LA LOI 21 ET LA CLAUSE DÉROGATOIRE

Notre constitution américaine de 1982

L’œuvre d’un illuminé aux tentations totalitaires

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Chronique de Me Christian Néron

À lire et à entendre certains propos qui nous parviennent du Canada, il semble que l’adoption de la loi 21 aurait sérieusement blessé la conscience morale des Canadiens et, pire encore, sali l’honneur de leur pays à la face du monde civilisé. Le gouvernement de François Legault aurait posé un acte infâme en se prévalant de la clause dérogatoire – article 33 de la charte canadienne – pour réprimer la plus noble de toutes les libertés, la liberté de religion. Le scandale est total ! Heureusement, il y a la Cour suprême du Canada qui, depuis 1982, exerce un droit de vie et de mort sur toute loi adoptée au Canada. Nul doute qu’elle finira par réparer l’injustice commise par l’Assemblée nationale du Québec et, surtout, laver l’honneur du Canada, pays bien connu pour carburer à l’amour de la diversité et de l’inclusion.


Les opinions et préjugés de nos élites judiciaires


Mais François Legault n’est peut-être pas le politique infâme que dénoncent les apôtres d’un individualisme libertaire et darwinien qui fleurit au Canada depuis le gâchis de 1982. En se prévalant de la dite clause dérogatoire, il a sans doute rendu un fier service non seulement au Québec, mais au Canada tout entier. Il a marqué le coup en démontrant qu’en certaines circonstances le débat public et la volonté de la population étaient plus appropriés au maintien d’un ordre de paix et de justice que de s’en remettre aux opinions et préjugés de quelques juges qui doivent se prononcer sur nombre de sujets complexes et brûlants, lesquels dépassent le plus souvent leur faculté d’entendement.


L’expertise des juges est évidemment utile lorsqu’il s’agit de clarifier le sens des lois. Dans nos facultés de droit, ils ont été formés expressément pour ça. Mais cette expertise ne leur donne aucune habileté particulière qui leur permettrait de mieux juger du bien-fondé des grands enjeux au sein de nos collectivités. Lorsqu’il s’agit de réguler la conduite de chacun au moyen de la loi, le simple bon sens de la collectivité concernée y pourvoit suffisamment sans qu’il soit nécessaire d’en référer à des juges dont les compétences se limitent à l’aspect technique et formel des lois.


On dit de la loi qu’elle est un principe d’ordre et une œuvre de raison qui trouve sa justification et sa force obligatoire dans la recherche du bien commun. Pour cette raison, c’est à la collectivité elle-même qu’il revient de juger ce qui peut réellement favoriser l’atteinte du bien commun. Il s’agit d’un droit fondamental qui s’exerce collectivement. Mais au Canada, ce droit fondamental de légiférer pour soi et son propre bien a été remis en question par la Loi constitutionnelle de 1982. Depuis lors, à moins d’invoquer l’application de la cause dérogatoire, les juges ont la faculté de censurer toute loi afin de placer les droits et libertés des individus au-dessus de la volonté collective et de la poursuite du bien commun.


Un individualisme libertaire et darwinien


Mais d’où vient cette idée insensée de remettre en cause le droit fondamental d’une collectivité de poursuivre le bien commun au moyen de la loi ? Comment se fait-il que l’on puisse maintenant octroyer au bien individuel la préséance sur la poursuite du bien commun ? Ce changement de cap nous est venu d’un individualisme libertaire et darwinien, tiré de la tradition juridique américaine, et promu comme valeur fondamentale du Canada à l’occasion de la réforme constitutionnelle de 1982.


