Nos églises s'en vont chez le diable: 612 églises démolies, fermées ou abandonnées

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Notre patrimoine en pleine déliquescence : il faut un plan d'action d'envergure



De plus en plus d’églises, dont certaines constituent des joyaux d’architecture, ferment leurs portes au Québec, faute de financement pour leur redonner une seconde vie. Bref, notre patrimoine religieux s’en va chez le diable, déplorent de nombreux experts.  



 «Bâtiment carrément en péril», «urgence manifeste» ou «histoires d’horreur», les spécialistes qui étudient la question ne manquent pas de qualificatifs pour illustrer «l’état alarmant» de la situation.  



 Et rien n’indique que l’aide de 20 M$ annoncée par la ministre Nathalie Roy au début du mois suffira à colmater la brèche, estime l’urbaniste Serge Filion, qui s’intéresse de près au sort de nos églises.  



 «L’argent ne vient pas au même rythme que le péril», déplore l’expert, qui plaide pour une «corvée nationale».  



 À Québec  



 Au cours des dernières semaines, l’actualité est venue rappeler aux Québécois, parfois brutalement, que les églises qu’ils ont désertées en tournant le dos à la religion catholique sont en train de disparaître sous le pic des démolisseurs ou de sombrer dans l’oubli:  


  



  •  l’église Saint-Cœur-de-Marie, sur la Grande Allée, à Québec, a été démolie cet été. Elle fera place à des condos, malgré sa valeur patrimoniale jugée « supérieure » ;   


  



  •  l’église du Très-Saint-Sacrement, sur le chemin Sainte-Foy, à Québec, a dû être fermée d’urgence, le mois dernier, pour des raisons de sécurité. L’imposant lieu de culte presque centenaire risque maintenant la démolition.   



 Le sort de ces deux églises est pourtant loin d’être unique. Une recension effectuée en mai dernier par le Conseil du patrimoine religieux a révélé que 612 des 2746 églises qui avaient été répertoriées au Québec en 2003 avaient depuis été démolies, fermées ou recyclées.  



 Cela signifie que 22 % du parc immobilier religieux a disparu sur une période de 16 ans.  



 Debout de justesse  



 S’il est malheureusement trop tard pour certaines églises démolies malgré leur grande valeur patrimoniale, les experts s’inquiètent particulièrement de celles qui sont actuellement fermées, laissées souvent sans chauffage l’hiver et sans aucun projet dans les cartons.  



 «Quand on ferme une église, le compte à rebours commence», indique Serge Filion.  



 En matière de préservation, il s’agit de la pire des situations, dit-il.  



 «En patrimoine, c’est terrible. Notre inquiétude, c’est vraiment par rapport à l’inoccupation. Il peut y avoir du vandalisme, du vol, la détérioration est plus rapide», explique Renée Genest, d’Action patrimoine. 



Lucie K. Morisset.<br>Professeure

Photo courtoisie

Lucie K. Morisset. Professeure





 Actuellement, 108 églises sont fermées au Québec, souvent depuis plusieurs années. Certaines tiennent «encore debout par la peau des dents», n’hésite pas à dire la professeure de l’UQAM Lucie K. Morisset. «Dans certains cas, il est carrément trop tard.»  



 Au cours des dernières semaines, Le Journal a d’ailleurs identifié certains de ces cas alarmants au Québec. Parmi ceux-ci:  


  



  •  une église datant de 1895 qui risque la démolition, dans un village de Lanaudière ;   


  



  •  une immense église abandonnée et qui a été ravagée par de nombreux incendies au cours de l’hiver dernier à Montréal ;   


  



  •  une autre église dangereuse de la métropole, où les paroissiens sont contraints d’assister à la messe dans le couloir d’un édifice adjacent.   



 Des choix difficiles  



 Même avec plus de moyens, les observateurs s’entendent pour dire qu’il y aura des choix à faire.  



 «Si vous essayez de tout conserver, ça équivaut à tout abandonner, c’est une question de moyens», prévient John Porter, président d’un groupe de travail sur la situation dans la Vieille Capitale.  



 L’aide de 20 M$ annoncée début août par le gouvernement Legault est loin de répondre aux demandes souvent urgentes que reçoit le Conseil du patrimoine religieux.  



 En 2018, les demandes reçues par l’organisme totalisaient 40 M$.  



 À cela s’ajoute l’incapacité pour plusieurs municipalités d’entretenir les églises, leur population étant tout simplement insuffisante pour supporter le fardeau que cela peut représenter. «Il faut penser en dehors de la boîte, en dehors [du projet d’en faire une] bibliothèque», plaide Renée Genest.  





