Il faut nous plonger dans notre étonnant passé!

« Le fleuve des générations suit son cours, que ses eaux n’emportent pas avec elles la mémoire de sa source ! »

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Chronique de Marie-Hélène Morot-Sir

Arrivés sur ce sol d’Amérique septentrionale en 1603 avec Samuel de Champlain, les Français installés sur les bords du Saint Laurent, ont écrit une étonnante et prodigieuse page de l’Histoire de l’Amérique française, durant plus de cent cinquante ans.

Nous pouvons nous demander, après avoir été entraînés avec enthousiasme non seulement à leur suite, mais aussi à la suite de leurs alliés amérindiens, pourquoi ces efforts dépassant l’imagination pour construire et bâtir ce pays de la Nouvelle France, communément appelé Ganata-ha ( Canada), ceci sans réels moyens, sont aujourd’hui si peu racontés et ainsi si peu connus, non seulement au Québec par les descendants eux-mêmes de ces Français, mais également en France, leur ancienne mère patrie, terre de leurs ancêtres ?

Leur histoire est une extraordinaire aventure, elle regorge d’incroyables héros tels Pierre Lemoyne d’Iberville, Jean Nicolet, Louis Jolliet, Dollard des Ormeaux pour ne citer que ceux-là !

C’est effectivement une interrogation d’autant plus choquante qu’au siècle suivant, lorsque les treize colonies de la Nouvelle-Angleterre se révolteront contre Londres, et fonderont les États-unis d’Amérique, toute cette partie historique de l’Amérique anglo-saxonne sera, elle, largement diffusée et chacun en connaîtra le déroulement.
Les noms célèbres seront complètement connus du grand public mondial, que ce soit des hommes politiques importants ou des personnages marquants comme Buffalo Bill, Calamity Jane ou même David Crockett par exemple, mais tant d’autres noms encore, ou tant et tant d’événements significatifs de cette conquête de l’Ouest états-unienne, peupleront l’imaginaire de tous, que ce soit dans la littérature ou dans la filmographie.

David Crockett est en effet bien connu mondialement, mais qui sait encore aujourd’hui qu’il est pourtant d’origine française ayant, comme beaucoup d’autres, américanisé son nom, son vrai nom étant David Croquemontagne, descendant d’un huguenot français de Normandie ? Sa famille avait fui le royaume de France, ainsi qu’un grand nombre de huguenots français, après la révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV. Non seulement ces protestants français sont partis, mais curieusement bien d’autres protestants de pays étrangers, de pays plus nordiques paraissant pourtant être mieux acceptés chez eux dans les pays anglo-saxons par exemple, comme nous aurions pu effectivement le penser, que ceux appelés « les mal sentant de la foi » de la France de Louis XIV, ou même des Pays Bas de culture eux aussi catholique, ces anciennes Provinces Unies sous la domination de la très catholique Espagne.

C’est à constater, les Anglais ont peuplé leurs six premières colonies anglaises le long de l’Atlantique, sans avoir besoin de faire quoi que ce soit, puisque tous ces nombreux protestants désireux d’émigrer, fuyant pour un certain nombre d’entre eux les persécutions religieuses, arrivèrent de tous les coins de l’Europe, et cela de plus en plus nombreux au cours des années qui suivirent. Si ce n’était pas la difficulté de pratiquer leur religion anglicane, la vie difficile, la pauvreté, le manque de travail ou encore mille autres événements entrèrent alors en ligne de compte pour les pousser, eux aussi, à l’immigration. A l’encontre, le roi de France et principalement le cardinal de Richelieu, avaient pris une décision qui ne fut pas sans conséquence pour la suite des événements, celle de refuser catégoriquement après 1629 toute arrivée de huguenots en Nouvelle France… Pourtant Pierre Dugua des Monts, et bien d’autres parmi ceux qui entouraient Samuel de Champlain, étaient protestants, et cela ne gênait en rien François Ier et encore moins par la suite le roi Henri IV qui l’était d’ailleurs lui-même, et s’était uniquement converti par la suite au catholicisme puisque « Paris vaut bien une messe ! »

Pourtant cet état de choses changea radicalement au moment de l’attaque de Québec par les frères Kirks, ils étaient protestants ainsi que ceux qui les avaient aidés, tous des huguenots comme Jacques Michel, pilote sur le Saint Laurent qui les avaient conduits à travers les écueils multiples du grand fleuve... Evidemment cette décision intransigeante mit immédiatement un frein au peuplement de la Nouvelle France, qui il faut le reconnaître n’était déjà pas très important. Les Français ne quittaient pas facilement leur pays, il fallait les y inciter comme par exemple avec « les trente-six mois » et leur démontrer tous les avantages d'aller vivre si loin de chez eux, ou encore ces terres données par Robert Giffard aux colons qu’il allait recruter tout spécialement, ou encore cet article de la charte de la Compagnie des Cent Associés spécifiant qu’ils devraient avoir recruté 4 000 colons en quinze ans de monopole… Comme nous le savons la Compagnie n'a pas pu tenir ses engagements !

