2007).


Les récents résultats dans Richelieu confirment que les deux partis sont dans un conflit ouvert pour gagner l’électorat francophone. C’était aussi la leçon qu’on pouvait retenir des élections d’avril 2014. L’épuisement historique du souverainisme et du cycle politique enclenché avec la Révolution tranquille (avec sa polarisation de la vie politique entre souverainistes et fédéralistes) crée les conditions du remplacement possible du PQ par une nouvelle formation nationaliste de centre-droit qui chercherait à redonner vie à une forme d’autonomisme post-souverainiste (j’ai analysé cette question dans mon livre Fin de cycle, paru au début 2012). François Legault avait d’ailleurs annoncé son intention d’occuper ce créneau politique au lendemain des dernières élections.


Évidemment, il faut voir si le nationalisme de la CAQ ira au-delà des mots. On verra si la CAQ est capable de donner un contenu à son renouveau nationaliste. Elle entend poser les bases d’une politique d’intégration plus musclée. Le détail des mesures reste à voir. Osera-t-elle remettre en question, toutefois, les seuils d’immigration exagérément élevé qui sont actuellement ceux du Québec? Et comment se positionnera-t-elle cette fois dans le dossier de la laïcité, dont Philippe Couillard annonce plus tôt que tard le retour à l’avant-scène. On a beau dire que le PQ aurait pu faire un compromis avec la CAQ il y a un an autour de la Charte des valeurs, mais la CAQ elle-même, sur la question linguistique, par exemple, a témoigné d’une terrifiante faiblesse.


Et pourquoi la CAQ se réclame-t-elle de la référence usée à l’interculturalisme, qui n’est qu’un décalque québécois du multiculturalisme? Entend-elle en proposer une définition si neuve qu'il n'aurait plus rien à voir avec l'univers mental de la commission Bouchard-Taylor? N’aurait-elle pas du renouer franchement avec une approche misant sur la convergence culturelle, qui est le véritable modèle historique du Québec en matière d’intégration. Et qu’est-ce que la CAQ entend faire du cadre canadien qui limite considérablement l’autonomie du Québec en la matière. C’est une chose de dire qu’on doit chercher collectivement une autre avenue que la souveraineté. Mais qu’arrivera-t-il si la CAQ découvre que chaque avenue nationale pour le Québec est bloquée par la constitution de 1982?


On verra aussi si le PQ renonce vraiment, comme le suggèrent certains, aux acquis du virage identitaire, ou s'il parviendra à résister à ceux qui veulent lui faire croire, contre le bon sens même, que c'est la Charte des valeurs québécoises qui l'a fait couler aux élections d'avril dernier. Jusqu’ici, dans la course à la chefferie, on cherche davantage à effacer le discours identitaire qu’à se le réapproprier. À tout le moins, on sent un malaise autour de cette question chez les candidats qui veulent incarner la modernité à tout prix et qui sont à nouveau tentés par la dénationalisation de l’option souverainiste. La souveraineté vidée de la langue, de l’histoire, de la culture, de la mémoire, des affects identitaires, autrement dit, a quelque chose d’étrangement décharné, de fade, d’insignifiant. A-t-on déjà vu un peuple s’émanciper en occultant son identité?


Il ne s’agit pas de rejouer scène par scène l’épisode de la Charte des valeurs mais de toujours pousser plus loin la réappropriation de ce fondement indispensable de la cause indépendantiste. Il s’agit surtout pour lui de ne pas se laisser écraser par la rectitude politique, si puissante dans le système médiatique dont il quête sans cesse l’approbation. Ce devrait être une qualité requise pour un bon chef souverainiste : savoir se passer de l'amour des médias, ne pas toujours chercher leurs compliments, ne pas adopter le vocabulaire qu'ils veulent imposer. Le PQ doit-il vraiment se souvenir de la chute électorale qu’il a connu lorsqu’il a sacrifié, à la suite du référendum de 1995, les fondements historiques du combat national? Devra-t-il à nouveau subir une telle déroute pour s’en rappeler? Si tel était le cas, il se pourrait bien qu’il ne s’en relève pas.


Qui disait de la vie qu’elle se définissait par l’éternel retour du même? À tout le moins, la chose semble vraie pour la vie politique.


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