La crise financière mondiale qui s'aggrave, la chute des prix des matières premières à l'échelle mondiale et le risque grandissant d'une récession mondiale dévoilent des faiblesses inquiétantes de l'économie canadienne. Le simple fait de nous en remettre à nos «bases solides» et d'autres formes d'insouciance économique ne protégeront pas les Canadiens de la tempête qui s'annonce.
Les bases économiques canadiennes sont tout sauf solides
La performance macroéconomique s'est considérablement affaibli depuis l'entrée au pouvoir du gouvernement actuel au début de 2006. La croissance économique s'est en grande partie arrêtée. La productivité est en baisse. La récente expansion était surtout le résultat d'une hausse des prix des produits de base et d'une bulle dans le secteur du logement, deux phénomènes qui tirent à leur fin.
Les marchés du travail ont faibli et le volume d'emploi devrait diminuer davantage au fur et à mesure que le ralentissement se fera sentir. Certains secteurs sont déjà sévèrement touchés. Plus de 300 000 emplois en fabrication ont été perdus. Malgré cela, moins de 40% de travailleurs au chômage ont droit aux prestations d'assurance-emploi.
À l'exception du pétrole et des minéraux, nos exportations nettes ont considérablement fléchi. Les revenus enregistrés des sociétés, des gouvernements et de certains ménages ont été gonflés un certain temps en raison des prix records des produits de base sur les marchés mondiaux. Mais une dépendance excessive à l'égard de l'extraction des ressources naturelles ne constitue pas une base durable pour nos progrès économiques futurs.
Entre-temps, en grande partie en conséquence de cette dépendance grandissante, le Canada a manqué lamentablement de faire sa part pour ce qui est de l'effort mondial de restreindre les émissions de gaz à effet de serre.
Bien que les institutions financières canadiennes ne se soient pas autant adonnées à des pratiques risquées que leurs homologues américains, la Banque du Canada s'est déjà vue obliger de fournir des milliards de dollars en liquidité à court terme. Les conditions du crédit au Canada apparaissent de plus en plus incertaines, restreintes et coûteuses, ce qui mettra inévitablement un frein aux dépenses et à l'activité éonomique dans les mois qui viennent.
Les ménages canadiens sont plus endettés que jamais, avec 1,25 $ de dette pour chaque dollar de revenu disponible. Etant donné les manchettes pessimistes, la chute des valeurs boursières et immobilières, et leurs finances précaires, les Canadiens commencent à réduire leurs dépenses de consommation.
De nombreux Canadiens ont peu profité des périodes prospères : les taux de pauvreté au Canada n'ont pas accusé une baisse significative et les salaires réels ont à peine augmenté, bien que les bénéfices des sociétés aient atteint des sommets records. Mais la possibilité d'une récession est maintenant une menace qui pourrait toucher tout le monde, que nous ayons ou non profité des périodes prospères.
La crise exige une réponse vigoureuse du gouvernement
Dans l'ensemble, la politique économique canadienne au cours des dernières années a été de réduire la portée du gouvernement (au moyen de réductions d'impôt, de déréglementation et de privatisation), de sanctionner une économie de plus en plus axée sur l'exploitation des ressources naturelles, et de laisser passer la chance d'utiliser les recettes grandissantes provenant des matières premières pour améliorer la productivité, la prospérité et la stabilité à long terme. Certains politiciens souhaitent réduire davantage l'étendue et l'influence du secteur public.
Les conséquences spectaculaires de la crise financière observées au cours des dernières semaines ont dissipé l'illusion selon laquelle les marchés peuvent s'autoréglementer. Les coûts immenses de ce laisser-aller ont été clairement démontrés. Le gouvernement et ses institutions doivent maintenant faire preuve de leadership et jouer un rôle plus actif dans la stabilisation des marchés financiers, la stimulation des investissements réels et le maintien de l'emploi et des revenus.
La baisse contagieuse observée en économie réelle et financière entraînera probablement une diminution des dépenses et des niveaux d'emploi dans de nombreux secteurs et régions de l'économie canadienne. Des mesures de soutien du revenu, l'assurance-emploi en particulier, devraient être renforcées. De plus, les projets d'infrastructure publics, dont ceux visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre au Canada et à accroître le nombre de logements à prix abordable, devraient être améliorés pour maintenir l'emploi et la production (alors que l'activité du secteur privé est en baisse).
Le budget fédéral est en équilibre précaire et il pourrait se solder par un déficit (surtout si le PIB réel amorce sa chute). Le gouvernement actuel s'est engagé à empêcher un tel déficit à tout prix, ce qui signifie qu'il y aura des coupures considérables dans les dépenses publiques au fur et à mesure que les recettes du gouvernement fléchiront. Mais cette ligne de conduite ne fera qu'empirer la récession économique et les pertes d'emploi. Il est bien plus judicieux de maintenir les programmes publics pour appuyer l'emploi et les revenus, même si ceci doit entraîner l'apparition d'un déficit conjoncturel.
La Banque du Canada doit continuer d'appuyer l'industrie financière en injectant des liquidités dans les marchés du crédit et elle devrait réduire les taux d'intérêt pour encourager les emprunteurs. Mais le gouvernement doit également envisager d'autres solutions (dont l'utilisation d'institutions publiques, comme la Société canadienne d'hypothèques et de logement, la Banque de développement du Canada, Exportation et développement Canada et d'autres institutions) pour augmenter les emprunts accordés aux ménages et aux commerces. En même temps, l'industrie financière doit être réglementée à nouveau pour empêcher les excès spéculatifs inutiles qui ont entraîné la crise actuelle.
L'économie mondiale est sur le point d'être frappée par un cyclone financier, qui pourrait peut-être même mener à la pire crise depuis la Grande Dépression des années 1930. Le Canada ne peut s'attendre à rester encore très longtemps dans l'oeil du cyclone, à l'abri de la tempête mondiale. L'histoire économique nous montre que l'intervention gouvernementale est essentielle en temps de crise : à la fois pour stabiliser les marchés et pour atténuer les fléchissements de l'activité économique grâce à des mesures anticycliques.
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Rodrigue Tremblay, professeur émérite en politiques économiques et un groupe de signataires*
*Cosignataires:
Arthur Donner, conseiller économique
Marc Lee, président, Progressive Economics Forum
Mike McCracken, président, Informetrica Ltd.
Martha MacDonald, chaire du Département d'économie, Université St. Mary's
Fiona MacPhail, chaire du Département d'économie, Université de Colombie-britannique du nord
Lars Osberg, chaire, Département d'économie, Université Dalhousie, ancien président de l'Association canadienne d'économique
Hon. Douglas Peters, ancien secrétaire d'Etat fédéral (Finances)
Mario Seccareccia, Département d'économie, Université d'Ottawa
Brenda Spotton, Département d'économie, Université York
Rodrigue Tremblay, Professeur émérite en politiques économiques, Université de Montréal, ancien président de l'Association Canadienne de science économique et ancien Ministre québecois de l'Industrie et 75 autres économistes.
Pour consulter cette lettre ouverte et la liste intégrale des signataires, rendez-vous à l'adresse :
[
http://www.progressive-economics.ca/2008/10/07/open-letter/-> http://www.progressive-economics.ca/2008/10/07/open-letter/]
Lettre ouverte d'économistes à propos de la crise actuelle...
Chronique de Rodrigue Tremblay
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Rodrigue Tremblay, professeur émérite, Université de Montréal, ancien ministre de l’Industrie et du Commerce.
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