Noël de voyous

Joyeux Noël. Non, j'oubliais: joyeuse célébration d'une naissance soulignée par les chrétiens, par les commerces et par les voyous

Médias et politique



Ce soir, au traditionnel repas de famille, on ne parlera presque pas de politique. Dans ma famille pourtant très politisée et engagée, il en est ainsi depuis quelques années. Une sorte de lassitude, d'impression de tourner en rond ou, encore, sentiment d'impuissance qui s'accompagne souvent d'une lente résignation. Je ne sais trop pourquoi, mais il en est ainsi. On parlera cuisine, voyages, parcours des enfants qui le sont de moins en moins, santé parce que la famille vieillit, pressions économiques. Mais on ne parlera pas de la crise économique dont, comme tous les citoyens modestes, nous sommes les premières victimes pendant que ceux qui l'ont produite retrouvent leurs parachutes dorés, leurs primes, leurs profits. Comme si cela était inévitable, inscrit dans l'ordre des choses.
Inscrit dans l'ordre des choses, paysage étonnant qui cesse de surprendre à force d'habitude. On fait avec.
Le 24 janvier prochain, ça fera deux ans, oui, deux longues années, que les 250 employés du Journal de Montréal auront été privés de leur travail. Je ne connais pas beaucoup de sociétés où une telle situation aurait pu se produire sans que le gouvernement intervienne de manière forte. Mais le gouvernement se réfugie dans le silence institutionnel de son Code du travail qui, il le sait, est totalement impuissant dans ce conflit. Code dépassé, vermoulu, inutile, qui permet à l'employeur de réduire à zéro pour le syndicat le rapport de force équilibré sur lequel le Code se fonde.
Il faut lire le journal de Péladeau durant quelques jours pour constater comment celui-ci n'est plus qu'une circulaire dont la plupart des textes sont repris, repiqués, voire plagiés. Les pigistes de renom jouissent joyeusement du droit légal d'être des briseurs de grève, heureux de ne pas vivre l'odieux de traverser physiquement un piquet de grève. La quinzaine de cadres qui façonnent le «journal» planchent sur des sites Internet et réussissent à publier leur gros catalogue sans sortir de leur bunker. Des journalistes virtuels qui ne rencontrent personne. Quelques artistes intrépides refusent de parler au quotidien de la rue Frontenac, mais leurs propos à TVA ou leurs photos dans Sept Jours sont repris intégralement dans Le Journal de Montréal. Quand la pieuvre Quebecor ne réussit pas à se saisir d'un acteur de l'actualité, elle reprend un article publié dans un autre quotidien.
Les journalistes du bunker font aussi semblant d'assister à des conférences de presse en reprenant intégralement ou presque les communiqués de presse. Ce fut le cas cette semaine pour la conférence de presse durant laquelle le gouvernement a dévoilé le nouveau coût du CHUM. Les citoyens qui se plaignent deviennent automatiquement des journalistes du quotidien. À preuve, la manchette dramatique du journal hier matin: «Guerre aux guirlandes, la poste menace de ne plus livrer le courrier.»
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Vous serez peut-être aussi surpris de lire autant d'informations dans Le Journal de Montréal sur la ville de Québec et son maire hyperactif. Puisqu'il faut remplir les petites colonnes autour des publicités, les cadres du bunker se tournent vers les articles publiés dans Le Journal de Québec et les reprennent intégralement. Absurdité surréelle: des journalistes qui furent en lock-out durant un an deviennent des briseurs de grève involontaires pour permettre à Péladeau de maintenir durant deux ans des confrères en lock-out. Les grands journalistes du bunker poussent même l'indécence jusqu'à plagier des textes de RueFrontenac, le journal virtuel des syndiqués en lock-out. C'est la conclusion à laquelle en est venu le Conseil de presse il y a quelque temps à la suite d'une plainte du journaliste Martin Bisaillon. Dans sa décision, le Conseil de presse «blâme pour plagiat M. Stéphane Malhomme, le site Argent, l'Agence QMI et Le Journal de Montréal.»
En fait, on assiste impuissant à la domination insolente d'un empire voyou, certain de pouvoir intimider tout le monde et de demeurer impuni. J'ai beau me creuser les méninges depuis des mois pour trouver un moyen de rétablir un juste rapport de force, j'arrive toujours à la même conclusion: impossible d'y parvenir sans boycottage de l'Empire lui-même. Mais comment boycotter ce qui nous fait vivre? C'est le cas des artistes, par exemple. Nul disque, nul film, nulle tournée, nul spectacle ne peuvent, sans souffrir grandement, se priver de l'appui promotionnel des médias Quebecor. Il en va de même des politiciens qui ont besoin de cet empire en passe de devenir totalitaire. Cause perdue d'avance? Je le crains bien. Faut-il s'incliner et faire avec? Non. J'en parlerai un peu ce soir sans trop d'espoir de trouver une réponse, sinon celle que je connais déjà: il fallait légiférer contre la concentration de la presse quand il en était encore temps. Mais déjà péquistes et libéraux tremblaient et ils se contentèrent de commissions parlementaires verbeuses.
Je sens qu'il en sera de même avec la fermeture d'Électrolux. Au lieu de mettre en place comme cela existe ailleurs des mesures qui rendent très onéreuses les fermetures justifiées seulement par une plus grande rentabilité, on planchera sur des programmes de reclassement et de formation. Reclassement comme «associés» chez Wal-Mart, formation de livreur pour service de courrier ou gardien de nuit.
Joyeux Noël. Non, j'oubliais: joyeuse célébration d'une naissance soulignée par les chrétiens, par les commerces et par les voyous.


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