Parti québécois: le ménage des idées

PQ - stratégie revue et corrigée

Le verdict prononcé par les électeurs lundi soir dernier n'a pas seulement ébranlé les bases du Parti québécois, il lui a également démontré que lui aussi pourrait un jour faire partie du passé. Désormais, pour regagner le coeur des Québécois, les péquistes devront mettre de côté l'obsession référendaire, faire un sérieux «ménage des idées» et redonner à l'indépendance une couleur identitaire, selon les pionniers du mouvement souverainiste, mais aussi les compagnons d'armes de la première heure de René Lévesque.
«Lundi, ce n'est pas la souveraineté qui a été rejetée, c'est la démarche pour y accéder, parce qu'on a choisi d'imposer un référendum le plus tôt possible. Or la population du Québec ne veut pas se faire imposer un calendrier sur le statut politique du pays. Si le parti ne comprend pas ça et ne change pas la stratégie vers la souveraineté, les votes des souverainistes que nous avons perdus vont rester éparpillés et les prochaines années seront très difficiles.» Le verdict d'Yves Duhaime, qui a dirigé quatre ministères différents sous René Lévesque, est sans équivoque, à l'image du mur auquel vient de se heurter le Parti québécois (PQ).
Cette «obsession référendaire», aux allures de fuite en avant, explique effectivement une bonne partie du résultat du scrutin du 26 mars, selon Pierre Renaud, qui a été président du Conseil exécutif national du parti de 1976 à 1979. «Les gens ne voulaient pas de référendum, mais le parti s'est acharné jusqu'à la dernière minute à dire qu'il y en aurait un. C'était suicidaire», affirme celui qui a longtemps été l'homme de confiance de Lévesque, mais aussi le responsable de toute l'administration et de la gestion interne du parti.
Selon lui, l'équation électorale est alors simple à décortiquer. «On pouvait ne pas vouloir de référendum parce qu'on est contre la souveraineté, parce qu'on trouvait qu'on en avait assez parlé, mais aussi parce qu'on pensait que ça risquait d'être un troisième référendum perdant, explique celui qui a aussi été directeur général du Rassemblement pour l'indépendance nationale. Ça fait beaucoup de monde qui pouvait voter contre l'idée d'un référendum. Par conséquent, en insistant lourdement, c'est sûr que les péquistes n'avaient pas de chance de l'emporter.»
Et l'imposition de ce sacro-saint «calendrier référendaire» ne date pas d'hier, poursuit Claude Morin, ministre des Affaires intergouvernementales du premier cabinet Lévesque. Il soutient que les péquistes se sont piégés en s'engageant à tenir un référendum au cours du premier mandat. «On a lancé le référendum en 1980, alors que nos sondages internes donnaient à penser que ça pourrait très bien finir par une défaite. Mais on l'a fait parce que c'était un calendrier. Et depuis ce temps-là, c'est devenu un "calendrier référendaire", précise-t-il. Pourtant, le référendum doit demeurer un engagement démocratique. On le fera quand on aura l'assurance de le gagner.»
Si elle se dit «exaspérée» par la notion d'urgence qu'on accole au référendum, Martine Tremblay, directrice de cabinet de René Lévesque et de Pierre Marc Johnson, en 1984-85, comprend toutefois que les «purs et durs» insistent pour maintenir cette approche. «Il y a beaucoup de militants qui sont dans ce parti depuis près de 40 ans et qui ont consacré beaucoup de temps à tenter de réaliser ce rêve de la souveraineté. Je peux comprendre leur difficulté à voir que ça ne se passera pas comme ça.»
Pourtant, ajoute-t-elle, «comme René Lévesque en 1984, il faut s'arrêter et constater qu'il y a une barrière psychologique qu'on n'arrive pas à franchir. Alors, il faut se demander quels autres moyens on peut utiliser pour faire avancer les choses, parce qu'il faut faire progresser le Québec.» Mme Tremblay reconnaît du même coup que la simple évocation de l'idée d'un nouveau «beau risque» en rebute plusieurs. «Mais il reste que, dans cette voie, il y avait une recherche d'une voie nouvelle, souligne-t-elle. Je pense que les militants vont devoir continuer cette recherche-là, sans rien n'exclure. L'important, c'est de tout mettre sur la table. Autrement, le parti va continuer de se marginaliser et il va cesser de devenir un parti de gouvernement. Il ne faut pas oublier qu'on n'est plus du tout dans une logique d'alternance.»