Par la suite la Révocation de l’Edit de Nantes favorisa grandement l’expansion des colonies de la Nouvelle-Angleterre, par un apport massif de ces personnes désireuses de pratiquer leur foi en toute tranquillité au milieu d’un contexte protestant plus favorable. Tout cela permit le grand déséquilibre observé entre le peu de peuplement de la Nouvelle-France par rapport aux colonies de Nouvelle-Angleterre !

Il nous est donc facile d’observer en effet que si l’épopée anglo-saxonne a été largement diffusée et connue du monde entier c’est tout le contraire pour cette incroyable aventure française, restée dans l’ombre; c’est pourquoi ne pouvons-nous pas alors nous demander légitimement si on ne l’a pas laissée tomber dans l’oubli sciemment ? Certes des noms d’explorateurs, des noms d’hommes de courage et de grands talents, des personnages qui ont joué un rôle essentiel, autant Amérindiens que Français, sont bien sûr parvenus jusqu’à nous, ceux qui ont participé aux grands exploits, aux grandes découvertes, tous ces étonnants personnages qui les ont entreprises et menées jusqu’à leur terme et avec quel succès, mais sans savoir exactement dans le fond à quoi cela correspond, de même le nom de ce peuple amérindien, surnommé Iroquois par les Français, st excessivement bien répertorié et connu de tout un chacun, sans que quiconque ou alors très peu de gens ne sache réellement son vrai nom d’Odinossonis (écrit aussi selon les textes et selon les personnes qui l’ont retranscrit phonétiquement, Haudinossonis comme ils s’appelaient eux-mêmes) ni qui est réellement ce peuple amérindien si particulier. Cette confédération amérindienne, selon les périodes de l’Histoire, s’est montrée parfois particulièrement virulente et violente vis à vis de la petite colonie française, s’opposant avec acrimonie aux Français de la Nouvelle-France, et d’autrefois il y eut de magnifiques ententes, entre autres avec les Onnaontagués/Onontagués par exemple.

Nous continuons à nous poser mille interrogations au sujet des raisons réelles de cette amnésie générale concernant cette page de l’Histoire française en Amérique. Nous pouvons bien évidemment nous demander quels bons arguments existeraient pour répondre à cet état de chose des deux côtés de l’Atlantique.

On ne peut soupçonner et encore moins imaginer cependant quelque sorte de remords ou de repentir de la part de la France, puisque ses relations furent particulièrement amicales avec les peuples autochtones au cours de ce 17ème siècle et 18ème siècle, contrairement aux Anglos Saxons et aux Espagnols, dont chacun a pu largement constater et détailler les tristes conduites vis-à-vis de ces peuples des Premières Nations sur leur propre sol .

Francis Parkman, historien américain, critique tout en soulignant et en décrivant tout à fait le succès de ces rencontres franco-amérindiennes; cependant loin de les admirer il les trouve incapables de permettre une quelconque colonisation, voulant quant à lui, pur produit de la civilisation anglo-américaine, dompter au contraire ces « Sauvages », les assimiler complètement dans le seul but qu’ils ne soient plus visibles ou alors de façon totalement anecdotique et folklorique, afin de les engloutir une bonne fois pour toutes dans leur grande et belle civilisation !…

Assez souvent de parti pris dans ses écrits puisqu’il s’appuyait principalement sur les sources qui coïncidaient avec ses propres idées, des idées fréquemment préconçues, Francis Parkman, nous l’a pourtant spécifié avec force : « L’hispanique a écrasé l’Indien, la civilisation britannique l’a méprisé et négligé, la civilisation française l’a adopté et a veillé sur lui… »

Louis Jaray en 1938 soulignait lui aussi la grande entente qui existait entre les Français et les Amérindiens, disant que cela s’expliquait très facilement, simplement en regardant de quelle manière avaient agi les Français, parce que c’était « grâce aux hautes qualités et à ce vrai don de la race française. »

Mais surtout, plus important que toutes les réflexions des uns ou des autres, des trois nations européennes venues sur ce sol d’Amérique du Nord, la seule qui y a été invitée par ces Nations autochtones a été la France, lors de la grande tabagie de Tadoussac en 1603.

