Dimanche soir était présenté à Canal D un documentaire fort troublant sur le cas de la famille Shafia. On s’en souvient, le père Mohammed, sa femme Tooba et leur fils Hamed ont été reconnus coupable de quatre meurtres prémédités: soient ceux de leurs trois filles: Zainab, 19 ans, Sahar, 17 ans, Geeti 13 ans, ainsi que de la première femme de Mohammed Shafia, Rona. Ils étaient tellement hostiles à l’envie de leurs filles et de la première femme du mari de s’intégrer à leur nouvelle société d’accueil et d’en adopter les valeurs et les modes de vie qu’ils ont commis le geste le plus horrible qui soit; à la fin d’une année scolaire, lors de vacances en Ontario, ils les ont assassinées.
C’était ma première année d’enseignement. J’enseignais aux enfants immigrants dans une classe d’accueil dans l’est de la ville. Les plus jeunes Shafia, ceux qui ont survécu, étaient élèves dans la même école. L’un de mes meilleurs amis enseignait à la plus jeune victime l’année avant son décès. Je me souviens encore de son appel lorsque les médias avaient interviewés les parents à la télévision, et de ce qu’il me dit: « Tania, ça ne peut pas être un accident… » Il avait entendu, comme d’autres collègues enseignants, de tristes confidences des enfants de cette famille.
L’attitude réfractaire de la famille Shafia quant à l’épanouissement de leurs filles au travers de la société occidentale n’était pas une simple indifférence passive devant une culture que l’ont côtoie sans avoir intégré mais bien une attitude agressivement revendicatrice d’un «droit de refuser de s’intégrer». Une véritable preuve du refus culturel. Je souhaite bien certainement qu’une autre histoire comme celle-ci ne se déroule plus jamais, par contre, je sais que cela pourra arriver n’importe quand, ici, à quelques rues de chez vous, de chez moi. Il y a des familles où les jeunes femmes ne sont pas libres, ici, à Montréal. Des femmes qui vivent prisonnières de leur famille, qui se contrefichent bien des règles de leur société d’accueil.
Derrière cette tragédie, un questionnement : peut-on immigrer dans un pays tout en refusant de s’y adapter et de se conformer à ses codes culturels? D’y élever ses enfants en croyant réellement qu’ils suivront les valeurs du pays d’origine et ne voudront pas vivre comme les gens qui les entourent? En adoptant leurs coutumes, les mœurs et leurs modes de vie? Je reste souvent perplexe devant ces gens qui pensent, à tort, que leur vie ne sera pas affectée par le changement de pays et que leurs coutumes traditionnelles demeureront intactes au contact d’une nouvelle société. Si certains adultes peuvent le faire sans tracas, il en est plus difficile pour les jeunes, surtout lorsqu’ils sont en contact avec les cultures occidentales et que celles-ci leur plaisent. Ils désirent alors imiter ce qu’ils aiment, et ce, souvent au détriment des désirs de leur famille. C’est ce qui a tué les filles Shafia : s’intégrer à la vie occidentale, à la vie québécoise. C’est un crime barbare et inhumain.
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Je ne sais pas si c’était un hasard, mais on présentait le documentaire la semaine du 25e anniversaire de la tragédie de la polytechnique où 14 femmes ont trouvé la mort, tombées sous les balles d’un misogyne.
Au centre de ces deux drames, un élément commun : l’aversion de l’émancipation de celles–ci, décidant de vivre leur vie selon leur désir.
Les filles Shafia avaient ici l’espoir d’être des femmes libres, affranchies et épanouies. Les femmes de la Polytechnique allaient réussir à devenir professionnelles et indépendantes. On leur a volé leur destin et cette liberté à laquelle elles avaient droit.
Tout ça parce qu’elles étaient des femmes.
Tâchons de toujours nous souvenir d’elles.
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