En clair, si le PQ met de côté la tenue à court terme d'un référendum, il peut quand même «faire avancer le Québec, et ce, sans abandonner l'objectif de la souveraineté», estime Claude Morin, ajoutant que «l'idée que le PQ doit être élu seulement pour faire la souveraineté, c'est ridicule. Il a un rôle de gouvernement à jouer». Il croit notamment possible de négocier un meilleur partage des pouvoirs avec le gouvernement fédéral.
Gouverner
Pour prouver aux électeurs qu'il est apte à former de nouveau le gouvernement, le PQ doit également reconnaître davantage ses erreurs, selon Denis Vaugeois, ministre des Affaires culturelles de 1978 à 1981. «Le PQ a fait beaucoup d'erreurs au cours des dernières années, dont celle de ne plus écouter les gens sur plusieurs questions, croit-il. En santé, par exemple, on n'écoute pas ce que les gens disent parce qu'on a développé une autre religion, en plus de l'indépendance. Le mot "privé", c'est l'horreur totale, c'est la droite envahissante. On n'a pas d'argument, mais on ne veut rien savoir.»
Il rappelle aussi que ce sont les péquistes qui ont effectué le difficile «virage ambulatoire». «Ça laisse des traces, croit-il, mais au cours des dernières années, ils ont eu bien de la difficulté à faire leur mea-culpa.» C'est également le PQ qui a fait les fusions municipales, «sans jamais écouter la population. Ça n'a rien réglé du tout et les gens ne digèrent pas ça», ajoute M. Vaugeois. Résultat? On se retrouve avec une «accumu-
lation de provocations». «Je connais plusieurs personnes qui sont des souverainistes ardents et sincères mais qui ont voté pour l'ADQ. Elles attendent juste leur chance de voter pour un parti qui va les écouter», fait valoir celui qui a été ministre des Communications en 1979-80.
S'il critique sévèrement le parti, M. Vaugeois ajoute que la situation est «parfaite», en ce sens qu'elle donne l'occasion de «faire un examen de conscience et de mettre de côté l'arrogance. Et à mon avis, ça va être très salutaire». Les troupes péquistes ont donc la tâche d'effectuer de toute urgence un véritable «ménage des idées», parce que «cette défaite-là ne s'est pas préparée la veille des élections», explique Pierre Renaud. «Il y a eu une mauvaise évaluation de la défaite de 2003. On a pensé que c'était dans l'ordre naturel des choses qu'il y ait alternance. L'ADQ donnait des signes d'être un feu de paille. On n'a pas vraiment fait de remise en question.»
Martine Tremblay ne s'en étonne pas. «Il y a une difficulté, voire une incapacité à l'intérieur du parti, à remettre en question certaines choses, y compris le programme du parti, comme l'approche constitutionnelle et la question de la souveraineté». Pourtant, le programme est selon elle «une macédoine indigeste, ce qui fait qu'on ne peut pas retrouver une idéologie la-dedans. Il y a des choses social-démocrates, des choses solidaires, des choses lucides. Bref, on doit vider le bol et recommencer».
Elle critique notamment la présence du SPQ-libre, jugeant «inconcevable qu'on tolère, à l'intérieur de ce parti, un club politique qui peut dire n'importe quoi en toute impunité, qui n'est redevable à personne. C'est une totale aberration».Mme Tremblay ajoute du même souffle que le PQ doit «retrouver une liberté de parole qui n'existe plus dans ce parti depuis un certain temps» et qu'il faut aussi «que ce parti arrête de manger ses chefs et regarde dans sa cour pour voir ce qui ne va pas».
Claude Morin précise lui aussi que «le parti doit faire un sérieux brassage d'idées, parce que ça n'a jamais été fait. Il y a eu la saison des idées, qui a confirmé que tout était correct, mais en radicalisant le programme. Le référendum est mis le plus tôt possible et on accorde peu d'importance à l'association avec le Canada. C'est ça actuellement le programme du PQ, c'est le plus radical de tous les programmes que le PQ a eus depuis sa fondation».