Pourquoi, alors que tous les récits concordent autant, ce passé exceptionnel s’efface-t-il ainsi et depuis si longtemps ? Est-ce alors une vraie volonté avérée ?

Après le traité de Paris de 1763 la France a-t-elle eu cette fois, et sans doute avec raison, un vrai remord à cause de ce roi falot, ce bien triste Louis XV, qui préféra suivre ses conseillers dont le ministre Choiseul, en choisissant ses îles à sucre des Antilles comme Saint Domingue, qui rapportaient beaucoup plus, plutôt que la petite colonie de la Nouvelle France qu’il abandonna lamentablement entre les mains de l’Anglais ? Ce dernier n’en crût pas ses yeux en voyant la signature de ce roi en bas du parchemin, en ce funeste jour où il abandonnait sans l’ombre d’un regret cette poignée de Français sur ces terres septentrionales, si loin de la France.

Ce traité qui cédait des terres françaises à la couronne britannique, était écrit entièrement en Français. Loin d’être l’exception, tous les traités étaient rédigés en Français, la langue française, par la richesse de son vocabulaire et par les circonvolutions intellectuelles qu’elle peut largement décrire, avait depuis bien des années été choisie comme langue diplomatique. Depuis le Traité de Nimègue en 1678 la langue française avait été adoptée à l’unanimité comme langage des cours européennes et des écrits diplomatiques. Tous ceux qui avaient signé ce traité de Nimègue, reconnaissaient que « le Français est un phare destiné à éclairer au loin… »

Est-ce à cause de ces remords inexprimés auxquels se sont rajouté l’aversion et l’obstruction du conquérant lui-même - redoutant qu’un retour de la France ne rappelle trop leur mère patrie à ceux qui avaient été laissés seuls - que durant toutes ces années plus personne n’osa évoquer la Nouvelle-France abandonnée, ce Canada français laissé en des mains étrangères ?..

Il fallut attendre ce grand homme d’Etat, qui en 1967 n’a pas hésité à franchir l’interdit, cet interdit puissant sévissant depuis 204 ans, laissant depuis tant d’années les descendants français se débrouiller seuls, pour résister à la seule force de leur courage, afin de garder leur langue, leurs coutumes et leur religion tant malmenées. Cet homme de haute stature avait les épaules suffisamment larges pour venir à la face du monde les encourager, les soutenir et leur dire que la France, malgré son long, son trop long silence, les aimait toujours et pensait toujours à eux, eux les « Français du Canada » comme il les appela alors, et peu lui importa alors Ottawa choqué, peu lui importa les fédéraux ulcérés de ce pays anglo-saxon, et peu lui importa également tous ceux qui « gribouillent, scribouillent ou grenouillent » et tant pis même pour son propre parti de droite conservateur qui à son retour sur le sol de France en mangea carrément son chapeau !..

Depuis lors, plus personne ne semble posséder chez nous une carrure aussi puissante !

L’ignorance, c’est bien connu, permet d’engendrer, hélas, l’oubli; c’est pourquoi nous devons nous plonger dans cet étonnant passé afin de mieux nous en pénétrer, de mieux le connaître et l’appréhender. Ainsi après cette immersion dans le 17ème siècle, après avoir côtoyé longuement ceux qui ont bâti ce pays de la Nouvelle-France, personne, c’est absolument certain, personne ne pourra rester indifférent. Chacun se sentira alors totalement enthousiasmé, si fier même de s’être ainsi maintenu, mais une fois encore il sera facile de constater combien il est possible, si la volonté est là, d’enfouir profondément l’Histoire de tout un peuple, de la transposer même, afin que personne ne puisse en ressentir une quelconque fierté, en amenant ainsi tout un chacun à penser, à croire même, que ce passé est complètement misérabiliste, nul et non avenu, que seul le présent et l’avenir doivent compter pour lui !

Loin de l’accepter, même si cela a pu être le cas durant quelques trop longues décennies, un peuple a réellement besoin de connaître son Histoire, de suivre les fils qui remontent de ses pères jusqu’à leurs pères avant eux, de comprendre pourquoi et comment ses racines sont plantées si solidement là et à jamais afin de s’y appuyer pour pouvoir avancer vers son avenir. C’est seulement de cette manière qu’il pourra ajouter à son tour une nouvelle page et un nouveau chapitre sur le long chemin de l’Histoire.

