Mutation profonde en Wallonie

Chronique de José Fontaine

Tout étudiant qui doit se soumettre à l’exercice d’un mémoire universitaire sur la Wallonie est contraint de citer les études qui tendent à mettre en doute l’existence d’un sentiment collectif wallon d’appartenance. Je plaide en faveur de la thèse inverse. Mais plutôt que de réfuter celle que je rejette, je vais parler d’un colloque de l’Institut Destrée organisé hier. Le meilleur auquel j’aie jamais assisté.
Un Institut fondé en 1938
Cette Institut porte le nom de Jules Destrée, un des plus importants hommes politiques socialistes wallons du début du 20e siècle sous l’infuence duquel, le 7 juillet 1912, un Congrès wallon émit le voeu « que la Wallonie soit séparée de la Flandre en vue de l'extension de son indépendance à l’égard du pouvoir central et le développement de son activité propre ». L’année suivante le Congrès (auquel participa la majorité des parlementaires wallons), adopta le drapeau actuel de la Wallonie, fixa sa fête nationale. Ces gestes exprimaient l’irritation profonde de l’opinion libérale et socialiste, majoritaire en Wallonie, d’être gouvernée au niveau belge par une Flandre catholique très majoritaire et très majoritairement catholique semblant installée en cette position pour l’éternité. Les Wallons parlent certes français (langue la plus influente finalement encore en Belgique), mais sur le plan politique et économique cela leur fait une belle jambe ! Après 1914-1918, leur minorisation prit des proportions dantesques car internationales. La Belgique se distancia de la France et des démocraties européennes face à l’Allemagne nazie, cela sous la pression de la Flandre et avec la complicité du roi. Durant cette période, pas si étrangement que cela, l’une des revendications les plus (désespérément) fortes du mouvement wallon fut l’autonomie en la politique étrangère ! L’Institut Jules Destrée (IJD) fut fondé en 1938.
D’abord culturel, ensuite démocratique
L’IJD fut d’abord une association culturelle aux moyens limités. Parallèlement à ces activités de départ - réduites -, la Flandre valorisait, au plan économique, sa majorité politique. La bourgeoisie flamande en formation commençait à hériter d’une situation fabuleuse qu’elle n’avait pas décidée mais qui fut sa chance historique. Voici ce qu’il en est, bien expliqué par Michel Quévit dans Wallonie-Flandre. Quelle solidarité ?
Sous la houlette de la bourgeoisie belge francophone le pays s’était établi sur trois pôles visant à mettre en valeur le sillon industriel wallon, puissance économique mondiale : l’exploiter, le connecter au port flamand d’Anvers, le diriger à partir des banques bruxelloises. La Wallonie déjà politiquement annulée l’était également économiquement. Mais restait socialement forte. Capable de faire abdiquer Léopold III en 1950. Capable, en 1960-1961, de voir que la Flandre allait l’asphyxier, de mener une grève de 5 semaines pour y parer en revendiquant quelque chose comme une indépendance politique forte. Mais la grève échoua, notamment face à 18.000 policiers d’Etat (gendarmes) et 18.000 soldats. Quelques années plus tard, la Flandre dépassait économiquement la Wallonie... Ensuite il fallut aller progressivement vers le fédéralisme (car on partait d’un Etat unitaire).
Le "fédéralisme" pour en sortir et la mutation de l’Institut Destrée
Il peut sembler singulier que la gauche wallonne ait choisi le moyen du fédéralisme pour renverser cette situation politico-économique préoccupante. Mais en politique, il faut être prudent et laisser du temps au temps. On pensait peut-être aussi avoir du temps devant soi. Il fit défaut. A la fin des années 70, la Wallonie donna l’impression de faire naufrage, non sans cependant que les grandes forces sociales (les syndicats et le patronat pour faire court), n’accompagnent et ne soutiennent le processus d’autonomisation économique de la Wallonie, sans pourtant jamais vraiment précéder le politique (ce qui peut se comprendre dans un système de démocratie parlementaire). L’Institut Destrée amorça un tournant important. En 1987, à la veille d’importants transferts de compétences à la Wallonie (qui n’étaient pas nécessairement assurés), un immense Congrès se réunit à Charleroi qui consacra cette mutation. Une bonne partie de la Wallonie politique, syndicale, culturelle, économique se retrouvait à Charleroi. Beaucoup de politiques (je viens de le dire), mais peut-être pas tous les acteurs autres. Mais la Wallonie n’était alors compétente que pour 10% des compétences étatiques.
Identifier la Wallonie
Or aujourd’hui, elle l’est à 50 % et sans doute à 75% demain. Au début des années 2000, le gouvernement lança un plan de redressement appelé « Contrat d’avenir pour la Wallonie ». L’initiative fut mal comprise. Le Conseil économique et social régional wallon (instance consultative mais d’un grands poids), comprit que ce "Contrat" faisait double emploi avec lui, le Parlement aussi. Les citoyens n’y comprirent rien. L’IJD y était engagé, mais d’une manière (je peux me tromper), qui ne m’avait pas convaincu. Certes, il y eut des assemblées syndicales (chez les ouvriers et les agriculteurs), lourdes de signification, avec des ministres, des parlementaires longuement mobilisés etc. Mais on renvoya le "Contrat" et on y substitua le « Plan Marshall » (presque confiné à une collaboration avec universités et patronat), qui démontre son efficacité économique, mais aussi son inefficience sociétale. On n’en est informé que par des revues de réflexion au tirage fatalement confidentiel. Dans le monde politique et patronal (voire syndical), un élitisme pragmatique éloigne de la démocratie participative. Mais on y sait aussi que, même d’un point de vue pragmatique, la démocratie est indispensable. Dans les années 60 et 70, le parti québécois, via aussi une politique keynésienne (menée par d’autres au départ), a mobilisé le Québec (le discours du général de Gaulle ne fit que révéler ce mouvement et ce que disait le vieux bonhomme en quelques mots n’était pas seulement rhétoriquement fort, c’était aussi pertinent).