Bien que le Canada ait toujours été fier de ses racines loyalistes et britanniques, il n’a jamais cessé de s’abreuver aux idées qui avaient cours aux États-Unis, y compris celles relatives à leur conception libertaire et darwinienne des droits et des libertés. Plus encore, une conception proprement américaine de la loi, du droit et de la justice a sans cesse filtré dans les esprits. Avec le temps, tout doucement, sans même s’en rendre compte, le Canada anglais a assimilé une manière de penser qui a fini par remettre en cause sa façon de comprendre le sens originel du pacte social et politique de 1867. Le fait que la culture générale du Canada anglais soit devenue plus américaine que britannique explique la dynamique qui a conduit à l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 qui, dans les faits, reniait l’esprit et les promesses de la Loi constitutionnelle de 1867.


Mais le plus américanisé de tous était sans doute Pierre Elliott Trudeau. Lorsqu’il s’est mis à bousculer tout le monde, suite à la défaite référendaire de mai 1980, sa priorité – et obsession ! – a été d’américaniser la constitution du Canada en reniant les fondements mêmes du pacte social et politique du Canada. Ainsi, dans son esprit, les Canadiens français et Canadiens anglais, en tant que peuples fondateurs, devaient disparaître pour laisser la place à des Canadiens déracinés, dénationalisés et, surtout, multiculturalisés. L’idée d’une société distincte et d’une nation historique au Québec le hérissait au suprême degré. Seule était acceptable à ses yeux une nation civique fondue dans le creuset d’un melting pot inclusif et multiculturel. Pour parvenir à ce nivellement culturel, la Cour suprême se devait, tout comme aux États-Unis, d’interpréter les droits et libertés dans la perspective d’un égalitarisme abstrait et individualiste, comme si la société n’avait pas ses propres droits et que le bien commun n’était qu’une coquille vide dépourvue de toute valeur sociale.


Une refondation du Canada odieuse au Québec


Mais cette refondation à l’américaine de la constitution du Canada était tout particulièrement odieuse pour le Québec. C’était nier ses droits collectifs et historiques. C’était nier son droit d’exister en tant que société distincte. C’était nier les acquis de l’Acte de Québec de 1774. C’était nier l’esprit et les promesses du pacte social et politique de 1867. C’était condamner le Québec tout entier à un naufrage culturel au sein d’une masse sociale multiculturelle, sans doute canadienne, mais surtout nord-américaine où les grands enjeux sociaux et politiques finissent toujours par être décidés par quelques avocats triés sur le volet pour siéger à la Cour suprême, et réglés à la satisfaction de tous ceux qui détestent les frontières et les nations. Bref, la population a beau se donner les députés qu’elle désire, il n’en reste pas moins que les enjeux sociaux majeurs sont le plus souvent réglés en sous-main par un très petit nombre de personnes, peu connues du public et à peu près intouchables.


Dans la tradition britannique, le Parlement a toujours été tenu pour le meilleur garant des droits et libertés alors que, dans la tradition américaine, cette fonction avait été confisquée par le pouvoir judiciaire dès le début du XIXe siècle. Les Pères de la Confédération, eux, avaient catégoriquement rejeté toute influence américaine en ce sens. D’où la présence de deux traditions antinomiques au sein du monde anglo-saxon. Mais Trudeau, lors du rapatriement, tenait mordicus à refonder le Canada en s’inspirant du rôle joué par le pouvoir judiciaire dans la tradition américaine. Pour y parvenir, il devait toutefois obtenir le concours des premiers ministres des provinces, ce qui n’était pas évident. Bien que familiers avec les traditions et les idées de leurs voisins, les premiers ministres étaient plutôt mal disposés à rompre avec leur héritage britannique. D’où un bras de fer orageux qui s’est déroulé sur une période de 18 mois.


