Vous trouvez que le « Grand Confinement » fait mal économiquement ? Essayez d’y mettre un terme trop rapidement, pour voir.
Avec les jours qui passent, on prend, petit à petit, la mesure de l’impact économique des règles de confinement décrétées par les pouvoirs publics pour freiner la progression de la pandémie de COVID-19. Cette semaine déjà, le Fonds monétaire international (FMI) a prédit au monde sa pire récession depuis la Grande Dépression des années 1930.
Confrontés à un effondrement de leurs revenus et à une explosion de leurs dépenses largement causés par leur formidable coup de frein donné à l’activité économique, les gouvernements cachent de plus en plus mal leur impatience d’amorcer un certain retour à la normale. Surtout qu’on sent monter, à certains endroits, une grogne populaire.
Estimant avoir stabilisé la propagation du nouveau coronavirus, des gouvernements d’Asie (Chine, Japon, Singapour…) et d’Europe (Autriche, Danemark, Italie, Espagne, Norvège…) ont déjà commencé à assouplir certaines règles, alors que d’autres, y compris au Québec, dans le reste du Canada et certains États américains, se préparent à le faire. Contrairement au président Donald Trump, qui n’en manque décidément pas une dans ce dossier et qui était prêt à « rouvrir » l’économie américaine pour Pâques, il est généralement question de procéder prudemment et progressivement.
Selon des experts norvégiens cités par The Economist jeudi, la réouverture des écoles et des garderies serait la mesure qui aurait le plus grand effet positif sur l’économie. Dans plusieurs endroits, on a aussi opté pour une réouverture des commerces, habituellement à condition de respecter certaines règles de distanciation sociale et de porter des masques de protection. Le retour à la normale apparaît plus difficile dans certains secteurs (hébergement, restauration…) que d’autres (manufacturier), voire est carrément exclu à court terme pour certains (tourisme, spectacle…).
Mais pour fonctionner, ces stratégies de déconfinement calibré doivent pouvoir compter sur la capacité de suivre précisément le degré d’infection des populations par des tests fréquents et rapides. Une capacité qui manque actuellement à la plupart des pays.
Pas de presse
Étonnamment, le Conseil canadien des affaires n’apparaissait pas particulièrement pressé de ce retour à la normale dans une lettre ouverte adressée aux premiers ministres du Canada et des provinces jeudi. « Les gouvernements ne devraient pas se sentir obligés d’aller plus vite que ne le permettent les considérations de santé publique », y disait l’organisation représentant les grandes entreprises du pays, les invitant plutôt à « apprendre de l’expérience » des autres qui commenceront leur déconfinement les premiers.
C’est que, rappellent les experts, si les mesures de confinement sont parvenues à éviter un débordement des hôpitaux et la perte de milliers de vies, elles ont aussi empêché la vaste majorité de la population d’être en contact avec la maladie, faisant craindre son retour en force aussitôt que les pays baisseront leur garde.
Outre les coûts humains, c’est à cela qu’a pensé le FMI en élaborant, mardi, des scénarios alternatifs bien plus effrayants encore que ses prédictions économiques qui ont fait les manchettes.
Il suffirait, par exemple, que la situation sanitaire nous oblige à maintenir les politiques de confinement durant une bonne partie de l’été pour doubler la dégringolade économique attendue cette année, a-t-il estimé. Mais il y a pire encore : s’il fallait que la COVID-19, comme toute bonne grippe, revienne nous hanter cet automne, cette deuxième vague non seulement effacerait le rebond partiel de l’économie mondiale espéré en 2021, mais y prolongerait même la chute des pays développés. Et si ces deux circonstances aggravantes devaient s’additionner, les dégâts seraient tels que l’économie et les finances publiques apparaîtraient encore lourdement plombées en 2024.
Or, des pays asiatiques, comme le Japon et Singapour, qui ont compté parmi les premiers infectés et dont certains ont même été cités en exemple pour l’efficacité de leurs moyens de lutte, sont déjà aux prises avec cette deuxième vague. Quant aux Européens, ils restent « dans l’œil du cyclone », a averti jeudi une Organisation mondiale de la santé inquiète de les voir assouplir leurs mesures de confinement trop rapidement. Malgré des « signes encourageants », le nombre de cas a presque doublé en Europe au cours des dix derniers jours, pour atteindre près d’un million, a-t-elle rappelé.
Jeu d’équipe
Ce qui vient compliquer les choses, c’est que, par définition, une pandémie ne respecte pas les frontières et qu’une situation apparemment maîtrisée peut être compromise par toutes sortes de facteurs extérieurs. Donald Trump (encore lui) a indiqué mercredi que les restrictions sanitaires à la frontière entre son pays et le Canada allaient être « les premières à être levées », ce à quoi son homologue Justin Trudeau a répondu jeudi que cela allait devoir attendre « encore bien des semaines ».
« La pandémie devra être contenue partout avant qu’un retour à la normale soit possible », ont convenu mercredi les membres du G20 dans une déclaration commune qui en appelait à une aide internationale aux pays les plus pauvres.
Mais quand en aura-t-on enfin fini des politiques de confinement ? À défaut d’un vaccin, qu’on n’attend pas avant 12 à 18 mois, et comme des mesures de confinement strictes empêchent la construction d’une immunité collective, le mieux serait de déclarer des périodes de confinement intermittentes, ont conclu des chercheurs de l’Université Harvard dans une étude dont les conclusions ont été dévoilées mardi dans la revue Science. Mais pour fonctionner, ce petit jeu devrait durer jusqu’en 2022.