Hier, au colloque de l’IJD, j’ai eu le sentiment que la participation de la société wallonne au redressement n’était pas une utopie. En raison de la diversité des thèmes évoqués en quelques heures (depuis la question de la pauvreté et de l’illettrisme jusqu’à l’aménagement du territoire en passant par les questions environnementales, économiques, l’enseignement, les pensions, le chômage etc.), d’une façon qui les mettait à la portée d’un large public. Avec aussi des suggestions pratiques que j’oserais appeler « pédagogiques ». Comme proposer dans la communication wallonne des cartes de Wallonie autocentrées et ouvertes. Pour beaucoup, la Wallonie n’est toujours qu’une demi-Belgique. Alors que ce territoire, certes peu étendu, apparaît de manière toute autre sur des cartes internationales officielles. Exemple peut-être un peu limité ? Je ne sais pas. Le recteur d’une université qui est l’une des les plus importantes d’Europe, l’Université catholique de Louvain insista sur le fait qu’il fallait que l’ensemble des citoyens wallons identifient bien la Wallonie. Si cette condition est remplie, cela ne suffit pas, mais c’est nécessaire pour que tout le reste s’enclenche.
Un grand malaise
Les associations, les syndicats, les PME, les grandes entreprises, les universités, la haute administration toutes fortement représentées hier (et qui y ont mis le paquet), sont de culture démocratique. Fruit évident de luttes sociales qui furent fort âpres en Wallonie. Fruit de ce qu’il y a de plus profond dans la mentalité wallonne. Qui rend cette société totalement différente de la France ou de la Romandie (où la participation suit d’autres voies), mais beaucoup plus proche d’une société comme celle du Québec (le nationalisme - positif - en moins). Or si la Présidente du Parlement wallon était là, le reste de la classe politique a pesé de toute son absence. Evidemment la crise au fédéral peut l’expliquer. Pourrait-elle, dans l’état d’esprit où elle est aujourd’hui, se saisir des opportunités fantastiques que révèlent les engagements clairs d’hier des syndicats, des universités, des associations, des PME, du grand patronat au service de la Wallonie. ? Je crains que non. C’est inquiétant pour elle, car les nouvelles recherches en science politique mettent en cause la place du Politique en tant que tel (sans pour autant tomber dans le populisme ou renier l’importance de la puissance publique). Ainsi Jean-Marc Ferry qui écrivait il y a vingt ans déjà : « Le système démocratique [empêche] le monde vécu social [soit un concept proche de "société civile" note de JF...] d’ouvrir un espace de discussion pour une formation authentique de la volonté et de l’opinion publique. Jusqu’ici, la volonté politique est mesurée par les résultats des scrutins électoraux, lors d’élections générales ou partielles ; elle n’est à ce titre, rien de plus qu’une somme arithmétique de décisions individuelles isolées. Quant à la notion d’opinion publique, elle tend à se confondre avec le concept imposé dans l’expression trompeuse par laquelle les instituts de sondage, forts de statistiques effectuées à partir d’échantillons pris dans la population, désignent des agrégats statiques d’avis privés. C’est l’apparence derrière laquelle la réalité de la volonté politique et de l’opinion publique demeure largement inconnue. Du moins échappe-t-elle aux canalisations que le système démocratique avait prévues pour elle. C’est pourquoi elle se retrouve à l’extérieur du système démocratique. » (Les puissances de l’expérience, Tome II, Chapitre II, Paris, Le Cerf, 1991, pp. 55-57.)
A l’extérieur du système dit « démocratique », mais qui ne le serait plus (ou plus assez), si on partage cette analyse. Et pas du tout à l’extérieur de la démocratie à laquelle le monde politique semble donc devenir étranger. Je crains que cela ne se soit confirmé hier. D’ailleurs la télé n’était pas là non plus, ce qui est souvent le cas quand quelque chose d’essentiel se produit.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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1 commentaire

  • José Fontaine Répondre

    26 mars 2011

    J'aurais dû mentionner à l'est de la carte le Grand-Duché de Luxembourg petit Etat sans doute mais fondateur de l'Europe avec la Hollande, la Belgique, l'Allemagne, la France et l'Italie et dont plusieurs premiers ministres ont dirigé la Commission européenne. Petit Etat mais solide Etat et authentique nation malgré ses limites, héroïque résistant au nazisme, fier de sa langue locale qu'il maintient contre vents et marées, avec des habitants parlant au minimum trois langues, un Etat social très développé, une population venue de trois ou quatre continents...