Les pipelines, nerf de la guerre?

Les environnementalistes veulent limiter les moyens de transporter le pétrole des sables bitumineux pour freiner leur exploitation. L’industrie assure qu’il coulera d’une façon ou d’une autre.

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Ainsi donc, le pétrole des sables bitumineux albertain pourrait couler vers l’est grâce au projet de pipeline transcanadien annoncé cette semaine ; vers l’ouest si le projet Northern Gateway voit le jour ; vers le sud si le gouvernement américain approuve le projet Keystone XL qui aboutit au Texas. Des débouchés dans toutes les directions pour cette énergie fossile dont la production est de 5 à 15 % plus polluante que celle des pétroles bruts conventionnels.

Aux États-Unis, le projet Keystone XL est désormais inextricablement lié à la lutte contre les changements climatiques. Les groupes environnementalistes ont réussi à en faire un véritable test pour le gouvernement Obama dans son désir de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).

Dans cette optique, la question est pour eux de savoir si la construction du pipeline Keystone XL aura pour effet d’augmenter davantage la production canadienne des sables bitumineux, sachant que l’industrie souhaite la faire passer de 1,7 à 6,7 millions de barils par jour d’ici 2030. Sachant également que, si les États-Unis en venaient à bouder les sables bitumineux, c’est sur les marchés mondiaux que ceux-ci seraient écoulés, en passant par exemple par le pipeline, en partie déjà existant, reliant l’Alberta au Nouveau-Brunswick (projet annoncé jeudi par TransCanada, qui prévoit d’y investir 12 milliards de dollars).

Au final, les environnementalistes sont persuadés qu’un frein au développement des infrastructures de transport du brut, et l’engorgement qui en résulterait, pourrait forcer l’industrie à revoir à la baisse ses prévisions de croissance.

Les pétrolières assurent au contraire que les projets d’expansion iront de l’avant avec ou sans l’ajout du nouveau pipeline Keystone XL et que, dès lors, la question climatique n’est pas pertinente dans le débat.

Dans un rapport paru fin juillet, le Natural Resources Defence Council soutenait que l’approbation de Keystone XL aurait pour effet d’augmenter les émissions de GES de 1,2 milliard de tonnes sur toute la durée de vie du pipeline, estimée à une cinquantaine d’années. C’est plus que ce que le parc automobile américain entier rejette dans l’atmosphère en une année, précise le rapport. Le NDRC estime en effet que, sans Keystone XL, une augmentation de la production est « improbable ». « Notre analyse démontre clairement que le pipeline Keystone XL doperait le développement des sables bitumineux, exacerbant ainsi le problème de la pollution climatique », explique Susan Casey-Lefkowitz, directrice du programme international du NDRC.

Il n’en est rien, assurent d’une même voix l’industrie et le gouvernement canadiens : les projets de développement sur la table se feront de toute façon. Quelques jours après l’annonce du NRDC, l’ambassadeur Gary Doer prévenait d’ailleurs le président Obama que, sans Keystone XL, l’industrie n’aurait d’autre choix que de se tourner davantage vers le réseau ferroviaire, qui assure déjà le transport de près d’un million de barils par jour à l’échelle nord-américaine, avec les risques que l’on connaît.

Jusqu’à maintenant, l’engorgement des infrastructures sur le marché pétrolier nord-américain semble avoir peu d’effet sur le développement des sables.

Début juillet, Shell obtenait d’ailleurs le feu vert des autorités pour son projet d’expansion Jackpine, qui augmentera sa production de 100 000 barils par jour.

Selon Michael Levi, directeur du programme sur la sécurité énergétique et le climat au Council on Foreign Affairs, le NDRC a exagéré la gravité de la décision que doit prendre le président américain. « Le NDRC prétend que la construction d’un pipeline d’une capacité de 830 000 barils par jour permettra à l’industrie d’en produire cinq millions de plus par jour, dit-il. En réalité, quand vous voulez produire cinq millions de barils par jour, vous construisez des pipelines d’une capacité de cinq millions par jour. » Ce qui ne veut pas dire qu’il partage la position de l’industrie. « Elle exagère quand elle clame qu’il n’y aurait aucun impact au rejet de Keystone XL, dit-il. C’est difficile à croire. »

Il y a en effet des limites, selon lui, à se replier sur le réseau ferroviaire. « Je crois qu’il y aura certainement une augmentation du transport par train, reconnaît-il. Mais le train étant beaucoup plus cher que le pipeline, cela pourrait réduire la production, sans toutefois la stopper. Quand les transports deviennent plus coûteux, il y a certains projets qui deviennent non rentables. »

Un avis que partage Jean-ThomasBernard, professeur invité à l’Université d’Ottawa, spécialiste de l’énergie. « Le système ferroviaire canadien n’a pas été conçu pour transporter du pétrole, ça remonte à 150 ans, ça, rappelle-t-il. Le coût d’expédition par pipeline est de 3 $ le baril tandis que par train, c’est 10 $. Alors, c’est sûr que ce n’est pas leur premier choix. »

Selon Reynold Tetzlaff, directeur national pour l’énergie à PwC Canada, le débat sur Keystone XL est essentiellement politique. « Je ne crois pas qu’il y ait eu une seule élection américaine dans les 50 dernières années où un projet de pipeline ait été discuté dans le programme électoral des partis », dit-il. Selon lui, beaucoup de projets d’expansion se feront de toute façon, quitte à exporter le pétrole par rail. « Les sociétés vont trouver un moyen ou un autre de sortir leurs barils sur le marché. Mais Keystone XL leur rendrait la tâche plus facile. Et si, comme ç’a été le cas dans le passé, les prix venaient à chuter, nous pourrions toujours retarder certains projets. Il est rare que des projets soient abandonnés. »

Pour Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et spécialiste des politiques énergétiques, le rejet du projet Keystone XL aurait tout de même pour effet de « limiter la croissance », surtout s’il n’est pas compensé par l’approbation des autres projets de pipeline sur la table. « Le Northern Gateway semble ne pas du tout être accepté, le Trans Mountain [de Kinder Morgan] fait aussi face à une opposition », dit-il. « Est-ce que les projets vers l’est vont se réaliser ? Il y a beaucoup de points d’interrogation qui à court terme ne semblent pas recevoir beaucoup de réponses positives ; alors, certainement, dans les deux prochaines années, on ne va pas avoir des annonces d’investissements majeurs. »

S’il est approuvé, le pipeline vers l’est projeté par TransCanada expédierait jusqu’à 1,1 million de barils par jour. Comme d’autres projets de pipelines vers l’est, qui misent en partie sur des infrastructures déjà existantes, celui-ci se heurte à moins d’opposition que les projets Keystone XL ou Northern Gateway, qui impliquent la construction de nouveaux pipelines. Ainsi, seulement 40 % des Canadiens voient d’un bon oeil la construction d’un pipeline vers la côte ouest, révélait en novembre un sondage d’Environics Research. Mais lorsqu’il est question de profiter d’infrastructures déjà existantes pour expédier le brut vers la côte est, la proportion passe à 60 %.

Finalement, un ralentissement significatif de la production de sables bitumineux semble improbable, Keystone XL ou pas. « Il faudrait qu’il y ait un genre de boycottage à l’échelle de la planète où l’extraction comme telle des sables bitumineux serait pénalisée, croit M. Bernard. Sans ça, ce pétrole-là va trouver sa place sur le marché mondial. »


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