Éric Desrosiers - Loin de combler leur retard, les Québécois sont en train de se faire semer en matière de revenu par leurs compatriotes des provinces canadiennes les plus riches et d'être rattrapés par ceux des provinces les plus pauvres, conclut une étude.
Chaque Québécois disposait de l'équivalent de 4740 $ de pouvoir d'achat de moins qu'un Ontarien en 2009, une fois qu'on a tenu compte des différences de coûts de la vie et de l'effet de la fiscalité fédérale, rapporte une étude du professeur de HEC Montréal Martin Coiteux, publiée hier par le Centre sur la productivité et la prospérité du même établissement. Le retard québécois s'élevait à 3597 $ par personne avec la Colombie-Britannique, à 9146 $ avec l'Alberta et à 1778 $ avec les autres provinces des Prairies. Les Maritimes (- 3191 $) et Terre-Neuve (- 3802 $) accuseraient toujours, de leur côté, un déficit par rapport au Québec.
Loin de s'améliorer, la situation relative des Québécois se serait dégradée par rapport à chacune des autres provinces entre 1976 et 2009 en matière de revenu brut. Ce recul relatif en plus de 30 ans n'a été que de 680 $ par personne par rapport à la Colombie-Britannique, indique l'étude, qui se base sur les chiffres et le concept «d'équivalent adulte d'une même famille» de Statistique Canada, mais s'est élevé 4493 $ avec l'Ontario, à 6663 $ avec Terre-Neuve et à plus de 12 600 $ avec l'Alberta.
Ces écarts se trouvent réduits lorsque l'on tient compte du coût de la vie, qui est moins élevé au Québec que dans plusieurs autres provinces et qui confère aux Québécois un meilleur pouvoir d'achat pour les mêmes revenus bruts. Mais cela ne remet pas en cause la tendance générale, précise Martin Coiteux.
Productivité déficiente
Trois grands facteurs expliquent cette mauvaise performance du Québec, dit-il. L'un d'eux est la plus faible proportion de Québécois au travail, à cause de leur tendance, entre autres, à prendre leur retraite plus tôt que les autres Canadiens.
Un autre facteur est le moins grand nombre d'heures travaillées, que ce soit parce que des travailleurs n'arrivent pas à trouver mieux qu'un emploi à temps partiel ou parce que le Québec compte relativement plus d'emplois dans le secteur public que les autres provinces, et que la semaine de travail y est généralement plus courte que dans le secteur privé.
Le plus important facteur, de loin, se révèle toutefois les revenus tirés par chaque heure travaillée. «C'est un signe, entre autres, du retard du Québec en matière de productivité, a expliqué Martin Coiteux en entretien téléphonique au Devoir. Cela peut tenir au taux de décrochage scolaire des jeunes, au fait que des gens n'étudient pas dans les secteurs qui s'avèrent les plus payants ou encore aux types d'emplois qu'on retrouve dans l'économie». L'économiste admet que toutes les provinces ne peuvent pas compter sur une industrie pétrolière florissante et aux généreux salaires, comme l'Alberta, mais affirme que, mis à part l'avantage que confèrent les ressources naturelles, les bons emplois vont là où ils trouvent les bonnes conditions pour se développer.
On a beaucoup vanté les mécanismes de redistribution de la richesse au Québec, poursuit l'étude. On constate, en effet, que ses écarts de revenus avec les autres provinces sont bien minces pour la tranche des 20 % de personnes les plus pauvres. «Mais l'écart bondit pour tous les autres, et se creuse à mesure que l'on progresse dans l'échelle des revenus», dit son auteur, réduisant d'autant la capacité de l'État de prélever des revenus fiscaux.
Voix discordantes
Les conclusions de l'étude de 29 pages rejoignent largement celles d'une autre étude, signée celle-là par le professeur émérite et économiste associé au CIRANO Marcel Boyer et dévoilée le mois dernier. L'économiste y constatait que la performance économique globale du Québec «traîne dangereusement derrière celle du reste du Canada et des États-Unis» depuis le début des années 80. L'auteur en appelait à une «nouvelle révolution tranquille pour renouer avec l'esprit entrepreneurial, tant corporatif que social».
Un autre professeur émérite d'économie, Pierre Fortin, dénonçait pour sa part, dans nos pages cet automne, «les discours négatifs de la droite et de la gauche sur la performance économique du Québec». «Entendons-nous, écrivait-il, à titre de chroniqueur d'un jour. La croissance économique du Québec n'a rien d'époustouflant. Mais ce n'est pas vrai que notre niveau de vie recule systématiquement par rapport à celui des autres. En niveau absolu, nous avons aujourd'hui pratiquement rejoint l'Ontario et la Colombie-Britannique. Sur le plan international, nous nous classons au 14e rang parmi les 20 pays les plus riches de l'OCDE.»
Également chroniqueur radio et blogueur, Martin Coiteux sait parfaitement dans quel débat de société il ajoute sa voix. Il disait hier ne pas vouloir s'engager dans un duel méthodologique avec certains de ses confrères. «Je me contente, dans mon étude, de dresser le portrait de la situation du point de vue des revenus des individus. Il nous reste maintenant à décider de ce qu'on fera pour nous attaquer au problème.»
Les Québécois, ces pauvres Canadiens
L'écart de revenu se creuse avec les provinces les plus riches, et il se rétrécit avec les plus pauvres
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé