En France, la commission d'enquête dirigée par le député André Gérin vient de déposer son rapport sur le port du voile intégral islamique (niqab et burqa). Comme principales recommandations, la mission d'information parlementaire a proposé l'adoption par l'Assemblée nationale d'une résolution accompagnée d'un ensemble de dispositifs législatifs pour restreindre la pratique.
Faute de consensus au sein de la commission, l'idée d'une loi de portée générale a toutefois été écartée. Pour peu de temps sans doute, car le chef de file de la majorité au Parlement, Jean-François Copé, appuyé par un fort contingent de députés UMP, est déterminé depuis décembre à faire adopter une loi d'interdiction portant sur l'ensemble de l'espace public.
Le débat est présent un peu partout en Europe, notamment en Belgique, aux Pays-Bas et maintenant au Danemark. Dans ce contexte, il est fort probable que la question traverse l'Atlantique et agite la société québécoise, encore marquée par la «crise» des accommodements raisonnables. La commission Bouchard-Taylor a tracé les premières balises pour orienter ce débat, en rappelant le parcours historique du Québec en faveur d'une laïcité ouverte, qui admet la manifestation du religieux dans l'espace public au sens large (incluant ainsi les écoles, les hôpitaux, etc.). Si l'État est neutre, les individus ne le sont pas et peuvent donc, au nom de la liberté de conscience et de l'égalité des convictions, manifester leur appartenance religieuse.
Or la burqa vient remettre en question des principes fondamentaux de la société: l'égalité entre les hommes et les femmes, ainsi que l'ordre public. Faut-il alors interdire la pratique? À cette question, non abordée par la commission, plusieurs arguments ont été avancés contre une telle loi:
- elle stigmatiserait la population musulmane et passerait sous silence les véritables problèmes socio-économiques de la communauté;
- elle isolerait davantage les femmes;
- elle ne serait pas la réponse appropriée au problème;
- elle irait à l'encontre de la liberté de conscience.
Ces arguments se déconstruisent pour la plupart assez aisément. Une loi contre le voile intégral ne vise pas à stigmatiser la communauté musulmane, qui condamne elle-même dans sa vaste majorité une pratique jugée rétrograde. La situation socio-économique (pauvreté, chômage, discrimination) de cette population doit bien sûr être la principale préoccupation du gouvernement. Mais en vertu de quelle logique politique celui-ci ne pourrait-il pas s'occuper également de la question de la burqa?
Dans ce débat, on entend parfois qu'une loi d'interdiction nuirait à l'intégration des femmes, qui auraient alors tendance à rester chez elles, ne voulant pas sortir «dévoilées». Cet argument un peu étrange laisse supposer qu'une femme totalement voilée est en mesure de s'intégrer à notre société. De quelle façon? La burqa et le niqab constituent une négation de la femme comme personne et comme citoyenne dans l'espace public. Alors, comment intégrer une personne sans existence qui ne peut être reconnue? Certains préconisent des moyens plus constructifs ayant des effets à long terme, comme l'éducation. Si la loi ne doit pas être le seul dispositif pour changer les mentalités, elle demeure toutefois un indicateur essentiel qui détermine clairement nos valeurs.
On arrive enfin au point le plus délicat: la liberté de conscience. Est-elle conciliable dans le cas présent avec l'égalité entre les hommes et les femmes? La réponse est non. Le voile intégral constitue une grave dérive communautariste qui porte atteinte à la dignité de la femme. Il y a donc un conflit de droits. Quoique fondamentales, nos libertés ne sont pas absolues. Car poussées à l'extrême, elles peuvent nuire aux fondements de la société. Le voile intégral en est le meilleur exemple en plaçant la femme dans une situation inacceptable de soumission, d'exclusion et de réclusion, contraire aux valeurs profondes à partir desquelles nous avons bâti le Québec.
Dans cette perspective, le gouvernement du Québec doit agir et adopter une loi interdisant le port du voile intégral dans tout l'espace public. Mais pour ce faire, il devra au préalable produire un livre blanc de la laïcité, comme recommandé par la commission Bouchard-Taylor.
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Philippe Münch - Ancien analyste de la commission Bouchard-Taylor et docteur en histoire et en études politiques
Lever le voile
Burqa interdite
Philippe Münch2 articles
Dcteur en histoire. Il était l'un des analystes de la
commission Bouchard-Taylor.
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