 2 cas récents qui ont marqué l’actualité  




 Très-Saint-Sacrement Québec (haute-ville)  



 FERMÉE D’URGENCE 





Photo Stevens LeBlanc





  



  •  Année de construction: entre 1920 et 1923   


  



  •  Fermée définitivement à l’été 2019   



 Faits à signaler à propos de l’architecture ou du patrimoine: Classée C pour supérieur par le Conseil du patrimoine religieux. Possède un orgue Casavant de 1943.     


  


 Saint-Coeur-de-Marie (Centre-ville de Québec)  



 DÉMOLIE 





Photo Stevens LeBlanc




  



  •  Année de construction: 1919   


  



  •  Fermée au culte: 1997   


  



  •  Démolition: été 2019   



 Faits à signaler à propos de l’architecture ou du patrimoine: Église qui se démarquait par son architecture néo-byzantine rare au Québec. Son architecte s’était inspiré d’une église similaire à Rennes, en France.   




 Monuments historiques en péril  




 Parmi les églises en péril, plusieurs sont classées monument historique ou ont une valeur patrimoniale importante, ce qui ne les protège toutefois pas d’un avenir précaire.  



 Le cas le plus patent est sans doute celui de l’église Saint-Jean-Baptiste, un édifice phare du centre-ville de Québec.  



 Fermée depuis 4 ans  



 Construite en 1881 et se voulant une réplique de la Trinité de Paris, Saint-Jean-Baptiste est fermée depuis 2015.  



 Le monument a peut-être atteint un point de non-retour en 2018 lorsque le système de chauffage a flanché, provoquant du même coup l’éclatement de la tuyauterie et un important dégât d’eau.  



 «C’était l’apogée de la catastrophe», peste Lucie K. Morisset, professeure et auteure d’une étude sur le patrimoine.  



 Depuis, des travaux d’urgence ont été effectués, mais l’avenir du bâtiment est toujours inconnu.  



 «Un classement, c’est un statut juridique, ce n’est pas une protection divine», ironise Mme Morisset.  



 Dans la petite municipalité de Waterloo, une pancarte «à vendre» a trôné devant l’église anglicane Saint-Luke pendant 18 mois, même si celle-ci est classée monument historique depuis 1978.  



 Malgré la protection du ministère de la Culture, qui a permis des travaux importants au cours des dernières années, aucune offre n’a été faite pour acheter l’endroit qu’on ferme maintenant l’hiver.  



 Disponible pour 395 000 $, Saint-Luke a d’abord été offerte à la Ville de Waterloo.  



 Or, quatre églises ceinturent l’hôtel de ville, et une d’entre elles a déjà été convertie en maison de la culture.  



 «C’est sûr qu’on n’a pas d’utilité pour cette église-là», confie le maire Jean-Marie Lachapelle.  



 Il assure toutefois que cette église «ne sera jamais démolie» et soutient qu’une rencontre citoyenne pour tenter de trouver une solution s’est tenue récemment.  



 Une cathédrale aussi  



 Si ces deux églises voient leur avenir mis entre parenthèses malgré leur valeur historique, le péril est encore plus grand lorsque les instances n’accordent que peu de valeur à une église, comme c’est le cas avec la cathédrale Saint-Germain de Rimouski.  



 Fermée en 2014 par le diocèse, la cathédrale s’est vu refuser tout classement par le ministère de la Culture, en raison des travaux qui ont dévalué son importance historique en 1967.  



 Puis, une mise en demeure contre l’archevêque et même le pape a été déposée par des paroissiens qui souhaitaient sauver la cathédrale, dont la dégradation est rapide.  



 À l’heure actuelle, le diocèse se montre plus ouvert et se dit prêt à investir de l’argent pour rouvrir le bâtiment, mais sa sauvegarde n’est pas encore assurée.  





 Inventaire des lieux de culte du Québec  


  



  •  2746 bâtiments dédiés au culte en 2003   


  



  •  612 lieux de culte en mutation depuis 2003   


  



  •  98 démolis (sans compter les églises Saint-Cœur-de-Marie à Québec et Ste-Cécile à Saguenay démolies cet été)   


  



  •  108 lieux de culte présentement fermés   


  



  •  19 églises à vendre   


  



  •  83 églises classées bâtiment patrimonial au Québec   



 ♦ Budget du Conseil du patrimoine religieux du Québec: 20 M$  



 ♦ Total des demandes d’aide financière en 2018: 40 M$  



 ♦ Églises bénéficiant d’une subvention en 2018: 75  



 Diocèse de Montréal  


  



  •  Entre 1995 et 2014: 57 églises vendues   


  



  •  214 églises toujours dans son parc immobilier   


 Diocèse de Québec 


  



  •  48 églises vendues depuis 1980   


  



  •  227 églises toujours dans le parc immobilier   


  



  •  2 églises mises en vente: Saint-Louis-de-France et Notre-Dame-de-Foy   


  



  •  Une étude de l’équipement excédentaire fait jusqu’à maintenant dans 12 paroisses indique que 37 des 71 églises sont excédentaires (52 %)