Extrait de AU CŒUR DE LA NOUVELLE FRANCE tome II « Des bords du Saint Laurent aux rives de la Louisiane » paru en 2011 Paris

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Marie-Hélène Morot-Sir151 articles

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Auteur de livres historiques : 1608-2008 Quatre cents hivers, autant d’étés ; Le lys, la rose et la feuille d’érable ; Au cœur de la Nouvelle France - tome I - De Champlain à la grand paix de Montréal ; Au cœur de la Nouvelle France - tome II - Des bords du Saint Laurent au golfe du Mexique ; Au cœur de la Nouvelle France - tome III - Les Amérindiens, ce peuple libre autrefois, qu'est-il devenu? ; Le Canada de A à Z au temps de la Nouvelle France ; De lettres en lettres, année 1912 ; De lettres en lettres, année 1925 ; Un vent étranger souffla sur le Nistakinan août 2018. "Les Femmes à l'ombre del'Histoire" janvier 2020   lien vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=evnVbdtlyYA

 

 

 





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2 commentaires

  • Claude Richard Répondre

    23 août 2016

    Quel beau texte madame Morot-Sir! tout plein de sensibilité et d'amour pour ce peuple qu'ont forgé nos ancêtres français. Tout plein aussi de respect pour les groupes amérindiens qui se sont associés à ces colons audacieux.
    C'est une noble mission que vous vous êtes donnée de faire connaître à vos compatriotes ce passé glorieux qui a marqué cette portion de leur histoire et de la nôtre. Quel dommage que tant de Français ignorent ces faits! Peut-être y aurait-il moins d'anglomanie en France si ses citoyens avaient eu un enseignement, disons, plus sympathique de leur histoire.
    Foin de ce Sarkozy et de ses émules, apôtres du rabaissement des francophones vis-à-vis de la puissance anglo-saxonne! Et vive ces Français fiers de leur passé et de leur culture et sensibles au sort de leurs cousins d'outre-Atlantique!

  • Archives de Vigile Répondre

    23 août 2016

    Mme. Morot-Sir,
    Je suis resté bouche-bée devant un texte d’une telle richesse évocatrice. Une prise de conscience urgente doit être entreprise si nous ne voulons pas disparaître dans les méandres enfumés de l’histoire. Lors d’une conquête, nous trouverons toujours des conquis prêts à s’agenouiller devant les conquérants afin d’obtenir faveurs et privilèges. Sous le règne de René Lévesque, le Québec a eu un sursaut de foi en lui-même. En quelques occasions, la France l’a secondé mais, la bourgeoisie vendue a repris le pouvoir et a souvent signifié à cette France de se mêler de ses affaires en engonçant les Québécois dans leur défaitisme et leur ‘’humilité’’, celle qui nous était enseignée à l’époque noire de notre ignorance toute religieuse. Il est vrai que ces communautés religieuse nous ont soigné et instruit. Nous leur devons de parler encore français (en voie de disparition qualitative), cependant, le pouvoir sociétal qui leur a été accordé par les conquérants Anglais, n’était, en fait, qu’une façon détournée de nous contrôler. Le ‘’haut clergé’’ lui, a voulu conserver les privilèges dus à leur ‘’rang’’.
    Aujourd’hui, l’influence de cette caste de ‘’boules à mitre’’ s’est évaporée à mesure que l’instruction publique a pris le dessus sur l’ignorance. Maintenant, une force mondiale a sévi sur les différentes cultures à travers la planète tendant à les faire disparaître, à les reléguer au niveau de folklores régionaux. Dans cet état d’esprit, le Québec, récemment, a élu de sombres personnages qui appliquent à la lettre les édits pluri-centenaires de cette mondialisation réductrice. L’oubli de l’Histoire est une des méthodes appliquées par ces sombres médecins qui prétendent nous diriger. Autrefois, les médecins étaient des personnages vénérés dans nos sociétés mais, depuis l’arrivée de ces voleurs diplômés à la tête de notre pays, nos acquis sociaux, obtenus de haute lutte, fondent au soleil. Bien sûr que l’Histoire n’est à peu près plus enseignée car il est plus facile de contrôler des ignorants que des personnes instruites.
    Mme. Morot-Sir, j’ai été ému de lire votre texte. Sa pertinence est, on ne peut plus, actuelle. Tous les états sont menacés, la France n’y fait pas exception mais, chez nous, au Québec, c’est une question immédiate de survie. Il est minuit moins cinq à l’horloge du temps pour éviter notre disparition. Merci Mme. Morot-Sir de nous le rappeler.
    Ernest Dufresne