Un révisionniste aux tentations totalitaires


Mais Trudeau, un obsédé aux tentations totalitaires, va finir par les faire tomber dans son camp. Ce succès n’était pas seulement le résultat d’un virage idéologique. Il était d’abord et avant tout un long reniement de l’esprit et des promesses du difficile compromis de 1867 qui avait tant coûté aux Canadiens français. Leurs descendants de 1982, malgré le refus explicite et formel de leur gouvernement, se retrouvaient avec un fédéralisme plus unitaire que jamais et une conception proprement américaine – et nettement protestante ! – de la loi, du droit et de la justice. C’était le monde à l’envers et une réécriture malhonnête de l’histoire constitutionnelle du Canada. Ainsi, la Confédération n’était plus le fruit d’un difficile compromis entre deux peuples que tout séparait, et que la politique et la géographie avaient obligés à se souffrir mutuellement. En 1864, ils avaient convenu d’aplanir leurs divergences en créant une association politique pourvue d’un gouvernement central dont la fonction essentielle serait de s’occuper des affaires d’intérêt général qui ne pouvaient être gérées efficacement à l’échelle locale. Dans les faits, la Confédération avait été un pacte inter-national fondé sur le principe fédéral de subsidiarité des compétences et sans subordination des institutions.


Mais selon la version révisionniste du gâchis de 1982, les Pères fondateurs auraient convenu de se concerter pour créer de toutes pièces une nation civique, libérale et républicaine. Ils auraient été tout particulièrement préoccupés de mettre les droits et libertés des individus au-dessus de la poursuite du bien commun. L’idée de se donner des institutions communes pour faciliter la construction d’un pays aurait été importante, mais pas autant que la promotion de « l’infinie dignité de la personne humaine ». Tout ça, bien entendu, n’était que pure propagande.


Trudeau a eu tout le loisir d’allonger la liste de ses faussetés et mensonges puisque personne ne l’a véritablement contredit. Ce petit jeu lui était d’autant plus facile que le débat qui s’est déroulé de mai 1980 à mars 1982 a été dominé par des avocats, juristes et hommes politiques qui ignoraient souverainement l’histoire constitutionnelle du Canada, y compris celle relative à la naissance de la Confédération.


La promesse d’une clause dérogatoire


Mais la raison – sans doute déterminante – qui a fini par faire glisser les premiers ministres dans le filet de Trudeau était leur familiarité avec la conception libérale et républicaine de la constitution américaine. Le fait de renoncer au principe de la souveraineté parlementaire au profit de la souveraineté judiciaire – exercée par une poignée d’avocats triés sur le volet et payés par le gouvernement fédéral – ne semblait pas les ébranler. Sans doute que la promesse de Trudeau d’inclure dans la charte une clause dérogatoire qui permettait de rétablir momentanément une séparation entre les pouvoirs législatif et judiciaire a pu les déterminer à renoncer à l’esprit et aux promesses de 1867. Ainsi, à leurs yeux, le principe démocratique n’était pas abrogé ; il était plutôt suspendu.


Cette promesse faite à la toute dernière minute allait donc permettre aux négociations de la dernière chance de reprendre alors qu’elles étaient sur le point de se rompre sur un échec. Mais ce retournement inattendu, négocié en catimini, s’était produit alors que la délégation du Québec, elle, s’était retirée pour la nuit. Il est pour le moins scandaleux qu’une décision d’une telle importance, prise dans la nuit du 4 au 5 novembre 1981, l’ait été sans que le principal partenaire de la constitution de 1867 n’en ait été informé. Il ne le sera qu’en matinée, à la reprise des travaux, et seulement pour être mis devant le fait accompli. Le cours de l’histoire constitutionnelle de tout un peuple venait de basculer, et il n’en avait été qu’un témoin tardif. L’esprit et les belles promesses de 1867 venaient d’être définitivement flushés dans les égouts de nos déboires constitutionnels. On appelle coup d’État un coup de force mené de l’intérieur du système par des personnes qui détiennent déjà l’essentiel du pouvoir dans le but de renverser l’ordre constitutionnel existant.


L’association inter-nationale de 1867 mise au rancart


Alors que la Confédération avait été une association inter-nationale censée garantir la langue, la culture, les institutions, le patrimoine et les droits historiques des Canadiens français, le nouvel ordre constitutionnel transformait le Canada en une union civique à l’américaine au sommet de laquelle la Cour suprême – créée par une simple loi du parlement fédéral en 1875 – devenait l’organe suprême d’un pouvoir législatif nouveau, pouvoir qui n’avait de compte à rendre à personne.


