Alexandre Shields -
Le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, dénonce vertement la tournure qu’a prise la mission canadienne en Afghanistan, une mission qu’il juge orientée sur « une rhétorique guerrière, futile et contre-productive ». Il appréhende l’enlisement si Ottawa ne change pas rapidement son fusil d’épaule.
Le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, exige des changements majeurs dans la stratégie canadienne en Afghanistan, jugeant que la situation dans le pays est à ce point critique que celui-ci risque de basculer dans une situation de guerre civile larvée à l’irakienne. Il invite donc le gouvernement conservateur de Stephen Harper à rééquilibrer sa mission pour mettre la reconstruction et le développement en tête de liste de ses priorités.
« Le premier ministre doit [...] reconnaître clairement que la situation est à la veille d’être critique dans le sud de l’Afghanistan et que, si rien n’est fait pour corriger la situation, nous risquons l’enlisement, a-t-il expliqué hier devant des membres du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal. Il doit reconnaître qu’il y a urgence et que des progrès concrets doivent être réalisés en matière de développement et de secours humanitaires avant l’été et la prochaine offensive talibane. »
Car pour l’instant, M. Duceppe estime que le gouvernement conservateur a engagé le Canada « dans une "guerre au terrorisme" sans fin aux côtés de l’administration américaine ». « Le gouvernement Harper semble croire que le monde peut vaincre le terrorisme uniquement par la force et que le meilleur moyen de répliquer au 11-Septembre, c’est par les armes. Il se trompe », a souligné M. Duceppe, ajoutant que le Bloc n’appuierait pas « aveuglément le gouvernement canadien, ses orientations et ses décisions ». Pour opérer des changements majeurs sur le terrain, il presse donc Stephen Harper de jouer un rôle de leader pour convaincre les autres pays engagés dans cette mission, au sein de l’OTAN, à modifier leur stratégie.
Le chef bloquiste propose aussi quelques pistes pour sortir de la stricte opération de « chasse aux talibans ». Selon lui, il faudrait miser pleinement sur les aspects de « reconstruction » et de « développement » du pays. « De 2001 à mars 2006, l’effort militaire canadien s’est élevé à 1,8 milliard de dollars, tandis que l’aide [au développement] effectivement déboursée s’est élevée à moins de 300 millions de dollars. Le déséquilibre est flagrant », a-t-il fait valoir.
Pour ce faire, Gilles Duceppe invite les pays engagés en Afghanistan à faire preuve d’audace, notamment en achetant, pour une période transitoire, « la récolte de pavot directement auprès des paysans en vue d’une utilisation à des fins médicales, pour la fabrication de codéine ou de morphine ». Une telle initiative, jumelée à la mise sur pied de « programmes de cultures alternatives » et à la construction d’infrastructures, serait selon lui plus efficace que la simple éradication du pavot prônée par les Américains.
Il croit aussi en la nécessité d’« appuyer fermement toutes les initiatives d’ouverture du gouvernement afghan visant à intégrer dans la société civile les talibans qui acceptent de déposer les armes ». Le chef du Bloc croit en outre que l’OTAN doit accentuer la pression sur le Pakistan voisin afin de faire cesser l’infiltration de talibans, qui y trouvent une base de repli.
Les Nations unies devraient coordonner tous ces efforts, selon le leader souverainiste. « Il faut penser à nommer un haut représentant de l’ONU avec des pouvoirs réels et forts, inspiré de ce qui s’est fait en Bosnie et au Kosovo, pour qu’il puisse coordonner l’ensemble des efforts en collaboration avec l’État afghan », a-t-il expliqué.
Si de telles solutions ne sont pas rapidement explorées, l’objectif de « reconstruire l’économie, la démocratie et un État viable en Afghanistan » ne pourra être atteint, faute d’appuis suffisants au sein de la population. « Nous sommes prévenus par le chef des forces de l’OTAN, le général David Richards, qui affirmait exactement cela en octobre dernier et qui le répétait encore cette semaine. L’Afghanistan est "sur le fil du rasoir", disait-il. Selon lui, si les conditions de vie des Afghans ne s’améliorent pas dans les six mois qui viennent, 70 % d’entre eux changeront de camp et apporteront leur soutien aux talibans. »
Et Gilles Duceppe lance du même coup un avertissement aux conservateurs. « Si, par malheur, le pire devait se produire et que l’intervention internationale s’embourbait, je peux vous assurer que le Bloc québécois ne sera pas complice d’une participation canadienne, et donc québécoise, à une escalade militaire », a-t-il prévenu.
Mesures diplomatiques ?
Les membres du comité des Communes sur la défense ont par ailleurs déclaré hier que le gouvernement Harper devrait mettre l’accent sur des mesures diplomatiques pour l’Afghanistan, surtout avec le Pakistan voisin et les alliés de l’OTAN.
Selon la critique en matière de défense du Nouveau Parti démocratique, Dawn Black, le rôle du Canada dans ce pays déchiré par la guerre devait avoir une approche dite des « trois D » : défense, développement et diplomatie. Mais elle estime que l’armée ne parle pas beaucoup de diplomatie. Les huit parlementaires - de toutes les allégeances politiques - sont arrivés à Kandahar mardi dans le but d’évaluer la mission canadienne dans le sud de l’Afghanistan. Mais il appert que l’interprétation de chacun des membres du comité sera influencée par son parti.
Ainsi, Rick Casson, un conservateur, a défendu les efforts diplomatiques de son gouvernement, notant au passage que le ministre des Affaires étrangères, Peter MacKay, s’était récemment opposé à ce que des mines antipersonnel soient placées le long de la frontière pakistanaise. Cependant, M. Casson concède que plus d’efforts devront être déployés afin de faire collaborer davantage le Pakistan, où les insurgés talibans se terrent. Selon lui, les partenaires militaires du Canada doivent aussi se montrer plus réceptifs à ses demandes.
Le libéral Ujjal Dosanjh estime quant à lui que les conservateurs devront se montrer plus fermes avec leurs alliés de l’OTAN, spécifiant que d’autres pays devront éventuellement fournir des ressources et des troupes.
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