Mieux vaut tard que jamais

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor

Enfin! Le premier ministre Jean Charest s'est finalement décidé à bouger dans le dossier de plus en plus bruyant des accommodements raisonnables, en créant une commission d'enquête, présidée par deux grands intellectuels, qui aura un an pour écouter les Québécois, pour faire un portrait des pratiques et pour proposer des balises.
Dans un heureux paradoxe, c'est le Parti québécois qui est en fait venu à la rescousse du premier ministre, parce que l'excellente suggestion d'une commission d'enquête est venue de Louis Bernard, un mandarin qui a été candidat à la direction du PQ il y a un an. Le chef André Boisclair a donc appuyé la décision de M. Charest avec sobriété, ce qui semble indiquer que les chefs des deux grands partis sont sur la même longueur d'onde et qu'ils ne veulent pas aborder ce dossier très délicat sur le mode électoral.
Bien sûr, le chef de l'ADQ, Mario Dumont, continuera sans doute à marteler ce thème avec lequel il a déjà marqué des points, démontrant encore une fois son sens politique aigu et son absence inquiétante de jugement et de principes.
Il n'en reste pas moins que le premier ministre a pris un temps fou avant de s'impliquer. Espérait-il que la turbulence autour des accommodements disparaisse d'elle-même? Ce silence du gouvernement a contribué à amplifier la crise.
Le débat a en effet été alimenté par des incidents, mineurs pris un à un, mais qui ont soulevé des inquiétudes quand on les additionne, où des institutions, surtout du secteur public, ont voulu tenir compte des demandes de certaines communautés, avec ce qu'on a appelé à tort des accommodements raisonnables, où il y a clairement eu absence de jugement et où on a sacrifié des valeurs et des principes fondamentaux. Ces erreurs s'expliquent par l'absence de balises dans un monde où la bonne volonté de décideurs laissés à eux-mêmes ne suffit pas.
Ces incidents pas très graves ont révélé un problème plus profond. Les accommodements raisonnables sont ainsi devenus un symbole pour exprimer ce qui n'est rien d'autre que le malaise d'une société d'accueil face à une immigration plus importante et plus différente. Un malaise qui a trouvé son expression ultime et dans les pathétiques règles de vie édictées par la bourgade d'Hérouxville. Un incident qui n'aurait peut-être pas eu lieu sans le vide créé par l'absence de leadership.
Hérouxville, c'est très clairement une manifestation de racisme ordinaire, où se sont exprimés les deux ingrédients de base qui nourrissent l'intolérance: la peur et l'ignorance. Ce n'est pas un hasard si ce ne sont pas des gens de la métropole, en contact quotidien avec les minorités, qui sont montés aux barricades, mais le monde de la ruralité profonde, qui exprime des inquiétudes face à un phénomène qu'il ne comprend pas.
Il y a deux choses à faire avec Hérouxville. Dénoncer cette dynamique inacceptable. Mais aussi ne pas se fermer les yeux, voir le message qu'il y a derrière et répondre aux peurs. Notre société s'était installée dans une douce schyzophrénie où les élites, politiciens, juges, intellectuels, médias, ont développé une vision des rapports entre la majorité et ses minorités sans se soucier de vérifier si la population suivait, et en faisant semblant de ne pas voir les failles qui se multipliaient dans la façade bien pensante.
Une commission d'enquête est la bonne façon de corriger le tir. Parce que d'abord, elle devra écouter, savoir ce que les Québécois, de vieilles et de jeunes souches, ressentent, pensent et croient. Ensuite parce qu'elle fera le point sur ce qui se fait au Québec, pour que l'on quitte le monde des mythes et des perceptions pour revenir à celui des faits. Et enfin, parce que les commissaires, deux intellectuels de haut niveau, Gérard Bouchard et Charles Taylor, proposeront des balises et des solutions.
La recherche de balises pour que les accommodements soient vraiment raisonnables ne sera sans doute pas la tâche la plus compliquée de la commission. Ce sera plutôt les portes qu'elle devra ouvrir sur les vertus du multiculturalisme et l'intégration, sur la place de la laïcité et de la religion, sur la nature de nos valeurs, mais aussi sur la vigueur avec laquelle nous voulons les imposer, sur les responsabilités de la société d'accueil et celles des nouveaux venus.
Ce sont des questions difficiles, délicates, qui ne peuvent pas se résoudre dans la fièvre électorale. Ce sera là un test pour Mario Dumont qui, pour l'instant, se nourrit du malaise tout en l'alimentant, et qui devra choisir sa voie, celle du tribun opportuniste et potentiellement dangereux, ou celle d'un politicien capable de maturité et de leadership.
adubuc@lapresse.ca


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