Lors des Débats parlementaires sur la Confédération, en février et mars 1865, les Pères fondateurs avaient beaucoup insisté sur le fait que l’ordre constitutionnel projeté était une association politique qui, loin de remettre en cause les droits nationaux des parties contractantes, les protégeait. Les mots « contrat, pacte, traité, alliance » revenaient quotidiennement dans la bouche des orateurs pour qualifier la nature de l’association projetée. Les Canadiens français recevaient l’assurance de rester souverains dans leurs champs de compétence. Rien ne pourrait porter préjudice à leur nationalité. On allait même jusqu’à les assurer que « plus personne ne se mêlerait de leurs affaires ». Mieux encore, ils devenaient à la fois « souverains et associés ». Avec une pointe d’ironie, on pourrait dire qu’ils étaient de formidables visionnaires puisqu’ils devançaient René Lévesque d’au moins un siècle. Ce dernier avait cru améliorer notre avenir collectif en remplaçant la conjonction « et » par un « trait d’union ».


Au sujet de la qualification de l’association, George Brown, initiateur du projet, avait pris la parole au nom de ses collègues pour assurer les Canadiens français que l’entente projetée constituait rien de moins qu’un « pacte de paix entre les descendants des vainqueurs et les descendants des vaincus ». D’une brutalité et d’une spontanéité qui avaient fait sa réputation, Brown était bien connu pour ne pas mâcher ses mots. Une fois de plus, il était allé droit au but. George-Étienne Cartier, assis juste à côté, le secondait : « Écoutez ! Écoutez ! » Et immédiatement, Brown reprenait : « Mais rien ne sera fait sans le consentement du Bas-Canada ». Cartier, toujours à ses côtés, appuyait : « Écoutez ! Écoutez ! Là est toute la question ! » – « Oui, là est toute la question ! » confirmait Brown. Il était on ne peut plus clair que le concours des « des descendants des vaincus » était essentiel à la création d’un ordre nouveau que l’on voulait commun dans les domaines où le principe de subsidiarité des compétences s’appliquait.


En vertu du principe de non-subordination, ce gouvernement commun n’était aucunement au-dessus des provinces, mais seulement au service de leurs populations respectives et dans les seuls cas où il n’était pas possible de pourvoir efficacement au bien commun à l’échelle locale. C’est pour la réalisation de ce bien commun que 26 des 48 députés canadiens-français avaient accepté de voter en faveur de cet ordre nouveau dont on les avait assurés que non seulement il ne mettrait pas en péril leur nationalité, mais qu’il en garantirait la sauvegarde.


Mais l’esprit et les belles promesses de 1867 n’auront jamais la vie facile. Les Canadiens français devront rester sur la brèche pour conserver leur autonomie et protéger leurs droits historiques. La théorie des deux peuples fondateurs ne sera pas attaquée de plein front, mais le fédéralisme civilisé qu’on leur promettait ne tardera pas à se montrer dominateur. Chez les Anglo-Saxons, chose curieuse, l’égalité est une simple abstraction qui ne peut remettre en cause le droit du plus fort d’imposer sa volonté.


Un phénomène également étonnant n’a pas tardé à se reproduire avec la « clause dérogatoire ». Lorsque promise par le gouvernement Trudeau dans la nuit du 4 au 5 novembre 1981, cette clause devait permettre de revenir à la souveraineté parlementaire chaque fois qu’un gouvernement jugerait nécessaire de s’en remettre à la volonté de la population. Tout gouvernement provincial pouvait – légitimement et légalement – s’en prévaloir à sa discrétion. Mais la réalité va vite démontrer que ce droit démocratique était plutôt abstrait, sujet à une forte censure sociale et politique.


