Il y avait un moment qu'on ne nous parlait plus de notre grosse peine d'Abraham. Pendant toute une génération, en effet, la guerre de Sept Ans et la Conquête du Canada par les Britanniques ont cessé d'occuper les historiens québécois, au profit de perspectives socioéconomiques qui minoraient 1760 pour embrasser plus largement toute l'époque préindustrielle. Ces jours-ci, il n'y avait pratiquement plus que les spécialistes de l'histoire amérindienne pour réfléchir sérieusement aux changements engendrés par la chute de la Nouvelle-France. En plus, bien sûr, des adeptes de l'histoire militaire, qui sont comme la «basse continue» de la production historiographique.
Dans ses dimensions canadiennes, le sujet de la guerre de Sept Ans est bel et bien mûr pour une cure de rajeunissement. En langue française, l'ouvrage de référence demeure celui de Guy Frégault... publié en 1955. Même le fameux «débat sur les conséquences de la Conquête», qui opposait les historiens de Québec et de Montréal à l'aube de la Révolution tranquille, s'était effectué avec une remarquable économie de «faits», presque en roue libre. Certaines données de base, comme le tableau des victimes civiles, sont toujours manquantes. Et la dernière synthèse consacrée au conflit qui a mis fin à la colonisation française en Amérique, le livre de l'Américain Fred Anderson paru en 2000, est l'oeuvre d'un historien apparemment incapable de lire les documents rédigés en français.
C'est dire l'impatience avec laquelle plusieurs attendent l'ouvrage de l'historienne Louise Dechêne sur la milice et la guerre en Nouvelle-France, ouvrage qui doit paraître à titre posthume cet automne chez Boréal. Au programme des mythes à décaper: le colon canadien qui aime et connaît la guerre, le rôle marginal des guerriers amérindiens, l'incompétence de Montcalm et des officiers «français de France» à la veille de la chute de Québec. Pour la première fois en cinquante ans, une historienne a repris l'ensemble du corpus documentaire relatif à la guerre de la Conquête. Comme avec les précédents ouvrages de Dechêne, l'image de la Nouvelle-France promet d'en ressortir à jamais transformée.
C'est donc surtout «en attendant» qu'on feuillettera un ouvrage comme le Dictionnaire des batailles terrestres franco-anglaises de la guerre de Sept Ans, de Jean-Claude Castex. L'auteur a passé plusieurs décennies à compiler des données factuelles et iconographiques sur chacun des 135 raids, sièges et batailles de cette guerre, épisodes recensés sur quatre continents. Le résultat fait un peu penser à l'histoire «soldat de plomb» des documentaires de la chaîne Historia, avec ses rubriques bien ordonnées: date, latitude et longitude du champ de bataille, effectifs militaires en présence, tactiques, résumé de l'action (en quelques pages), pertes humaines. Il ne manque que le calibre des canons.
Les données de ce catalogue proviennent entièrement de travaux d'historiens -- certains pas très frais, ce qui peut donner des phrases comme celle-ci, à propos du Mississippi français: «Au contraire des colonies des autres nations européennes, les [esclaves] Noirs y étaient traités humainement.» Il est tout de même étrange de voir figurer un ouvrage de ce genre au catalogue d'un éditeur universitaire. Cela dit, hormis son goût pour les expressions anachroniques («nettoyages ethniques», «maquisards acadiens», Vaudreuil un gouverneur «pied-noir»), Castex a su présenter avec simplicité une sorte de journal de la guerre de Sept Ans qui a le mérite de rappeler aux amateurs la dimension mondiale du conflit et de proposer une lecture un peu différente de la Conquête: l'affrontement principal en Europe opposait la France à la Prusse; la Grande-Bretagne ne s'est alliée à celle-ci que pour profiter de la situation en Amérique.
1760 ou 1960 ?
[->5414] Pour René Boulanger aussi, la défaite de la France en Amérique n'était pas inévitable. Dans La Bataille de la mémoire, cet écrivain rejette l'argument du profond déséquilibre démographique et militaire entre les empires français et britanniques d'Amérique, argument qui relèverait d'une idéologie de l'acceptation. Il examine les «facteurs de force» stratégiques sur lesquels la Nouvelle-France aurait pu s'appuyer pour résister avec succès... si son état-major n'avait pas été divisé entre Canadiens volontaires et Français défaitistes.
Il n'y a pas que cette idée d'«intrusion» métropolitaine néfaste qui sente le réchauffé dans ce livre paru aux Éditions du Québécois. Boulanger semble livrer dans le théâtre de 1760 un combat décolonisateur avec le langage de 1960. À la suite de la Conquête, écrit-il, «nous avons vécu l'oppression linguistique, nous vivons encore sous un système de ségrégation scolaire et sociale qu'on camoufle sous un vocable bien-pensant. Notre bourgeoisie est largement anglo-saxonne et la minorité coloniale continue d'être celle de l'opulence, à l'ombre des châteaux de Westmount.» En somme, dans cette histoire tout entière au service du «présent», «le Nous de 1759 et celui de 2006, c'est le même». Tout est là. C'est préfacé par Pierre Falardeau, avec beaucoup de gros mots.
Collaborateur du Devoir
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Dictionnaire des batailles terrestres franco-anglaises de la guerre de Sept Ans
Jean-Claude Castex
Presses de l'Université Laval, Québec, 2006, 601 pages
La bataille de la mémoire
Essai sur l'invasion de la Nouvelle-France en 1759
René Boulanger
Éditions du Québécois, Québec, 2007, 160 pages
Histoire
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