Le temps est venu pour les gouvernements de dire à leurs négociateurs de mettre un point final au projet d’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, sans quoi on risque d’y voir le débat public déraper, met en garde le négociateur pour le Québec, Pierre Marc Johnson.
« Nous sommes peut-être arrivés au stade où les hommes et les femmes politiques doivent intervenir dans cette négociation et sortir les négociateurs de leur bulle puisque l’essentiel est atteint », a-t-il déclaré au troisième jour de la Conférence de Montréal.
L’entente de principe annoncée en octobre dans le cadre du projet d’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AECG) comprenait encore quelques questions non résolues qu’on espérait alors avoir réglées pour le mois de février. Or, dit Pierre Marc Johnson, « sur un accord de 300 pages et 200 pages d’annexes, il reste peut-être une trentaine de pages à finaliser. Il s’agit largement de questions de rédaction, mais aussi de quelques enjeux encore un peu délicats qui normalement ne devraient pas empêcher que les affaires se règlent ».
Cela ne fait que retarder encore plus le début du long processus de traduction et de ratification qui devra venir par la suite et qu’en avril, l’ancien premier ministre québécois ne croyait déjà plus voir se terminer avant 2016.
Mais, selon lui, il y a plus grave encore. « Le pire ennemi de cette entente, c’est le temps. Si les choses continuent de traîner, je crois qu’il y aura, à côté de cela, un certain nombre de faux débats. Un certain nombre de débats tronqués qui mettent les négociateurs [tenus de respecter le secret des négociations] dans une position où ils ne peuvent pas parler publiquement de façon précise des enjeux et doivent endurer, sur la place publique, qu’on dise n’importe quoi. »
Parmi les principaux enjeux encore en suspens, Pierre Marc Johnson citait, il y a deux mois, les mesures visant à faciliter la mobilité de la main-d’oeuvre, y compris des conjoints, ainsi que le dispositif emprunté à l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) permettant aux investisseurs privés de poursuivre les gouvernements.
Cette dernière question a pris une ampleur politique beaucoup plus grande dans le cadre des négociations de libre-échange qu’ont entreprises, par ailleurs, l’Europe et les États-Unis.
Stopper le train fou de la mondialisation
Invité à partager la même tribune que Pierre Marc Johnson, le journaliste français Jean Quatremer croit, au contraire, qu’en matière d’intégration économique, il « serait temps de stopper, de regarder ce qu’on a fait, d’en tirer les conséquences, d’essayer de parler aux citoyens, d’essayer de les convaincre, c’est-à-dire de refaire de la politique ».
« On a l’impression d’avoir affaire à un train fou qui est lancé sans qu’on se rende compte que les peuples se referment de plus en plus sur eux-mêmes, qu’ils refusent de plus en plus cette mondialisation qu’on promettait heureuse », dit le correspondant à Bruxelles du quotidien Libération, qui en veut notamment pour preuve les 25 % de voix remportées par le Front national aux élections européennes.
La sortie du journaliste a reçu un accueil glacial de ses voisins de tribune.
Qualifiant ce portrait des élites européennes « d’exagération grossière », Pierre Marc Johnson a rétorqué : « Ici, au Québec, on a entendu ce discours au moment de la conclusion de l’ALENA [qui], pour le Canada, s’est révélé un succès phénoménal. »
La mondialisation est à la fois heureuse et malheureuse selon qu’on regarde les centaines de millions de personnes qu’elle a permis de sortir de la pauvreté dans les pays en développement ou la montée des inégalités de revenus, a répondu pour sa part l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Pascal Lamy.
Il s’est dit « pas d’accord » non plus avec cette « fadaise démagogique » opposant des technocrates et le peuple dans un train fou, les représentants du peuple, au Parlement européen, ayant encore récemment fait capoter le projet d’Accord commercial anti-contrefaçon que Bruxelles avait concocté avec huit autres pays, dont les États-Unis et le Canada.
Quant à la montée du Front national, « il y a des tas de pays qui nagent dans la mondialisation et qui ne votent pas à l’extrême droite », a-t-il ajouté. « J’en déduis que le problème ne se trouve probablement pas dans la mondialisation, mais serait plutôt franco-français. »
CONFÉRENCE DE MONTRÉAL
Libre-échange : aux politiques d’agir, dit Johnson
négociateur du Québec estime que le temps joue contre l’entente Canada-UE
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