La mise en vigueur de la charte de 1982 avait provoqué un enthousiasme débordant au Canada anglais. Enfin, la protection des droits et libertés avait été, comme aux États-Unis, confiée aux plus hautes autorités judiciaires. Ce déplacement de pouvoir du législatif vers le judicaire a eu un effet social immédiat et majeur. La classe juridique, qui prenait du galon et gagnait en puissance, allait tout mettre en œuvre pour en faire la promotion.


Les juges, avocats, professeurs et étudiants en droit vont travailler à l’unisson pour nourrir le mythe d’une humanité enfin mise à l’abris des politiciens véreux par un pouvoir judiciaire d’une parfaite intégrité. Enfin, plus personne ne serait soumis au contrôle de l’État dans l’exercice de ses droits et libertés. Le grand rêve de Trudeau était de transformer les mentalités, de les américaniser aux plans de la loi, du droit et de la justice. En ce sens, notre grand rêveur écrivait : « Personne n’est soumis à l’État dans ses droits fondamentaux. C’est ça le libéralisme : c’est affirmer que l’individu est antérieur à l’État dans l’exercice de ses droits fondamentaux ! C’est ça la constitution américaine ! »


Ailleurs, dans un autre texte, le même rêveur ajoutait : « Je respecte la notion de communauté, mais je respecte encore plus la souveraineté de la personne qui fait partie de la communauté. La loi 101 n’est pas libérale. C’est ce que j’appelle faire du nationalisme agressif ! »


Les citoyens, invités à s’engager dans un individualisme qui sacrifie le bien commun à l’individu, ne tarderont pas à développer une sorte d’idolâtrie des droits et libertés. Les juges de la Cour suprême vont être encensés, auréolés comme des oracles de « l’infinie dignité de l’être humain ». La moindre critique de la charte, ou des droits et libertés qu’elle garantit, va être interprétée comme une sorte de sacrilège, comme une agression à l’endroit de « l’infinie dignité de l’être humain ». Cet individualisme extrême va favoriser l’éclosion d’une subjectivité extrême. Les démarches introspectives vont se multiplier et donner lieu à des revendications identitaires, souvent extravagantes, axées sur l’ostentation, y incluant d’innombrables formes d’étalage de l’unicité de la petite personne de chacun. Bref, se donner en spectacle va devenir pour bien du monde une façon tout à fait convenable d’exercer des droits et libertés fondamentales.


Pourtant, d’une certaine manière, la clause dérogatoire devrait être considérée comme emblématique d’un ordre nouveau puisque, sans elle, la charte canadienne n’aurait certainement pas été adoptée en 1982. Pour cette raison, elle devrait être vénérée par les militants des droits et libertés. Mais c’est tout le contraire qui s’est produit. La classe juridique et les militants de tout poil vont la décrier, la dénoncer comme l’incarnation même de la négation du droit, réclamer qu’elle soit abrogée, ou déclarée inapplicable par la Cour suprême. Nombreux sont ceux qui la tiendront en aversion. Tout sera dit à son sujet. Un sentiment de mépris va se répandre partout, sauf au Québec.


Au Canada anglais, elle ne sera invoquée qu’à trois reprises, mais, dans les faits, elle ne sera jamais appliquée. Ce ne sera toutefois pas le cas du Québec. En 1982, son gouvernement avait refusé de consentir à cette charte et n’a jamais changé d’avis depuis. Mais les juges des tribunaux canadiens, formés à un positivisme juridique étroit et fort peu démocratique, vont l’appliquer au Québec malgré le fait qu’elle lui avait été imposée en contravention des promesses de 1867. Il faut se souvenir du vieux principe qui dit que « tout ce qui est imposé est du domaine de la violence ».


Bien que cette violence soit illégitime, immorale et inconstitutionnelle, les tribunaux ne vont prendre en considération que la légalité technique de cette charte au Québec. C’est aussi une violation du principe fondamental que « toute loi trouve sa justification et sa force obligatoire dans la recherche du bien commun ». Évidemment, il ne peut être question de bien commun quand un peuple abuse de sa force pour imposer sa volonté à un autre peuple. Le Canada a derrière lui une longue tradition de banalisation de l’indécence. On ne peut pas dire qu’il soit un pays totalitaire, mais il n’a jamais hésité à recourir au pouvoir que lui donne sa majorité dans ses rapports avec le Québec.


