Une femme qui demande la citoyenneté d’un pays occidental et qui exige de porter le niqab au moment de prêter son serment de citoyenneté commet une agression identitaire en bonne et due forme. Et l’acharnement qu’elle met à faire fléchir le gouvernement d’un pays dont elle n’est même pas encore citoyenne et où elle dit vouloir se faire accepter nous montre bien que la chose est consciente, assumée. Cette femme sait que ce symbole horrifie la société d’accueil, pourtant, elle s’obstine, elle s’acharne, elle veut faire plier ceux à qui elle demande pourtant de l’accueillir et elle se battra pour leur imposer coûte que coûte. Elle arrive ici avec l’intention explicite d’imposer quelque chose qu’elle sait inacceptable à la société d’accueil. C’est le sommet de l’ingratitude, une forme extrême de discourtoisie, une provocation pour bien marquer le fait qu’elle n’entend pas s’intégrer à son nouveau pays et qu’elle a pleinement intériorisé la rhétorique victimaire qui permet de le mettre en accusation.
Mais ce qui est encore plus insensé, c’est lorsque certaines figures politiques importantes, parmi celles-là, les deux principaux leaders de l’opposition à Ottawa, Justin Trudeau et Thomas Mulcair, décident de renier leurs responsabilités politiques les plus élémentaires et de se jeter dans le marketing compassionnel en accusant le gouvernement conservateur de se complaire dans l’islamophobie parce qu’il envoie un signal clair contre le niqab au Canada. Pour Justin Trudeau, le niqab fait partie de l’identité personnelle la plus profonde de celles qui le portent. C’est un droit fondamental que de le porter. Pour Thomas Mulcair, le rejeter, c’est stigmatiser l’Islam et les femmes musulmanes – doit-on comprendre par-là que pour lui, le niqab est un symbole consubstantiel à l’Islam, et non pas l’exemple de sa dérive intégriste, ou pire encore, de cultures qui réservent un traitement absolument arriéré aux femmes? C'est Thomas Mulcair qui caricature méchamment l'Islam en l'associant explicitement à ce symbole.
La cassette qu’on nous fait encore jouer, c’est celle des droits individuels et des droits des minorités. Faisons quelques distinctions pour savoir de quoi nous parlons.
Les droits individuels sont absolument fondamentaux. Ils garantissent à l’individu la possibilité de son épanouissement. Mais ils ne flottent pas dans le ciel des idées pures. Ils s’inscrivent dans l’histoire d’une civilisation et dans celle d’un régime politique. Si on les en sépare, en croyant les faire tenir dans le vide, ils s’effritent ou se dérèglent. C’est ainsi qu’il existe une telle chose qu’un fondamentalisme des droits, qui relève de l’individualisme radical, et qui en vient à abolir conceptuellement la culture, comme si l’identité était une chose strictement personnelle, et qu’elle ne s’ancrait pas dans une réalité sociale et historique plus large. On traitera alors le niqab comme un symbole exprimant une spiritualité intérieure particulièrement intense, et non pas comme un marqueur communautariste radical exprimant le rejet violent dans toutes ses dimensions de la société d’accueil. Mais Justin Trudeau ne veut pas le savoir.
Les droits des minorités sont aussi importants pour peu qu’on sache les définir correctement. Par exemple, la minorité historique anglaise du Québec a le droit de conserver ses institutions historiques, cela va de soi. Mais il faut distinguer entre les communautés historiques et les communautés provenant de l’immigration la plus récente et qui se sont tout juste implantées ici. La vocation des immigrants n'est pas de se perpétuer comme «communautés» mais de se fondre dans la société d’accueil, tout simplement, d’en prendre le pli identitaire, de dire Nous avec elle. Les immigrants qui arrivent dans un pays ont le devoir moral de s’y intégrer et ils doivent envoyer des signaux nombreux pour en témoigner. Surtout, il n’existe pas quelque chose comme un droit fondamental de rejeter violemment la culture et l’identité du pays où on s’installe, ce que représente pourtant le niqab. Thomas Mulcair l’a oublié. D’ailleurs, si on lui pose la question, demain, deviendra-t-il aussi le défenseur de la burqa? Et quels arguments biscornus utilisera-t-il alors pour justifier son positionnement politique?
En quoi est-ce si difficile de dire clairement que le niqab n’a pas sa place au Canada, et qu’il ne l’aura jamais? Cela devrait aller de soi. Mais nos politiciens ne savent plus que le Canada est un pays. Ils ont tellement intériorisé le fantasme trudeauiste d’une société seulement composée d’individus porteurs de droits, sans culture historique commune, sans mœurs partagées qu’ils ne sont plus capables de comprendre les principes élémentaires de l’intégration culturelle. Ils sont prisonniers ou complices d’une idéologie qui travaille au démaillage du lien social, à la dissolution du monde commun. J’ajoute que les conservateurs de Stephen Harper, qui semblaient vouloir se montrer courageux sur ce dossier, nous montrent qu’ils tombent aussi facilement dans le piège du multiculturalisme lorsqu’ils rajoutent qu’une femme pourrait quand même travailler en niqab dans la fonction publique canadienne.
Au cœur de chaque culture et de chaque civilisation se trouve une manière particulière de poser les rapports entre l’homme et la femme. Cette manière évolue, bien évidemment, au fil du temps, mais elle est néanmoins fondatrice d’une vision du monde, qui conditionne tous les rapports sociaux. Faut-il vraiment rappeler que le niqab représente une ségrégation sexuelle odieuse institutionnalisant un rapport discriminatoire humiliant la femme en l’invisibilisant dans l’espace public, en niant son identité, sa corporéité? Elle n’a même plus droit à son visage. Le niqab vient nier ce qu’il y a de plus intime dans notre civilisation et la possibilité même de l'émancipation féminine. Évidemment, on entendra des femmes nous dire qu’elles le portent de gré. On va même trouver quelques féministes qui ne le sont que de nom nous dire qu’il faut respecter le choix de celles qui décident de porter le niqab. Mais il est permis à un Occidental minimalement nourri par la philosophie de l’émancipation de ne reconnaître aucune validité à cette prétention.
On nous dira: nous parlons seulement de quelques cas. C’est faux. Car ces cas ne sont aucunement anecdotiques: ils symbolisent de manière caricaturale mais bien réelle la crise de l’intégration dans nos sociétés – ce qui ne veut pas dire que la crise de l’intégration se réduit à celle du niqab. Ces cas révèlent surtout les principes de ceux qui nous gouvernent et nous permettent de savoir s’ils sont capables de dire non à l’intolérable. Si nos politiciens se couchent devant le niqab, s’ils ne sont pas capables, même devant un symbole aussi ostentatoire de refus de l’intégration, de dire non, clairement non, une fois pour toutes non, sans finasser, sans faire les malins, nous sommes en droit de les traiter de lâches ou encore, d’inconscients évoluant dans l’univers parallèle du multiculturalisme de carte postale à la canadienne. Je ne sais trop laquelle des deux tares est la pire.
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