L'opinion de Bernard Landry #52

Les invasions perverses

Il ne faut pas être gêné pour agir ainsi, mais cela n'est qu'un autre épisode des invasions indécentes du gouvernement canadien dans le destin de la nation québécoise.

PQ - XVIe congrès avril 2011


En plein forum de Davos, devant la finance mondiale et le Premier ministre du Québec, Stephen Harper a annoncé qu'il violerait un droit crucial de notre nation et établirait une commission canadienne des valeurs mobilières. Il ne faut pas être gêné pour agir ainsi, mais cela n'est qu'un autre épisode des invasions indécentes du gouvernement canadien dans le destin de la nation québécoise.
Il est vrai que Harper n'invente rien dans ce domaine. Un fils du Québec, Pierre Elliott Trudeau a changé le document fondamental du pays dont notre nation est fondatrice, contre la volonté expresse aussi bien de René Lévesque que de Claude Ryan et de notre Assemblée nationale. Quand on laisse passer une telle chose, il faut s'attendre à n'importe quoi par la suite.
Le Canada est une démocratie respectable mais dont les habitants ont un faible niveau d'estime pour ceux du Québec comme vient de le démontrer sans équivoque un récent sondage. Or en démocratie, c'est la majorité qui décide. Si en plus elle n'aime guère la minorité: bonjour les dégâts! Et il y en a eu de terribles pour le Québec depuis le début de cette vie commune née sous un régime colonial établi par une conquête militaire. En matière de finance comme dans le reste.
Depuis 1955, quand Maurice Duplessis était Premier ministre, jusqu'à aujourd'hui, Montréal a perdu un immense terrain par rapport à Toronto où se sont progressivement concentrés les centres de décisions financiers. Harper nous annonce l'accélération du phénomène.
En un sens ce mouvement, bien que pervers à nos yeux, est tout à fait logique. Montréal qui était passée à forte majorité francophone à cause de notre prodigieuse démographie et de l'exode rurale pouvait difficilement être la capitale financière d'un pays qui est essentiellement anglophone et de plus en plus. De "St-James street" à "rue Saint-Jacques", la suite inévitable était le passage à "Bay street". En raison du rôle croissant et déterminant de la finance dans l'économie, cet explicable mouvement "canadian" a causé au Québec des torts inestimables. Une énième fois, le Canada nous a coûté très cher. Aucune péréquation ne nous remboursera jamais des dommages qu'il nous a faits et nous fait toujours.
Quand certaines ententes sont survenues entre les bourses de Montréal et de Toronto sur le partage du commerce des actions et des produits dérivés, et ensuite une sorte de fusion avec répartition des tâches, certains observateurs ont dit que nous perdions le contrôle de la Bourse de Montréal. Erreur. C'était fait depuis longtemps. La Bourse de Montréal est une entreprise privée. En raison de la concentration financière canadienne à Toronto, elle était déjà contrôlée par des actionnaires torontois. Harper veut continuer le mouvement historique, c'est tout.
Une autre vieille invasion menace Montréal ces mois-ci: la fermeture éventuelle de la raffinerie Shell. C'est une conséquence collatérale et lointaine d'une autre vieille crasse économique canadienne: la ligne Borden. En 1947, le Canada a adopté une politique tellement infâme, qu'il est difficile d'en trouver l'équivalent dans aucune économie démocratique. Son gouvernement a en effet établi une frontière intérieure pour empêcher la libre circulation d'un produit stratégique dans son espace économique: le pétrole. Aberrant et incroyable, le pétrole de l'est, raffiné à Montréal, ne pouvait plus être vendu au delà de la rivière des Outaouais. C'est comme si les Américains avaient bloqué le coton à l'est du Mississipi. Ou si la France empêchait les vins de Bourgogne ou de Bordeaux de se vendre à Paris!
Jusque-là Montréal avait dominé, pour des raisons géographiques évidentes, le raffinage du pétrole au Canada et du même coup, la puissante industrie pétrochimique. Le pétrole arrivait ici à des prix très bas, venant du Moyen-Orient, nous le transformions et le vendions partout. Avec cette ligne absurde, le centre de raffinage de Montréal-est a été cruellement blessé et ne s'en est jamais remis. C'est Sarnia, dans sa situation anti économique et créée artificiellement qui nous a remplacé avec du pétrole plus cher, venant de l'ouest, et que nous avions en plus subventionné!
L'indépendance nationale est une question de dignité, d'identité, de culture. Ne pas l'avoir a, par ailleurs, un coup matériel astronomique qui finit par faire mal aussi à la dignité. Des milliers de travailleurs québécois qui ont été frustrés de leurs emplois peuvent en témoigner de façon bouleversante. L'automobile concentrée à cent pour cent en Ontario, le raffinage du pétrole largement perdu, et maintenant la finance régie à Toronto. Ces gens-là avaient donc aussi de bonnes raisons économiques de nous voler le référendum en nous faisant croire qu'ils nous aimaient!
Bernard Landry



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