Dans tout pays civilisé, une telle banalisation de l’indécence serait considérée comme scandaleuse. Mais pas au Canada ! Et pourquoi ? Parce que l’hypocrisie a toujours été la clef de voûte de notre équilibre constitutionnel.

 


Me Christian Néron


Constitutionnaliste, Historien du droit et des institutions



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RÉFÉRENCES


Bastien, Frédéric, La bataille de Londres : dessous, secrets et coulisses du rapatriement constitutionnel, Montréal, Boréal, 2013. 


Burelle, André, Robes Pierre Trudeau : l’intellectuel et le politique, Montréal, Fides, 2005. 


Idem, Le droit à la différence à l’heure de la globalisation, Saint-Laurent [Québec], Fides, 1996. 


Lewis, Thomas Tandy, « The Ironic History of Substantive Due Process: Three Constitutional Revolutions », International Social Science History, vol. 76. no ½, 2001, pp. 21-35. 


Rose, Winfield H., « Marbury v. Madison: How John Marshall changed History by misquoting the Constitution », Political Science and Politics, avril 2003, 2009-214.



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3 commentaires

  • Me Christian Néron Répondre

    11 septembre 2019

    Monsieur Labelle, vous avez parfaitement raison de parler de péchés et de blasphèmes, puisque la charte de 1982 a vite été transformée en religion de substitition.


    Évidemment, l'égalité n'a pas été parfaite entre les deux nations en 1982 puisque l'une tenait le marteau et que l'autre servait d'enclume.


    Trudeau, qui avait alors une haine viscérale du communautarisme, a joué à l'apprenti-sorcier en faisant du multiculturalisme la clef de voûte de sa nouvelle constitution. Mais le Canada postnational d'aujourd'hui est en train de devenir une communauté de communautés confessionnelles dont chacune a vocation à défendre des valeurs absolues et à favoriser un patriotisme religieux à la limite du fanatisme.


    C'est ça l'héritage de notre constitution américaine de 1982.


    Il n'y a rien de plus explosif au monde que des croyants qui se disent victimes d'injustices et qui invoquent la souveraineté absolue de leur Dieu.


    La constitution de 1982 est un immense gâchis que personne ne peut réparer. Il n'est pas certain que le Canada va rester un pays où il fait bon vivre !


  • Marc Labelle Répondre

    10 septembre 2019

    Maître Néron, il est remarquable et louable que ce soit un avocat qui ose dénoncer l’auguste judiciocratie instaurée par la constitution canadienne de 1982.  Vous en avez efficacement souligné l’effet pervers, la promotion de l’individualisme narcissique contre le bien commun.


    Dans ce nouvel enclos mental, le recours à la disposition de dérogation fait figure de péché mortel.  En tant que flèche pointant en permanence vers le talon d’Achille du régime fédéral, ce recours explique le dépit amer des gens de robe aux ordres du système. 


    Lors du projet d’importation de la constitution canadienne, la plupart des provinces anglaises ainsi que le parlement britannique éprouvaient une forte réticence à y intégrer une charte des droits qui aurait pour effet de créer un « gouvernement des juges » aux dépens de la souveraineté parlementaire.  D’où la concession de Pierre Elliott Trudeau concernant la disposition de dérogation, qui sera fatale à son dessein.  Autre concession ruineuse : l’installation de Dieu dans le préambule de la constitution, dont le contresens prend tout son relief dans le contexte du peuple québécois devenu officiellement laïque.


    Certes, l’union sacrée des gouvernements fédéral et provinciaux anglais a prévalu contre l’unique province française du Canada en 1982.  Sous le vernis des droits individuels.  C’était prévisible puisqu’il n’y a pas eu négociation explicite entre deux nations libres, l’une étant soumise à la volonté de domination exacerbée de l’autre.  Cette dernière se permettant de redéfinir les règles du jeu à sa guise.


