HARPER ET LES JUGES

Opacité intenable

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Rien à attendre du système fédéral

Stephen Harper a procédé à sa troisième nomination à la Cour suprême en 15 mois. Contrairement à ce qu’il avait promis il y a 10 ans, c’est le retour au processus opaque.

Lors de la campagne de 2005-2006, Stephen Harper avait tenté de rassurer ses électeurs souhaitant se débarrasser des libéraux, mais qui, en même temps, craignaient l’arrivée des conservateurs au gouvernement : « Même avec une majorité », insistait M. Harper, il est impossible « d’avoir un pouvoir absolu pour les conservateurs ». À preuve, fit-il valoir : « Il y aura encore un Sénat libéral, des cours nommées par les libéraux, une bureaucratie nommée par des libéraux. »

Près d’une décennie plus tard, le Sénat est à majorité conservatrice, la fonction publique a été transformée par les conservateurs. Les tribunaux ? Selon un relevé effectué par le Globe and Mail, sur 840 juges, 600 ont désormais été nommés par le chef conservateur. Mardi, le gouvernement Harper annonçait la nomination du juge albertain Russell Brown à la plus haute cour. Un juge franchement conservateur. Seuls deux des neuf « suprême » n’ont pas été nommés par M. Harper. Selon la logique de 2005 de M. Harper, il faudrait conclure qu’il n’y a plus de contre-pouvoirs au Canada.

Nuançons, évidemment. D’une part, le premier ministre canadien — surtout lorsqu’il a longtemps été en poste — est extrêmement puissant. Le système parlementaire canadien est une sorte de « monarchie élective », selon l’expression du politologue Marc Chevrier. Ce dernier soulignait, dans un texte (1999), que le premier ministre fédéral pourvoit « à la nomination des juges et des sénateurs fédéraux, des chefs des États provinciaux, ainsi qu’à celle des directeurs généraux d’une constellation d’organismes créés par l’État-providence fédéral ». De plus, il « règne en maître sur son parti, et contrôle par ce biais le Parlement, de même que l’appareil gouvernemental ». Bref, « devant une telle puissance, les mécanismes institutionnels de contre-pouvoirs sont peu efficaces. Le vérificateur général et les multiples ombudsmen la chatouillent en vain de leurs remontrances. […] En somme, le seul contre-pouvoir efficace qui demeure, c’est le pouvoir judiciaire ».

Et il faut admettre : la Cour suprême l’a bien démontré ces dernières années. La liste des défaites de Stephen Harper devant le plus haut tribunal du Dominion n’a cessé de s’allonger même si le nombre de juges nommés par lui y augmentait : réforme du Sénat, encadrement de la prostitution, cas Omar Khadr, peines minimales obligatoires, centres d’injection supervisée, projet de commission pancanadienne des valeurs mobilières. Un dernier ? Nomination du juge Marc Nadon !

Certains concluront qu’il y a là une preuve de l’inutilité de réformer le mode de nomination des juges. Mais ce serait une erreur. Car ce mode de nomination, après quelques tentatives et promesses de réforme, est redevenu ces derniers mois très opaque. Souvenons-nous du débat à ce sujet, il y a une décennie. Début juin 2004, Michel Robert, alors juge en chef de la Cour d’appel (et ancien président du PLC ; mais ça, c’est une autre histoire…), déclarait : « Le système de nomination des juges manque de transparence, et cela affecte sa crédibilité. » L’année suivante, en pleine commission Gomery, le témoin Benoît Corbeil lâche sa bombe : pendant la campagne électorale fédérale de 2000, une vingtaine d’avocats de grands cabinets ont travaillé « bénévolement » pour le PLC-Q. Par la suite, « entre sept et huit » furent nommés à la magistrature. Ces accusations, bien plus graves encore que celles qui ont conduit, en 2010-2011, à la création de la commission Bastarache sur la nomination des juges au Québec, n’auront jamais conduit à un exercice comparable au Canada. Or, nous en aurions grandement besoin.

En 2005, pourtant, Stephen Harper était alors extrêmement critique du mode de nomination des juges. Il proposait la formation de comités pour raffiner les nominations ; prôna même la ratification de celles-ci par le Parlement. Une fois au pouvoir, il tenta certaines expériences timides. Mais depuis l’affaire Nadon et les fuites dont elle a été marquée, M. Harper a décidé d’exclure le Parlement du processus et semble vouloir profiter des vieilles méthodes.

Le chef conservateur avait aussi promis de convier les provinces à participer aux nominations. Après tout, les juges de la Cour suprême tranchent des différends entre l’État central et les États fédérés. Mais comme on se souvient, il a ignoré le Québec et tenta d’imposer le juge Nadon à la plus haute cour. Philippe Couillard s’en était plaint : « C’est important d’avoir un niveau de communication très élevé. Je vous rappelle, d’ailleurs, que ça fait partie des demandes traditionnelles du Québec. » Les candidats aux élections fédérales devront prendre une position claire à ce sujet et s’engager à apporter les changements qui s’imposent.


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