WALMART À JONQUIÈRE

Neuf ans de lutte récompensés

La Cour suprême donne raison aux syndiqués congédiés qui devront être dédommagés

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Le mépris n'a jamais qu'un temps

Neuf ans après la fermeture du magasin Walmart à Jonquière, le dossier retourne chez l’arbitre qui a déjà écrit que le géant américain « ne disposait pas de toutes les discrétions » quand sa main-d’œuvre s’est syndiquée et que les mises à pied de février 2005 étaient « illégales ». Sa mission : soupeser les demandes de réparation à l’endroit des 190 employés touchés.
À cinq juges contre trois, la Cour suprême du Canada a penché vendredi en faveur des Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce (TUAC-FTQ) selon lesquels la décision rendue en 2009 par l’arbitre Jean-Guy Ménard était raisonnable. Ce dernier avait alors été saisi d’une plainte liée à l’article 59 du Code du travail, qui gèle les conditions de travail à la suite de la création d’un syndicat.
Alors que l’avocat syndical parle d’une « victoire totale », Wal-Mart préfère d’abord analyser la décision pour déterminer les prochaines étapes. Chez les ex-employés, on se délectait du jugement. « C’est une grande joie », a dit au téléphone Gaétan Plourde, qui travaillait au département de l’électronique. Invité à chiffrer le montant d’argent qu’il croit pouvoir recevoir, il a dit que « c’est une question trop précise ».
La décision de Me Ménard en 2009 avait été confirmée par la Cour supérieure l’année suivante. Dans sa décision de mai 2012, la Cour d’appel n’était pas du même avis, et les TUAC avaient choisi de faire appel à la Cour suprême. Les plaidoiries ont eu lieu le 6 décembre 2013.
« Rien ne permet de conclure que la décision de l’arbitre Ménard est déraisonnable. Au contraire […] elle apparaît tout à fait conforme au texte et aux objectifs de l’article 59, de même qu’au sens et à la portée qu’a bien voulu lui donner le législateur québécois », a écrit au nom de la majorité le juge Louis LeBel, coauteur d’un ouvrage de 440 pages publié dans les années 70 et intitulé Le droit du travail en vigueur au Québec.
« J’accueillerais le pourvoi, je casserais le jugement de la Cour d’appel et je rétablirais le jugement de la Cour supérieure rejetant la demande de contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre Ménard. Je renverrais le dossier à ce dernier pour qu’il détermine la réparation appropriée conformément au dispositif de sa sentence », a ajouté le juge LeBel, qui prendra sa retraite en novembre à l’âge de 75 ans.
Lors d’un premier affrontement en Cour suprême, en 2009, six juges avaient donné raison à Wal-Mart, contre trois dissidents. Cet épisode avait toutefois porté sur les articles 15 à 17 du Code du travail, qui traitent de la réintégration des employés.
Avocat de formation, Jean-Guy Ménard est un arbitre expérimenté. Il a été arbitre en chef du Greffe de la Commission administrative des régimes de retraite et d’assurances (CARRA) de 1997 à 2007. Depuis 2006, il est arbitre en chef du Greffe des fonctionnaires et ouvriers de la fonction publique du Québec.
Dans sa décision de 2009, Me Ménard avait écrit que Wal-Mart devait impérativement expliquer son geste.
« À partir du dépôt d’une requête en accréditation, l’employeur ne disposait pas de toutes les discrétions et il n’était pas à l’abri de tout contrôle du moment qu’il s’agissait d’une question de gestion de ses affaires, avait déclaré Me Ménard. Il avait toujours le pouvoir de gérer les activités de son magasin, mais il était exposé à expliquer des décisions comme des mises à pied, qui constituent des modifications de conditions de travail des salariés. » Il concluait d’ailleurs sur la mention d’un redressement possible « advenant que les parties ne réussissent pas à en convenir ».
La direction de Wal-Mart « déçue »
La direction de Wal-Mart s’est dite « déçue » de la décision. « Nous allons prendre le temps de passer en revue cette décision attentivement afin de voir quelle sera la prochaine étape », a indiqué dans un courriel le porte-parole de Wal-Mart Canada, Alex Roberton.
« La Cour suprême reconnaît que le geste de fermeture posé en 2005 était illégal », a dit Claude Leblanc, l’avocat des TUAC, lors d’un entretien à RDI. « Elle reconnaît aussi le droit des ex-employés de pouvoir recevoir, éventuellement, un dédommagement. » Me Leblanc a dit qu’il est trop tôt pour chiffrer les demandes, car « cette étude n’est pas terminée ».
« Le verdict confirme que nul n’est au-dessus de la loi. Ni même une multinationale comme Wal-Mart, qui au fil des ans n’a jamais cessé de multiplier les subterfuges pour empêcher ses associés d’exercer leurs droits à la syndicalisation et pour éviter d’avoir à négocier collectivement avec ses employés. Ce jugement pose un jalon important pour le respect des droits des travailleurs », a affirmé dans un communiqué le président canadien des TUAC, Paul Meinema.
Les deux juges dissidents, Richard Wagner et Marshall Rothstein, ont insisté sur le droit d’une entreprise de cesser ses activités. « L’article 59 ne peut s’appliquer à la fermeture réelle et définitive par Wal-Mart de son magasin de Jonquière, puisque cela obligerait l’entreprise à justifier sa décision de fermer son magasin, exigence incompatible avec le droit que possèdent les employeurs, en droit québécois, de fermer leur entreprise pour quelque raison que ce soit », ont-ils affirmé.
Bataille historique
La décision marque un nouveau chapitre dans la longue saga judiciaire de Wal-Mart et des TUAC. La campagne de syndicalisation n’a pas touché que Jonquière.
À Saint-Hyacinthe, par exemple, les employés ont reçu une accréditation syndicale en 2005. En 2009, après de longues procédures, un arbitre impose une convention collective. En 2011, toutefois, des demandes de révocation sont déposées et la Commission des relations de travail n’a d’autre choix que de les approuver. D’autres campagnes ont eu lieu à Gatineau et en Saskatchewan. Aujourd’hui, plus aucun Walmart canadien n’est syndiqué.
L’ex-travailleur Gaétan Plourde — le même que celui de la cause Plourde c. Wal-Mart entendue par la Cour suprême en 2009 — dit que les dix dernières années ont été difficiles. « Je n’ai pas été capable de garder mes emplois bien longtemps », a-t-il dit lors d’un entretien téléphonique. « Parfois, on ne m’engageait pas parce que les employeurs avaient peur de moi, comme si j’étais une bête syndicaliste. Ce sont dix années que j’ai un peu perdues au plan salarial. »
Avec Marie Vastel


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