Un succès durable

textes seuls


L'actuelle crise libanaise éloignera probablement pour un moment de Stephen Harper l'électorat francophone. Car le pacifisme de la société québécoise s'est métamorphosé au fil de l'histoire en demeurant un paramètre déterminant de sa culture politique. L'appui à l'État hébreux et l'alignement sur Washington trouveront difficilement un écho favorable dans une opinion publique ralliée à un isolationnisme ne considérant plus la politique étrangère que du point de vue de l'humanitarisme onusien, comme en témoignent les plus récents sondages. Il n'en demeure pas moins que le premier ministre disposait jusqu'alors d'une sympathie croissante au Québec, qui refera probablement surface une fois la crise passée, ce que la plupart des commentateurs auraient refusé d'envisager sérieusement il y a de cela quelques mois.
Plusieurs souverainistes ont avoué leur perplexité devant un phénomène allant à contre-courant des lieux communs répétés sur la culture politique québécoise et les valeurs qui la caractériseraient. C'est l'avis généralisé, les Québécois méconnaîtraient le « vrai visage de Stephen Harper » et seraient victimes d'une illusion appelée à se dissoudre, pour se rallier à nouveau aux partis qui défendent une conception plus progressiste de leur identité et de leur société.
On en prend rarement conscience, mais le Québec, depuis une dizaine d'années, s'est fait happer par un consensus progressiste, principalement défini par les partis souverainistes qui ont proposé une modernisation de l'identité québécoise en la désinvestissant de sa dimension nationale pour la reconstruire autour d'un projet social et multiculturel " de gauche ". Pour cela, les souverainistes se sont durablement associés à la plupart des causes progressistes qui surgissaient dans le domaine public, en en appelant à leur canalisation dans un projet de société dont la souveraineté serait le cadre et le moyen, comme l'ont encore répété les mousquetaires de la députation péquiste au début de l'été. On ne se surprendra pas que certains commentateurs aient souligné lors des dernières élections fédérales la similitude désarmante entre le Bloc et le NPD dans la vision qu'ils proposaient de leur société respective. À la différence près que le Bloc prétend défendre les intérêts de toute une nation, alors que le NPD assume généralement qu'il ne représente qu'un courant parmi d'autres dans la démocratie canadienne.
Ce consensus artificiel devait finir par se lézarder. Qu'on le reconnaisse ou non, une portion significative de notre société ne souscrit aucunement aux « valeurs québécoises » que son élite a voulu lui faire accepter de force et attendait depuis un certain temps l'occasion de se manifester, ce qui ne pouvait qu'arriver quand une offre électorale crédible et bien articulée se présenterait pour la canaliser politiquement. Cette occasion, elle s'est présentée aux dernières élections fédérales quand un parti donnant l'impression de faire une série de concessions aux nationalistes a mis de l'avant un discours permettant de conjuguer la fidélité au Québec avec un certain conservatisme de sens commun.
Rectitude progressiste
Les commentateurs auraient dû se douter d'une telle possibilité depuis 2002, quand l'ADQ s'est propulsée dans les sondages en incarnant une posture de centre-droit transgressant la plupart des articles de foi du catéchisme progressiste. Semblablement, la sympathie des classes moyennes pour le discours des Lucides et le désir latent d'un retour aux affaires publiques de Lucien Bouchard sont autant d'indices parmi d'autres d'une lassitude aisément compréhensible devant la rectitude progressiste qui monopolise l'espace public.
Il existe au Québec comme ailleurs une majorité de sens commun qui préfère la loi et l'ordre à la complaisance envers les délinquants, qui ne se glorifie pas de ses impôts élevés, qui ne tolère plus l'hégémonie sur l'école d'un pédagogisme débilitant, qui ne supporte plus le ralliement de l'intelligentsia à la vulgate altermondialo-écologiste, qui croit nécessaire de restaurer le mérite individuel contre la systématisation d'une culture de l'irresponsabilité et surtout qui se désole de la faible représentation d'un certain bon sens dans le discours public. C'est parce qu'il est parvenu à politiser ce sens commun qui sert toujours de matière première au conservatisme à l'occidentale que Stephen Harper est parvenu à gagner la confiance de plusieurs Québécois. Ce n'est pas malgré son conservatisme qu'Harper est parvenu à gagner la sympathie des Québécois, mais grâce à lui.
Paradoxalement, les souverainistes, qui se sont enfoncés dans un cul-de-sac progressiste en transformant la question nationale en un affrontement entre le Québec « de gauche » et le Canada de « droite » sont les premiers responsables de la popularité actuelle du pouvoir conservateur. S'ils désirent éviter une désastreuse marginalisation, ils auraient avantage à se réconcilier avec cette majorité de sens commun qui s'est moins éloignée d'eux que ces derniers ne se sont éloignés d'elle. Le souverainisme ne doit plus être la poursuite du progressisme par d'autres moyens. Les souverainistes devront bien finir par renouer avec le pays réel. Sinon l'histoire à venir s'écrira malheureusement sans eux.
Mathieu Bock-Côté
_ L'auteur est candidat à la maîtrise en sociologie à l'UQAM


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé