Parler Français est une richesse

15d4cc66dd259e66e5a06d318a01ae68

Chronique de Marie-Hélène Morot-Sir

On dirait que le vent s'est pris dans une harpe
Et qu'il en a gardé toutes les harmonies. Yves Duteil

L’idée du déclin du Français en France est un discours bien rodé d’une partie de la presse anglophone, comme nous l’indique Claude Hagége, professeur au Collège de France.

Certes nous assistons au déferlement de l’anglais, favorisé grandement par l’idéologie libérale et cela particulièrement dans les domaines scientifique, industriel et commercial là où les échanges internationaux sont importants. Mais il faut observer que de tous temps une langue évolue, s’enrichit au contact des autres langues, sans que cela ne soit une menace quelconque ... La langue anglaise elle-même est composée de plus de dix mille mots français, auxquels se sont rajoutés ceux nombreux de leurs différentes colonies.

Ce mécanisme de nivellement par la langue anglaise tient à cette puissance extrême qu'a développée la culture dominante du monde à exporter partout son cinéma, sa musique, sa littérature et de surcroît, ses nouveautés technologiques et de communication.Et avec tout cela ses propres modes de fonctionnement, de pensées et par conséquent, son échelle de valeurs qui repose sur la dévalorisation croissante des autres échelles de valeurs.

N’oublions pas que « si l’anglais est la langue «nationale» des Anglais, chez-eux en Angleterre, la langue française a toujours été, et demeure depuis le XIème siècle, la langue «patrimoniale» de la royauté anglaise, statut qu’elle conserve encore de nos jours pour des motifs propres à son histoire et à sa constitution. Cf. Maitre Néron

La Langue française ne s’appauvrit pas en utilisant des termes anglais, quelquefois même ce sont des mots français qui ont fait un détour par la Grande Bretagne et qui reviennent après tous ces siècles chez nous, avec une phonétique différente ayant entraîné une différence d’orthographe (ex :foreign : vient du mot forain qui était effectivement un étranger au village) et quelquefois même un sens différent ! ( ex : le mot gay ) Si notre langue française les intègre un temps, par mode ou par pur snobisme, elle peut parfaitement digérer ces mots étrangers, tout comme rejeter ceux qui ne lui conviennent pas.
Une langue est vivante, sinon cela devient, tout comme le latin, une langue morte. Nous avons observé de nombreuses expressions ainsi par exemple " teen-agers", très à la mode dans les années 80, aujourd’hui ce mot n’est plus du tout employé, il lui a été préféré celui bien français d’ado (adolescent)
Regardons de plus près le mot paquebot, un mot parfaitement français aujourd’hui, à l’orthographe française, c’est pourtant un mot anglais transformé, digéré et devenu cent pour cent français..

Le français comme toutes les langues s’est construit siècles après siècles en empruntant des mots étrangers, y compris des mots d’origine amérindienne… raquette.. toboggan.. etc. des mots arabes (amiral, abricot..) des mots venus d’Italie arrivés au moment où des rois de France avaient épousé des Italiennes, mais aussi sous le long ministère de Mazarin, italien lui-même les a également introduits à la cour.. ou encore les papes à Avignon entourés d’italiens. Déjà les Français craignaient cet apport de mots venus de l‘autre côté des Alpes.. Ce n’était pas la peine de s’alarmer ces mots comme tant d’autres ont enrichi notre langue. Nous nous servons toujours de ces mots au délicieux parfum de l’Italie, principalement dans la musique..

Lorsque ces mots étrangers se rajoutent, non seulement ils sont prononcés avec notre accent français au point qu’un étranger lui-même ne les reconnaît plus, mais surtout ils ne perturbent en rien la syntaxe, ils sont au contraire insérés dans la construction grammaticale française, ce vocabulaire étranger ainsi absorbé fait vivre et évoluer le français.

Pourquoi aujourd’hui faudrait-il s’alarmer de cet autre envahissement, celui de la langue anglaise ? Parce que nous nous apercevons bien que cette langue veut prendre la place de toutes les autres langues. Chaque langue doit garder sa place, l’anglais comme les autres mais pas plus que les autres.. Si devant un musée ou un magasin il y a un panneau « speak english », mais aussi « hablamos espanol » et encore « qui si parla italiano » La règle du pluralisme étant respectée, tout le monde en sera d’accord.

Selon des démographes et selon une enquête de l’UNESCO, la langue française, à travers la Francophonie, pourrait représenter plus de 800 millions de locuteurs en 2050, 800 millions de locuteurs, près de 10 % de la population mondiale, ce n’est pas rien. Seul le français partage un trait important avec l’anglais, sa présence sur les cinq continents.
Cela permet, et permettra donc, de communiquer à l’échelon mondial, contribuant ainsi à assurer une part de diversité linguistique dans la communication internationale, une communication internationale que se disputent seulement quelques langues mais où l’anglais est actuellement dominant. Il faut s’atteler pour créer de la diversité dans la communication internationale.

La victoire de l'anglais est-elle alors irréversible?

Pas du tout affirment les linguistes.

Des mesures positives continuent à être prises avec par exemple des quotas de musique française sur les radios et les télévisions, les aides au cinéma français, entre autres choses.
Le français devrait pouvoir être le porte-étendard de la diversité culturelle dans le monde car il dispose de tout ce qui fait une grande langue internationale. Tout comme l’anglais, le français est diffusé sur les cinq continents, sur lesquels il propage le prestige de sa culture, mais aussi la voix singulière de la France.

Une langue constitue une manière de penser, une façon de voir le monde, une culture, il ne faut pas laisser la nôtre se diluer car l'anglais est porteur d'une certaine idéologie néolibérale...celle-ci menace de détruire nos cultures dans la mesure où elle est axée essentiellement sur le profit.

À l’heure de la mondialisation de l’économie, des échanges impressionnants à travers toute la planète, nous devons œuvrer à garder précieusement l’unité de la langue française face à l’anglais, qui aujourd’hui domine la communication internationale, mais peut-être demain, face aussi au chinois, à l’indi ?
Évitons le franglais, cette triste hybridation de deux sous-ensembles langagiers : dans le franglais, on ne débute pas par une proposition digne de Molière pour la conclure par une autre digne de Shakespeare. C’est plutôt le langage limité d’un français à peine compris qui alterne avec le langage limité d’un anglais à peine appris. Cela ne sert qu’à dégrader les deux langues, rien n’est construit, c’est notre héritage qui est dilapidé car la structure grammaticale est calquée sur l’anglais..
Faisons attention à notre propre comportement linguistique, si on n’y prend garde, s’il se relâche, s’il est truffé de structures grammaticales bancales, de fautes de syntaxe, d'erreurs de sens, de barbarismes, et de calques de l'anglais cela nous prive de la précision et de la richesse de notre langue, et d’un moyen de communication avec le reste de la francophonie, il nous prive d’une série d’emplois qui exigent la maîtrise de la langue française…

C’est réconfortant de constater que loin des médias qui distillent et véhiculent toute cette « anglomania » pouvant faire penser que c’est tout notre pays qui est contaminé, les Français eux-mêmes continuent à parler correctement notre langue.
Il faut aider ceux qui ont cette étrange fascination pour l’Anglais à s’en rendre compte.

Nos armes pour la défense du français sont sa beauté et notre créativité à relancer la langue française au XXIe siècle en créant de beaux mots en s’appuyant sur l’entrecroisement logique de ses racines grecques et latines.
La langue française conduit à penser, à écrire, à vivre, de façon claire, simple, directe, précise.. Elle trouve sa source dans l’harmonie des paysages et conduit à une symétrie des mots, à un équilibre des concepts, qu’on trouve déjà dans les textes des inventeurs de cette langue, de Blaise Pascal, de Chrétien de Troyes à Montaigne, de Marcel Proust à Léopold Senghor.

Yves Duteil
https://www.youtube.com/watch?v=joUeMoDDcYM

C'est une langue belle avec des mots superbes
Qui porte son histoire à travers ses accents
Où l'on sent la musique et le parfum des herbes
Le fromage de chèvre et le pain de froment

Et du Mont-Saint-Michel jusqu'à la Contrescarpe
En écoutant parler les gens de ce pays
On dirait que le vent s'est pris dans une harpe
Et qu'il en a gardé toutes les harmonies

Dans cette langue belle aux couleurs de Provence
Où la saveur des choses est déjà dans les mots
C'est d'abord en parlant que la fête commence
Et l'on boit des paroles aussi bien que de l'eau

Les voix ressemblent aux cours des fleuves et des rivières
Elles répondent aux méandres, au vent dans les roseaux
Parfois même aux torrents qui charrient du tonnerre
En polissant les pierres sur le bord des ruisseaux

C'est une langue belle à l'autre bout du monde
Une bulle de France au nord d'un continent
Sertie dans un étau mais pourtant si féconde
Enfermée dans les glaces au sommet d'un volcan

Elle a jeté des ponts par-dessus l'Atlantique
Elle a quitté son nid pour un autre terroir
Et comme une hirondelle au printemps des musiques
Elle revient nous chanter ses peines et ses espoirs

Nous dire que là-bas dans ce pays de neige
Elle a fait face aux vents qui soufflent de partout,
Pour imposer ses mots jusque dans les collèges
Et qu'on y parle encore la langue de chez nous

C'est une langue belle à qui sait la défendre
Elle offre les trésors de richesses infinies
Les mots qui nous manquaient pour pouvoir nous comprendre
Et la force qu'il faut pour vivre en harmonie

Et de l'Île d'Orléans jusqu'à la Contrescarpe
En écoutant chanter les gens de ce pays
On dirait que le vent s'est pris dans une harpe
Et qu'il a composé toute une symphonie

Et de l'Île d'Orléans jusqu'à Contrescarpe
En écoutant chanter les gens de ce pays
On dirait que le vent s'est pris dans une harpe
Et qu'il a composé toute une symphonie

Featured 9f80857c4f8cb8374a10579d275de8ea

Marie-Hélène Morot-Sir151 articles

  • 303 414

Auteur de livres historiques : 1608-2008 Quatre cents hivers, autant d’étés ; Le lys, la rose et la feuille d’érable ; Au cœur de la Nouvelle France - tome I - De Champlain à la grand paix de Montréal ; Au cœur de la Nouvelle France - tome II - Des bords du Saint Laurent au golfe du Mexique ; Au cœur de la Nouvelle France - tome III - Les Amérindiens, ce peuple libre autrefois, qu'est-il devenu? ; Le Canada de A à Z au temps de la Nouvelle France ; De lettres en lettres, année 1912 ; De lettres en lettres, année 1925 ; Un vent étranger souffla sur le Nistakinan août 2018. "Les Femmes à l'ombre del'Histoire" janvier 2020   lien vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=evnVbdtlyYA

 

 

 





Laissez un commentaire



3 commentaires

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    20 septembre 2016

    Madame,
    Trop éloignée de sa mère-patrie, la langue évolue de très loin, dans les "colonies". Contaminés par les langues amérindiennes, dans nos réserves respectives, il nous arrive de confondre évier et lavabo. Kwé kwé

  • Archives de Vigile Répondre

    20 septembre 2016

    Michel Rivard - Le coeur de ma vie
    https://www.youtube.com/watch?v=OR7fzHFy1co
    Ma langue française c'est le coeur de ma vie!

  • Archives de Vigile Répondre

    19 septembre 2016

    Mme. Morot-Sir,
    Lire un texte tel que celui-ci équivaut à se laisser bercer par la merveilleuse harmonie d’une musique digne d’une grande langue que les plus jeunes ne semblent pas connaître suffisamment pour en apprécier les raffinements.
    Je viens de plus en plus rarement sur Vigile mais, je ne manquerais pas un de vos écrits. Les éditoriaux de M. LeHir aussi bien étoffés soient-ils, ne remplacent pas les échanges d’idées que nous pouvions lire précédemment à la Tribune Libre, plusieurs auteurs ayant, pour des raisons personnelles, quitté le nid et d’autres, expulsés. Le lectorat ne semble plus être ce qu’il était. Il n’est pas normal qu’un texte de la qualité de celui de M. Cloutier du 17 septembre, n’ait eu que 245 lecteurs.
    Malheureusement, je ne crois pas non plus que ce texte délicieux de Mme Morot-Sir en récolte beaucoup plus malgré sa clarté et sa pertinence. La langue anglaise envahissante dont on parle concerne je crois, que l’américanisme bas de gamme. L’anglais ‘’britannique’’ est beaucoup mieux structuré. Cependant, rien ne se compare à l’élégance et la précision de notre langue française.
    Merci Mme Morot-Sir pour ce mémorable énoncé.
    Ernest Dufresne