Où en est le fédéralisme d'ouverture?

Charest <i>le nationaliste</i> et le "fédéralisme de fermeture"...


Lors de la précédente campagne électorale, le chef consevateur, Stephen Harper, avait promis un «fédéralisme d'ouverture» et de plus grande collaboration avec les provinces, plus particulièrement avec le Québec, à l'occasion d'un discours prononcé à Québec même en décembre 2005. Il s'était alors engagé à régler le déséquilibre fiscal entre le fédéral et les provinces, à respecter les compétences provinciales et à mieux encadrer le pouvoir fédéral de dépenser dans des champs de compétences exclusives des provinces, à accorder une place au Québec à l'UNESCO.
Ce discours a été bien accueilli au Québec à un point tel qu'il fut considéré comme un événement marquant de cette campagne électorale qui a permis au Parti conservateur de faire des gains sur le scène québécoise et, surtout, dans la grande région de Québec.
Unité nationale
L'idée d'une «ouverture» du gouvernement central à l'endroit des provinces ne pouvait apparaître que comme un vent nouveau et vivifiant sur les relations fédérales-provinciales par opposition au contexte de confrontation et de rapports hiérarchiques qui avait prévalu durant la décennie précédente. Pour le Québec, en particulier, cette ouverture indiquait une voie nouvelle totalement différente de celle adoptée par le gouvernement libéral de Jean Chrétien qui avait effectué une série de gestes témoignant d'une volonté de «reprendre en main» les relations avec le Québec sur le ton de la confrontation plutôt que de la collaboration.
Le renvoi devant la Cour suprême, la loi sur la clarté référendaire, les menaces de partition du Québec, la stratégie de visibilité avec le programme des commandites, l'accord sur l'union sociale, la création de fonds «dédiés» à des programmes particuliers, les programmes de subventions directes à des individus ou des organismes, tout témoigne, en effet, d'une volonté de reprendre en main le dossier des relations fédérales-provinciales et de l'unité nationale par le gouvernement central qui intervient sur plusieurs fronts à la fois.
Régler le déséquilibre fiscal
Au cours de la présente campagne électorale, Stephen Harper a souligné les réalisations de son gouvernement en matière de «fédéralisme d'ouverture» en indiquant qu'il avait rempli ses promesses, plus particulièrement à l'égard du Québec. Qu'en est-il exactement? En ce qui a trait au déséquilibre fiscal, il est vrai que le gouvernement conservateur, comme avaient commencé à le faire les deux gouvernements libéraux précédents, a augmenté ses transferts dans le domaine social, surtout en santé, mais en laissant pratiquement de côté l'éducation postsecondaire.
C'est pourquoi plusieurs groupes réclament le retour au niveau de 1994-95 (avant les compressions budgétaires) des transferts en éducation postsecondaire. Le rattrapage est donc énorme, c'est le moins que l'on puisse dire... Le gouvernement conservateur a également révisé la formule de péréquation qui est désormais basée sur la norme des dix provinces (au lieu de cinq comme c'était le cas auparavant) et de la moitié des revenus tirés des ressources non renouvelables. Le Québec et d'autres provinces étaient plutôt favorables à une mesure qui tiendrait compte de l'entièreté de ces revenus.
Pouvoir de dépenser
Au total, les transferts fédéraux ont augmenté considérablement -- par rapport aux compressions de 1995-96 --, mais pas suffisamment pour répondre aux besoins réels des provinces. Telle est d'ailleurs la position des trois partis politiques représentés à l'Assemblée nationale du Québec qui estiment que le déséquilibre fiscal n'est pas réglé. Le problème vient du fait que les coûts dans le domaine social, en particulier en santé, augmentent en proportion plus rapidement que les transferts fédéraux dans ce secteur. Ce qui se traduit par une ponction supplémentaire sur les finances provinciales
Les conservateurs ont également promis de mieux encadrer le pouvoir fédéral de dépenser. Jusqu'à ce jour, les propositions du gouvernement conservateur ont été rejetées par le Québec puisqu'elles ne concernaient que les nouveaux programmes fédéraux à frais partagés dans les champs de compétence provinciale et qu'elles ne touchaient pas aux programmes «dédiés», c'est-à-dire consacrés à des sujets spécifiques pour une durée limitée par des interventions directes auprès des individus, des groupes ou même des gouvernements.
Tout ceci permet au fédéral d'établir des priorités pour les provinces, ce qui restreint d'autant leur autonomie. Les Accords du lac Meech et de Charlottetown contenaient des propositions visant à encadrer le pouvoir de dépenser. À l'époque, l'ex-premier ministre Trudeau les avaient vivement critiquées parce qu'elles limitaient trop la capacité d'action du gouvernement fédéral (dans des secteurs qui, rappelons-le, ne relèvent que de la compétence provinciale).
Un siège à l'UNESCO
Le gouvernement conservateur, conformément à ses engagements, a accordé au Québec une place à l'UNESCO. Mais il s'agit, tout au plus, d'un strapontin pour le Québec au sein de la délégation canadienne puisque celle-ci ne peut parler que d'une seule voix définie par les autorités canadiennes. Rien ne garantit que cette voix sera celle du Québec. Si les positions québécoise et canadienne coïncident, tant mieux. Si elles ne coïncident pas, tant pis: la position canadienne va prévaloir. En somme, le délégué du Québec exerce plutôt un rôle de lobbyiste au sein même de la délégation canadienne et auprès des autres délégations représentées dans cette organisation internationale.
Finalement, la Chambre des communes a adopté une motion indiquant que «les Québécoises et les Québécois forment une nation au sein d'un Canada uni». Il s'agit d'une reconnaissance purement symbolique qui n'entraîne aucun effet juridique contraignant, comme toute motion de la Chambre. Un enchâssement de cette notion dans la constitution canadienne aurait, par contre, un effet nettement plus important. Cette reconnaissance de la nation québécoise n'était nullement prévue dans le programme du Parti conservateur adopté à Montréal en 2005, et pour cause, puisqu'une telle proposition n'aurait pas pu obtenir l'aval d'une majorité de délégués.
Ce n'était pas non plus un engagement de Stephen Harper lors de son discours de Québec en décembre 2005. Cette motion n'a été adoptée qu'à la suite d'un amendement soumis par les conservateurs avec l'appui des libéraux à une motion du Bloc québécois demandant la reconnaissance de la nation québécoise. Sans la motion du Bloc québécois, il est peu probable qu'une telle reconnaissance ait été inscrite à l'agenda politique du gouvernement conservateur.
Des limites atteintes
Le fédéralisme d'ouverture semble donc avoir déjà atteint ses limites: le déséquilibre fiscal est réglé selon les conservateurs, mais non pas pour le gouvernement et les partis politiques québécois; l'encadrement du pouvoir fédéral de dépenser se fait toujours attendre; le Québec n'a obtenu qu'un strapontin pour lobbyiste à l'UNESCO et une reconnaissance purement symbolique -- sans effets concrets -- de la nation québécoise.
Fédéralisme d'ouverture ou fédéralisme bloqué? À l'heure actuelle, la voie constitutionnelle est certainement bloquée puisque personne ne veut toucher à la constitution sous le prétexte que «le fruit n'est pas mûr». S'il y a eu un certain déblocage sur le plan politique, il importe de préciser que les résultats demeurent encore assez limités. La porte de la maison québécoise n'est encore qu'entrebâillée. Il ne faut pas la fermer immédiatement et mettre la clé sous la porte.
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Réjean Pelletier, Professeur au département de science politique de l'Université Laval


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