Pour Pierre Renaud, il y a en outre un travail de rajeunissement à faire au sein du parti, afin de le rendre «plus pertinent». «Il ne faut pas oublier qu'on veut faire la souveraineté pour l'avenir du Québec, pour les générations à venir», insiste-t-il.
La question identitaire
Et au lieu de répéter ad nauseam qu'il allait tenir un référendum coûte que coûte, peut-être même en étant minoritaire, le PQ aurait mieux fait de revisiter son histoire et de revenir aux raisons qui avaient motivé, dès le début, le projet d'indépendance. Bref, ramener la question identitaire au premier plan. Tous s'entendent d'ailleurs pour dire que c'est l'ADQ qui, en sachant décoder l'opinion publique, a volé cette carte du jeu des péquistes. «Depuis des années, le PQ ne parle plus de la langue, ne parle plus de culture. On parle de "nationalisme civique", ce qui ne veut absolument rien dire, critique Claude Morin. C'est comme s'il était devenu moins nationaliste. Il a évacué le côté identitaire, en réaction aux propos de Parizeau. Tout le parti a maintenant peur de cette question-là. Jacques Parizeau a dit quelque chose qui était absolument vrai, mais il n'aurait peut-être pas dû le dire de cette façon-là. La rectitude politique qui a suivi a fait en sorte qu'on ne peut plus parler de ces choses-là.»
«Pendant la campagne, on a donné l'impression que les bienfaits de la souveraineté constituent une évidence qui va finir par s'imposer, à force de les répéter, et que ça va venir à bout des réticences, que les gens vont oublier les difficultés qui peuvent survenir, juge pour sa part Pierre Renaud. Il y a un peu de pensée magique dans tout ça, alors qu'il aurait fallu changer sensiblement de cap après 2003.» Selon lui, les péquistes auraient alors dû cesser de parler de «mécanique et d'échéance». «Les gens ne veulent plus entendre ces mots-là, soutient-il. Il faut plutôt leur parler des raisons de faire l'indépendance. Ça n'a jamais été pour des raisons d'argent, mais on s'est acharné à dire combien ça serait payant. Ç'a été une erreur. On veut former un pays pour des questions de culture, de langue, de fierté, d'identité, d'histoire, etc.»
Yves Duhaime abonde dans ce sens. «On parlait juste du référendum, on ne parlait pas de la souveraineté, se souvient-il. Oui, il faut mettre des chiffres sur la table, mais faire la souveraineté, ce n'est pas un exercice comptable, d'autant plus que M. Charest lui-même a dit que le Québec avait les moyens de la faire.»
Si le portrait semble des plus sombres, la plupart des indépendantistes de la première heure consultés par Le Devoir demeurent optimistes. Et ils refusent de jeter la première pierre à André Boisclair. «Le Parti québécois doit paniquer. Il y a ceux qui veulent décapiter le chef, il y a ceux qui en cherchent un autre. Mais ça, c'est de l'événementiel, parce que le Québec est toujours là. Après tout, ce n'est qu'une élection. Les gens en avaient marre des vieux partis, dont le PQ, mais ça ne veut pas dire que l'indépendance est morte, même si c'est sûr qu'on ne peut pas dire qu'on va créer un "momentum" favorable demain matin», affirme François Aquin, qui a été le premier député à évoquer la nécessité de l'indépendance dans l'enceinte de l'Assemblée nationale, le 3 août 1967.
«Dans le moment, il y a d'autres préoccupations au sein de la population, ajoute M. Aquin. Ça ne veut pas dire que, si demain matin on s'apercevait qu'on risquait de perdre notre langue et notre culture, on ne se réveillerait pas. On a 400 ans d'histoire et j'ai encore confiance en nous.»
Même son de cloche du côté de Louis O'Neill, qui a été à la tête des ministères des Affaires culturelles et des Communications au cours du premier mandat péquiste. «Ce qui retient mon attention, c'est la persistance du projet indépendantiste et l'appui dont il jouit au sein d'une large fraction de l'opinion publique, observe-t-il. Ce qui est d'une certaine façon logique, puisque la souveraineté constitue pour une nation un statut normal. La période contemporaine a vu la résurgence de plusieurs petites nations dont on avait prédit la disparition. N'oublions pas en outre que la fédération européenne, dont on vante la réussite sociale et économique, regroupe des États souverains, pas des provinces en tutelle.»


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