    Depuis, le multiculturalisme apparaît comme le centre de la constitution canadienne.  Caché dans ce saint des saints, le multiconfessionnalisme en est le véritable moteur.  Davantage, il s’avère l’incubateur de la fragmentation communautariste infinie selon le mode extrême, celui des groupes religieux intégristes.  Il sécrète une atmosphère qui tabouise l’ensemble de cette constitution verrouillée contre tout changement qui correspondrait à la volonté populaire.  On s’applique donc à soustraire le multiconfessionnalisme en ses diverses formes à toute critique en taxant aussitôt celle-ci de manifestation de phobie ou de haine.  Nouvelle version intériorisée du délit de blasphème, ce délit de pensée confère de plus l’avantage de la justice expéditive du lynchage social.


    On constatera toutefois que la constitution canadienne de 1982 est devenue une boîte de Pandore.  Si elle avait pour but de neutraliser définitivement le dynamique élément français du pays, elle détruit actuellement le régime canadien lui-même, transformé en un magma postnational aisément manipulable par les puissances étrangères. 


    Pour éviter le même sort, notre nation doit saisir cette occasion pour réaliser l’indépendance du Québec.  Autrement, elle subirait la lente mais inexorable mise à mort planifiée par cette constitution totalitaire qui cherche à brouiller hypocritement la conscience des citoyens.

     


  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    6 septembre 2019

    La centralisation fiscale a précédé la centralistion politique



    Un rapport de 1979 du fédéral, dont la synthèse a été publié en 1981, nous rappel l'historique de la captation par Ottawa des pouvoirs de taxations directs du Québec. Le chapître portant sur résumé du rapport Tremblay, ( mis en place par Duplessis pour défendre l'autonomie du Québec ) démontre que l'enjeu des impôts portait sur le fond, sur l'imposition du « génie anglais » sur le « «génie français». Bref la négation de notre nation :


    Fédéralisme et décentralisation, où en sommes-nous

     

    http://publications.gc.ca/collections/collection_2016/bcp-pco/CP46-3-8-fra.pdf
    .

     

    .....

     

    Avant-propos Ce document, rédigé par Richard Bastien du Bureau des relations fédéra-les-provinciales, est une version amplifiée des chapitres 2, 3, 4 et 5 d'un ouvrage intitulé La solution canadienne que l'auteur a publié aux éditions La Presse, en 1979. Le document est publié par le gouvernement du Canada en guise de contribution à la discussion publique.

     

    (extraits)

     

    Selon la Commission Tremblay, le problème du fédéralisme canadien était essentiellement culturel: «La dualité des cultures est la donnée centrale du problème politique canadien, quel que soit l'angle sous lequel on l'aborde».6 Pour étayer cette thèse culturelle du fédéralisme, la Commission tenta de dégager ce qu'elle croyait être les caractères distinctifs des deux cultures canadiennes. Cette tâche l'amena à insister non seulement sur les différences linguistiques, mais aussi, et même surtout, sur les différences religieuses. Le rapport définit en effet la culture canadienne-française comme étant «chrétienne d'inspiration» et de «génie français». Quant à la «culture anglo-protestante», elle est «de même inspiration générale bien que d'interprétation et de génie différents». Elle se distingue de la culture «franco-catholique» parce que «elle ne conçoit pas de la même manière l'ordre de la vie temporelle et les relations de l'homme avec la société. Elle n'est pas communautaire, mais individualiste et libérale».6 Les deux communautés culturelles interprètent donc différemment «les concepts d'ordre, de liberté et de progrès». 7 C'est pourquoi l'opposition entre les deux cultures se manifeste non pas tant dans les activités proprement culturelles, mais dans le tissu de la vie quotidienne (....)

