Il est aujourd'hui risqué pour un homme musulman de s'exprimer sur la question du voile islamique. D'autant plus s'il est pour le respect du choix de la femme qui décide de porter le foulard et contre toute interdiction qui pourrait brimer ce choix. Pourtant, la persistance de cette question dans le débat public et la tournure, parfois carrément malsaine, que ce débat prend de temps en temps ne laissent plus vraiment le choix.
J'ose donc participer au débat en espérant ne pas être associé aux égorgeurs de femmes non voilées de l'Algérie des années 1990, association que certains ont eu le culot de faire à propos de la dernière position de la Fédération des femmes du Québec (FFQ).
Cas typique d'un dialogue de sourds, la question du voile islamique semble être venue au monde pour ne jamais mourir, trop émotive qu'elle est pour que, en fin de compte, nous puissions la mettre de côté et passer à autre chose. Ce fichu semble en effet devenir, malgré lui, par la force de l'émotion, le rocher de tous les Sisyphe de nos temps postmodernes. Sauf que, contrairement au Sisyphe de la mythologie grecque, les nôtres semblent tirer plaisir de leur calvaire.
Positions contradictoires
C'est que, à la fin, nous avons entendu et même réentendu les arguments des uns et des autres, et ce, pour être honnête et le dire crûment, à en avoir la nausée. Nous avons ainsi compris que certains pensent que le voile est soumission, abomination, à la limite crime contre la modernité, voire contre l'humanité.
Pareillement pour les autres. Nous avons saisi qu'ils rejettent les arguments des premiers et qu'au contraire, ils voient dans ce fichu un simple choix personnel que l'État ne peut brimer sans tourner le dos à ses principes, ses chartes et ses lois. Les positions sont contradictoires et les uns comme les autres tiennent mordicus à avoir finalement raison, sans nécessairement entendre les raisons des autres et, encore moins, entendre raison tout court.
Derrière le bruit
Mais, que cache ce brouhaha interminable? Il me semble qu'il y a là une volonté manifeste de se voiler justement la face. Non pas avec le niqab, à l'instar de cette musulmane voilée qui reste, à bien y réfléchir, la seule à être sobre dans son choix de vie, quand bien même ce choix serait aliénant comme le voudrait la doxa des «émancipés-émancipateurs».
Ce sont plutôt et finalement ces derniers qui, à mon humble avis, s'efforcent par leur brouhaha de se cacher à eux-mêmes leur être le plus intime. Ils peinent à accepter en effet le fait que, depuis que le monde est monde, aussi bien lorsque la religion s'est voulue contrainte imposée et inquisition que lorsque l'athéisme s'est proclamé preuve suprême du patriotisme, il eut des individus qui ont servi la vérité du moment et d'autres qui l'ont refusée.
Or, qu'est-ce donc la vérité du jour si ce n'est que l'islam seul, parmi toutes les religions du monde, est fatalisme, fanatisme, soumission? Comment expliquer autrement cet entêtement à signifier à toutes celles qui proclament à tue-tête avoir choisi d'elles-mêmes pour elles-mêmes, qu'elles se trompent elles-mêmes pour le compte de l'hydre islamiste?
Seule vérité
Si nous voulons réellement faire avancer le débat sur le voile, il est grand temps de traiter moins du voile et plus de ce qu'il cache, c'est-à-dire le drame de nos «émancipés-émancipateurs». Drame parce qu'ils veulent, tout en se proclamant des Lumières et des valeurs de la liberté et de l'égalité, mettre l'État, comme l'Église jadis, au service de leur seule et unique vérité.
L'État doit interdire, chasser l'hérétique de la modernité de l'institution publique conçue comme un espace sacré, à l'image d'un lieu de culte, d'une mosquée, à l'intérieur de laquelle on ne peut se prévaloir de notre droit de s'accoutrer comme bon nous semble. La femme musulmane, finalement, dérange non pas parce qu'elle est aliénée, mais bien plutôt parce qu'elle dévoile, par son fichu justement, un autre voile, de loin plus épais et plus dangereux, car inconscient et liberticide, des nouveaux clercs qui veulent mettre l'État laïc au service de leur vérité intolérante, quand bien elle se proclame de Voltaire et de Condorcet.
Les nouveaux clercs
Il est aujourd'hui risqué pour un homme musulman de s'exprimer sur la question du voile islamique.
Port de signes religieux
Abdelaziz Djaout2 articles
Abdelaziz Djaout, Doctorant en sociologie, Université du Québec à Montréal
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