Les petits carrés rouges

L'État québécois a dilapidé les recettes fiscales depuis plus de 10 ans et Dubuc vient pleurnicher sur l'incapacité des riches à payer plus d'impôt. Quelle connerie!


Ceux qui ont regardé la Soirée des Jutra dimanche soir à Radio-Canada n'ont pas pu ne pas remarquer qu'à peu près tout le monde arborait fièrement un petit carré rouge à la boutonnière ou sur le corsage, le symbole de l'appui à la grève des étudiants contre la hausse des droits de scolarité.
Je ne reproche évidemment pas aux artistes et aux artisans du cinéma d'être du bord des étudiants. C'est leur droit le plus strict. Ce que je veux plutôt souligner, c'est que ce genre d'appui illustre bien la dynamique de trop de débats publics au Québec.
Au départ, on pouvait s'étonner de l'unanimité de cet appui du monde du cinéma, avec ses relents de pensée unique, dans un monde qui devrait célébrer l'indépendance d'esprit. Cela peut s'expliquer par la stratégie astucieuse des étudiants qui distribuaient leurs carrés rouges à l'entrée du Théâtre St-Denis. Il devenait difficile pour les invités du gala de les refuser sans mal paraître.
Mais le terreau était fertile. Les artisans du cinéma sont des alliés naturels des étudiants, parce que le monde des arts est plus à gauche, qu'il est plus souverainiste que la moyenne, qu'il n'a pas d'atomes crochus avec le gouvernement libéral.
Ensuite, sans caricaturer, on peut ajouter que le monde des arts d'interprétation oeuvre dans un espace d'émotions, de sensibilité et d'empathie. Des qualités que l'on retrouvera quand ces artistes participent aux débats publics - qu'on pense à Pierre Curzi. C'est d'ailleurs ce qui constitue un de leurs apports à la vie collective.
S'ils regardent les choses à travers le prisme des émotions, les artistes auront tendance à être touchés par de belles causes. La bataille des étudiants, si on reste au premier degré, si on se limite aux images, en est certainement une. Des jeunes, sympathiques, qui veulent changer le monde, contre des politiciens usés. Des jeunes qui veulent étudier contre des vieux qui veulent les faire payer. La justice sociale contre la logique comptable.
J'ai écrit plus d'une fois pour dire que, sur le fond, ce débat reposait sur des bases fumeuses. Parce que la hausse des droits ne pénalisera pas les pauvres. Parce que le gel des droits n'est pas progressiste, mais plutôt une mesure fiscale régressive. Parce que si l'enjeu est que tous les enfants aient une chance d'étudier, le gel des droits n'est certainement pas la façon d'y arriver. Mais sur le plan de l'image, la logique défendue par les étudiants est attrayante.
Il y avait quand même un paradoxe dans l'appui quasi unanime aux étudiants lors de la Soirée des Jutra. Ce gala était diffusé sur une chaîne de télé subventionnée. L'industrie que l'on célébrait n'existerait tout simplement pas sans subventions. Je ne m'oppose absolument pas à cette aide publique, qui donne des résultats remarquables. Ce qui m'agaçait toutefois, c'est que les gens du cinéma, qui ont besoin de ces fonds publics, soient si indifférents aux contraintes de ceux qui doivent s'arranger pour que l'argent puisse être disponible.
Car c'est aussi ça, le débat sur les droits de scolarité: des universités qui manquent cruellement d'argent, l'importance de soutenir le réseau universitaire, en sachant que le gouvernement est en crise financière. Une impasse qu'on ne peut pas résoudre seulement en faisant payer les riches. Comment trouver des sous? Qui doit payer? Comment répartir cet effort de façon juste?
Le dossier, défini de cette façon, devient plus ingrat et est certainement moins mobilisateur. Mais il est nécessaire d'aborder ces enjeux, de poser ces questions plates. C'est ce que j'ai choisi de faire, même si cela me rend moins populaire que si j'avais un petit carré rouge à la boutonnière.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé