Le printemps érable, cinq ans plus tard

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Une désagréable impression d’inachèvement





Je m’en rappelle comme si c’était hier. Le 13 février 2012, mon dernier cours avant l’entrée en grève de mon département avait lieu dans un grand amphithéâtre. J’étais alors candidat à la maîtrise en sociologie à l’UQÀM, mais aussi militant politique en tant que président de l’aile jeunesse du Bloc québécois. Après la levée des cours, nous avons tous cru à une grève qui allait durer quelques semaines, tout au plus. Rien ne laissait présager que les cours ne reprendraient pas avant que les libéraux ne soient battus aux élections et que le nouveau gouvernement n’annule rapidement la hausse des frais de scolarité universitaire qui était à l’origine de tout ce brasse-camarade. Débutant à la mi-février, la crise aura donc duré jusqu’à septembre. Elle a aussi pris des proportions qui ont dépassé de beaucoup le seul dossier étudiant, revêtant les allures d’un mécontentement généralisé après neuf ans de régime libéral, marqué par les scandales et les rumeurs de corruption. Manifestations, carrés rouges et casseroles, cognées quotidiennement sur les balcons, auront été marquantes pour l’imaginaire de jeunes qui découvraient la beauté de l’engagement politique.


Et pourtant, le Parti québécois ne fut élu qu’avec quatre sièges de plus que le Parti libéral, révélant que l’ardeur contestatrice n’était peut-être pas aussi partagée que les étudiants auraient bien voulu le croire. Trainant derrière lui trois mandats et une forte insatisfaction, Jean Charest a martelé qu’il s’agissait d’un choix entre la stabilité et la rue. Or, le résultat électoral du PLQ nous indiquait que de nombreux Québécois préféraient encore la première à la seconde. Il faut dire qu’une partie –heureusement minoritaire- du mouvement de contestation n’a pas aidé à la cause. Les actes de violence et les menaces contre les chroniqueurs critiquant le mouvement étudiant en sont des exemples déplorables. Une certaine forme de fanatisme y a malheureusement été décomplexée.


Le soulèvement étudiant témoignait tout de même d’une volonté de refuser le modèle de l’université néolibérale. Les mauvaises langues diront que les étudiants ne faisaient que prêcher pour leur paroisse en se battant pour maintenir leur facture basse. Cela ne change cependant rien au fond des choses. Rejeter la hausse proposée des droits de scolarité à l’université implique un double refus du modèle de l’utilisateur-payeur et de l’obsession de vouloir faire à tout prix comme nos voisins du sud.


L’argument, avancé par les partisans de la hausse, était celui du sous-financement des universités québécois. Or, celui-ci ne tient pas la route. Une observation plus attentive des structures financières des universités nous montre qu’elles ne sont pas sous-financées mais mal-financées. L’enseignement voit ses ressources être réduites comme peau de chagrin pendant que celles qui sont consacrées à la recherche se portent à merveille. Certains estiment pourtant, sans rire, que ce sont les étudiants qui ont à payer la note pour de l’argent mal dispensé.


Les universités sont aujourd’hui soumises à une obsession de la réputation et de la modélisation en fonction des dogmes de l’économie dominante. Elles feraient n’importe quoi pour être bien placées dans les grands palmarès en dépit de leurs critères plus que douteux. Leur objectif n’est désormais plus de transmettre le savoir mais de préparer l’étudiant à participer à la concurrence mondiale en étant une bonne main d’œuvre. La mission de l’enseignement a été complètement détournée. En fonction de quoi sont-elles cotées ? Cela dépend du classement. Le « classement de Shanghai » réalisé par l’Université Jia Tong utilise six indicateurs, tous liés à la recherche. À qualité égale sur ce plan, on tranchera en faveur de l’établissement où le nombre de chercheurs est le plus grand. Le palmarès du Times Higher Education, se penche sur l’enseignement et la recherche, mais aussi sur le critère plus intangible de la réputation, évalué par une enquête d’opinions auprès d’universitaires. En 2006, le magazine Newsweek a publié un classement reprenant certains critères du palmarès du Times Higher Education, en y ajoutant le nombre de livres contenus dans les bibliothèques des institutions. Le Ranking Web of World Universities, élaboré par un organisme public espagnol, s’intéresse quant à lui à la visibilité internet des institutions. Universitas 21, réseau de 25 universités de recherche, fonde son classement sur 20 critères évaluant l’investissement gouvernemental et privé, les retombées des recherches, la production d’une main-d’œuvre répondant aux besoins du marché, les réseaux internationaux, etc. J’ai gardé le meilleur pour la fin : le sondage de la grande école d’ingénieurs Mines ParisTech évalue quant à lui la force d’un établissement en fonction du nombre d’anciens étudiants à être devenus PDG de l’une des 500 plus grandes entreprises du monde.


Le printemps érable ne m’a pas plu sur tous les plans, loin de là. Cependant, j’admire ceux qui se battent pour que l’éducation soit véritablement conforme à sa définition. On me rétorquera que le débat n’a, globalement, pas porté là-dessus et est plutôt resté en surface en se limitant uniquement à la question de la facture étudiante. C’est malheureusement assez juste. Cinq ans plus tard, la hausse prévue des frais de scolarité a certes été annulée mais le nécessaire coup de barre n’est jamais arrivé dans les universités. En somme, le printemps érable laisse une désagréable impression d’inachèvement.



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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).





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