Boom minier

Des leçons à tirer du Chili

Politiciens ou politichiens? Comptables de l'intérêt public ou mercenaires des oligarchies cupides?


Antoine Dion-Ortega - Au Chili, le boom de l'exploitation minière à grande échelle a signifié des sacrifices et des concessions que le gouvernement peine de plus en plus à justifier auprès de la population. À l'heure où le premier ministre Jean Charest ouvre toute grande la porte aux investissements miniers, quelles leçons les Québécois peuvent-ils tirer de l'expérience chilienne?
Dans la vallée del Carmen, à quelques dizaines de kilomètres du mégaprojet aurifère de Pascua Lama, les habitants sont inquiets: l'un des affluents qui descendent de la Cordillère est de couleur café, alors qu'il n'a pas plu depuis des jours. Ici, les garanties données par les minières ou les autorités locales ne suffisent plus à rassurer ces populations agricoles, qui se disent condamnées.
«S'ils nous détruisent la rivière, il va falloir partir d'ici, craint Rodrigo Villablanca, un agriculteur de Pastalito. L'eau sera contaminée, les terres dégradées, on ne pourra plus rien cultiver.» Déjà, en aval, la rivière del Carmen est asséchée sur un tronçon de huit kilomètres, ce qui n'était pas le cas avant, assurent les agriculteurs.
Les activités d'exploration ou de construction minières cohabitent mal avec les activités traditionnelles de la vallée, confrontant les communautés à un dilemme qui n'est pas sans provoquer de profondes dissensions. «J'ai eu des conflits avec des voisins qui travaillaient à la mine, à qui je ne parle plus, confie M. Villablanca. Ils disent: "tu es un peu fou, tu ne veux pas en profiter". Mais la plupart savent qu'ils sont en train de détruire la vallée et, le soir, quand ils boivent, ils pleurent.»
Au Chili comme au Québec, c'est la promesse d'emplois payants qui ouvre la voie à l'acceptabilité sociale des mégaprojets extractifs. Or, dans la vallée del Carmen comme dans bien d'autres régions du Chili, ce mode d'exploitation est moins associé à la création d'emplois qu'à la destruction du potentiel agricole ou touristique, jamais comptabilisée par le gouvernement.
Pourtant, s'il est un pays où ce mode d'exploitation aurait dû éponger ces pertes par la création massive d'emplois, c'est bien le Chili, dont la valeur des exportations de minerais se chiffre à plus de 40 milliards annuellement. Dans les faits, le secteur n'a jamais représenté plus de 1 % de la force de travail du pays, selon la Commission chilienne du cuivre (COCHILCO) — moins que la restauration et l'hôtellerie. Chiffre auquel on pourrait devoir soustraire, à l'avenir, les pertes occasionnées par la diminution de la ressource hydrique. «Non, l'emploi n'est plus un argument valable», constate l'économiste Julián Alcayaga, directeur du Comité pour la défense du cuivre.
Le produit transformé et le brut
Le Chili, tout comme le Québec, n'oblige pas les mines privées à transformer le minerai sur place. Si certaines mines affinent le cuivre, beaucoup préfèrent l'exporter sous forme de concentré.
Depuis leur arrivée au pays, dans les années 1990, les mines privées se sont montrées plus enclines à exporter du concentré que la société d'État CODELCO. Ainsi, si en 2010, la part de sa production qu'exportait CODELCO sous forme de concentré n'était que de 6 %, celle des mines privées s'élevait à 46 %.
Ce problème n'est pas étranger à celui soulevé au Québec, où il est urgent, selon Daniel Roy, directeur du Syndicat des métallos, d'obliger ou d'inciter les minières à transformer le minerai de fer sur place. Si le gouvernement se soucie tant de créer des emplois, M. Roy lui rappelle qu'un emploi direct dans une mine a le potentiel d'en créer trois ou quatre indirectement.
«Au Québec, la majorité du concentré et de la boulette dans les nouvelles mines s'en va dans les pays émergents. À Schefferville, les mines ne font aucune transformation, ils exploitent le sous-sol, embarquent ça à bord de bateaux et s'en vont transformer ça ailleurs. Ça, c'est inacceptable», soutient-il.
Impôts et redevances: là où le bât blesse
Même si elles ne transforment pas le minerai et embauchent peu de travailleurs locaux, les minières ont tout de même le potentiel de contribuer considérablement aux recettes de l'État, par l'entremise de divers mécanismes fiscaux.
Au Chili, toutes les contributions fiscales des minières privées sont calculées sur la base des profits déclarés. Une minière qui ne fait pas de profit ne paie donc pas d'impôt, peu importe la quantité de minerai qu'elle a extraite du sous-sol.
Dans les périodes où les cours sont élevés, comme c'est le cas aujourd'hui, ce mode de calcul peut sembler pertinent. Ainsi, en 2010, les dix grandes mines privées ont contribué pour un total de 4,4 milliards aux finances de l'État.
Le problème commence quand les cours sont plus bas et que les minières usent de procédés comptables pour réduire leurs profits, voire déclarer des pertes. C'est lors des travaux la commission du Sénat sur la contribution des mines, en 2003, que les Chiliens se sont brusquement rendu compte des limites de cette mécanique fiscale: on y apprenait que, depuis leur établissement au pays, au début des années 1990, seules deux minières privées avaient payé des impôts, les autres déclarant systématiquement des pertes grâce à une série d'astuces comptables. Leur contribution moyenne s'établissait à 172 millions par année, soit 1,3 % de la fiscalité nationale, selon la COCHILCO. Durant cette même période, les minières privées ont pourtant extrait du sous-sol plus de 24 millions de tonnes de cuivre.
Le scandale de la mine Disputada de las Condes, surtout, allait devenir le triste symbole de cette «décennie perdue»: pendant les 23 années où elle fut propriété de la multinationale Exxon, la compagnie minière n'a pas versé un seul sou à l'État.
Rappelant l'origine historique de la royalty, cette part de la production qui devait être remise au roi, M. Alcayaga est catégorique. «Le minerai appartient à l'État, soutient-il. Alors, il faut remettre à l'État un pourcentage du minerai extrait, et non des profits, puisque les profits, on peut les faire disparaître.»
Depuis 2011, les étudiants chiliens qui manifestent dans la rue contre le sous-financement du système d'éducation ne cessent de souligner les profits colossaux enregistrés par les minières — 20 à 30 milliards, selon les chiffres de M. Alcayaga, soit plus des deux tiers du budget de l'État. Une chose est sûre: les perceptions ont changé, au pays des mines.
«Il s'est installé une perception citoyenne, à l'échelle nationale, selon laquelle l'industrie minière ne représente plus autant de bénéfices, comme on nous l'a enseigné à l'école, il y a 20, 30 ans, quand les mines constituaient le principal gagne-pain du Chili», constate Lucio Cuenca, directeur de l'Observatoire latino-américain des conflits environnementaux.
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Collaboration spéciale


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