Ni pire ni meilleur, le Québec de demain ?

Québec français


Dans sa réplique à Jacques Godbout, qui se désole de la fin prochaine du Québec français, Nathalie Collard s'indignait du caractère catastrophiste de la prophétie de l'écrivain. Le Québec de demain ne serait ni pire, ni meilleur que celui d'aujourd'hui, manière assez simple, convenons-en, de déconsidérer toute inquiétude pour l'avenir. De sa part, la chose surprend. Parce que Nathalie Collard passe normalement pour une femme de gauche, et qu'elle souscrit plus que d'autres à la religion du progrès, on s'attendrait aisément à ce qu'elle sache distinguer les époques, en refusant cette forme de relativisme historique qui conduit nos contemporains à ne jamais penser qu'une société puisse déchoir et faire de mauvais choix qu'elle regrettera.
En fait, c'est l'inquiétude de Jacques Godbout qu'on refuse d'envisager sérieusement. De quoi Godbout s'inquiète-t-il ? D'abord, de l'anémie démographique du Québec français. Certainement, le propos n'est aucunement politiquement correct. La dénatalité québécoise n'est envisagée par nos élites que d'un point de vue tamisé, filtré par l'orthodoxie pluraliste qu'elles voudraient bien proclamer religion d'État. La seule manière de l'envisager sans risquer la réprimande consiste à s'inquiéter pour le sort d'un État social qui sera de plus en plus soumis à de sévères contraintes par le vieillissement de la population. C'est ce que les experts en langue de bois nomment le choc démographique. Godbout, plus franchement, parle d'un problème national. Sans une majorité francophone capable d'intégrer substantiellement ceux qui rejoignent le Québec, c'est le fait français qui disparaîtra nécessairement, à plus ou moins long terme.
Mais plus qu'une inquiétude relative à la dénatalité, c'est la critique du multiculturalisme proposée par Godbout qui aurait du retenir l'attention. On le sait, le Québec officiel suit à la lettre les prescriptions du pluralisme identitaire qui caractérise pour le pire le progressisme contemporain. Il y a quelques mois, le ministère de l'éducation proposait même la dénationalisation de l'histoire enseignée à l'école. Il n'y aurait plus sérieusement de nation québécoise, à moins de changer la définition de ce mot pour l'emplir d'une signification nouvelle, comme l'ont fait les souverainistes de la période post-référendaire avec leur bricolage désastreux d'un concept de nation nouveau genre désinvesti de tout contenu historique. Désormais, à la manière des trudeauistes d'Ottawa, les Québécois devront définir leur identité dans une Charte des droits et libertés de la personne qui contiendrait une série de valeurs progressistes appelées à servir de raisons communes à une société qui s'en reconnaissait de moins en moins.
Le problème posé par Godbout est celui de la cohésion nationale, qui passe nécessairement par le recentrement de la communauté politique sur la majorité fondatrice du pays, malgré ce qu'en diront les agents officiels du multiculturalisme pour qui les sociétés d'accueil, avec leur culture et leur histoire, sont appelées à disparaître. Il s'agit de renouer avec l'identité historique de la majorité francophone autour de laquelle se construira nécessairement le Québec de demain. À moins qu'il ne consente à se fragmenter sous la pression du progressisme identitaire qui détruit le lien pourtant naturel entre une société qui accueille à partir de son héritage particulier et un nouvel arrivant qui la rejoint et doit remplir au mieux son devoir d'intégration. Dans ce cas, le délire multiculturel du ministère de l'éducation ne fait qu'annoncer la dérive identitaire d'une société qui verra ses institutions se retourner contre elle.
C'est ici que la préoccupation de Godbout pour les élites prend tout son sens. Celles d'hier étaient conscientes de leur responsabilité historique pour les sociétés auxquelles elles se vouaient. Elles se distinguaient aussi par une attention soutenue aux humanités indispensables à la reconnaissance de la dimension profondément occidentale de nos sociétés. Les élites post-modernes, qui se donnent l'impression de réfléchir en répétant les formules creuses apprises de leurs conseillers en communication, ne sont de toute évidence aucunement préparées à répondre aux questions fondamentales posées par une époque où l'histoire se révèle à nouveau cahoteuse et imprévisible. De ce point de vue, le passage de Bernard Landry à André Boisclair semble avoir scellé pour le pire le destin québécois des prochaines années.
L'immigration est une réalité que les sociétés contemporaines sont appelées à gérer au mieux de leurs intérêts. Chose certaine, le multiculturalisme n'est certainement pas la meilleure réponse à lui apporter. Ce n'est pas en inoculant aux nations le virus de la haine de soi qu'on assurera leur durabilité historique et leur continuité institutionnelle. Comme quoi le dépassement de la rectitude politique devrait être la priorité d'un Québec ne désirant peut-être plus trouver dans son renoncement à l'existence une raison sublime de célébrer son déclin.


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