     

    La culture canadienne-française ayant comme «seul véritable foyer» le Québec, c'est au gouvernement de cette province qu'il appartient de prendre les initiatives touchant la vie économique et sociale de sa population. L'autonomie provinciale est nécessaire parce que seul le gouvernement du Québec peut exercer les nouvelles fonctions que la vie moderne impose à l'État «selon les modes les plus conformes aux besoins et à l'esprit de la population» (....)

     

     
    Tout au long de son rapport, la Commission insista sur le fait qu'il y avait incompatibilité entre la nouvelle conception que le gouvernement fédéral avait de son rôle et les valeurs de la société canadienne-française. Les politiques fédérales ont un caractère «technique» et «dirigiste» qui est mal adapté à une «économie politique et sociale vraiment humaniste».9 La difficulté vient de ce que «ce sont les Anglo-Canadiens protestants qui contrôlent les gouvernements, non seulement des neuf autres provinces, mais de la fédération canadienne elle-même».'° C'est pourquoi il importe de mettre fin à la «centralisation fiscale, sociale et économique» qui est contraire à «l'esprit du fédéralisme».(....)

     

    Tout au long de son rapport, la Commission insista sur le fait qu'il y avait incompatibilité entre la nouvelle conception que le gouvernement fédéral avait de son rôle et les valeurs de la société canadienne-française. Les politiques fédérales ont un caractère «technique» et «dirigiste» qui est mal adapté à une «économie politique et sociale vraiment humaniste».9 La difficulté vient de ce que «ce sont les Anglo-Canadiens protestants qui contrôlent les gouvernements, non seulement des neuf autres provinces, mais de la fédération canadienne elle-même».'° C'est pourquoi il importe de mettre fin à la «centralisation fiscale, sociale et économique» qui est contraire à «l'esprit du fédéralisme».(...)

     

    Le rapport conclut que le différend opposant Ottawa et Québec procède «d'une interprétation unitaire et non fédérative de la Constitution... et d'une conception technique-administrative et non politique du rôle de l'État en matière économique et sociale».'2 II faut donc revenir à l'esprit d'un fédéralisme authentique en procédant à une «réadaptation du régime fédéral de l'impôt aux besoins actuels de la population». Cela implique que «les impôts sur le revenu affectant la personne et les institutions doivent être réservés aux provinces à qui incombe la juridiction en matière culturelle et sociale».'3 Quant au gouverne-ment fédéral, il devrait «avoir seul accès aux impôts portant sur les biens et la circulation des biens». Le transfert de la totalité des recettes provenant des impôts sur le revenu permettrait aux provinces de prendre en charge tout le domaine de la sécurité sociale, y compris l'assurance-chômage. Pour ce qui est des inégalités financières qu'un transfert des impôts sur le revenu eût occasionnées entre les provinces, le rapport indique qu'elles seraient peu importan-tes sauf pour les provinces maritimes, et qu'un régime de péréquation pourrait résoudre ce problème. (....)

     

    Mais dans sa conception du fédéralisme, la coordination est secondaire. Elle ne se comprend que par rapport à un principe premier qui est celui de l'autonomie de chaque ordre de gouvernement. «Pas de fédéralisme sans autonomie des parties constituantes de l'État, et pas de souveraineté des divers gouvernements sans autonomie fiscale et financière».(...)

     

     
    ( Extrait de la page 50 : ce paragraphe que le pacte de 1867, du point de vue fiscale, avait été nullifié ! )

     

    Ainsi, le concept d'autonomie dans une fédération moderne ne désigne plus une forme d'indépendance dans des domaines définis par la constitution. Il désigne plutôt une capacité d'agir ou d'influencer le cours des choses.

     

    (Le rapport  Trembaly a été la base des luttes du Québec par les gouvernment succédents à Duplessis jusqu'à Daniel Johnson, père)

     


    On peut donc conclure qu'il y a une parenté «spirituelle» manifeste entre le rapport Tremblay et la pensée constitutionnelle des principaux partis politiques du Québec, que ceux-ci soient fédéralistes ou non.

    ...