À en croire certains de nos observateurs les plus sages et les plus modérés, le monde ferait face à un tel «désastre» économique qu'il serait «au bord du gouffre» d'une «dépression» mondiale «pire que celle du krach de 1929». De deux choses l'une: soit cela est vrai et le temps est venu de paniquer un bon coup; soit nos sages observateurs exagèrent un peu pour être bien sûrs d'être compris.
On le surnomme «l'oracle d'Omaha», tellement l'opinion du milliardaire de la petite ville américaine du Nebraska est respectée par le monde financier. Or, ce que Warren Buffett est allé dire, la semaine dernière, à l'émission de Charlie Rose sur PBS, est que les États-Unis faisaient aujourd'hui face à un «Pearl Harbor économique». «Cela peut paraître mélodramatique, mais c'est vrai», a déclaré celui qui a la réputation de ne pas se laisser impressionner facilement.
Censé éviter comme la peste la moindre inflation verbale afin d'aider les marchés à faire prévaloir la raison sur les réactions instinctives, le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, a déclaré le lendemain que les événements entourant la crise financière étaient «probablement les plus graves depuis la Seconde Guerre mondiale».
Un autre grand sage de la finance, Stephen Jarislowsky, s'est aussi dit extrêmement inquiet de la situation économique. Au Journal de Montréal, il a affirmé n'avoir «jamais vu autant de stupidité de la part des gouvernements et des banquiers», même au cours de la crise des années 1930. Il n'est pas le seul à dresser ce parallèle. Les grands quotidiens d'affaires n'ont jamais autant utilisé le mot «dépression» en plus de 20 ans, a rapporté The Economist.
Pearl Harbor?! La Grande Dépression?! Le «jour d'infamie» qui a amené l'entrée des États-Unis dans la plus grande guerre de l'histoire! La crise qui a provoqué l'effondrement de l'économie mondiale, qui a fait plonger 40 % des familles américaines dans la pauvreté et qui a amené la montée du fascisme!
Jusqu'à présent, la plupart des experts ont estimé que la présente crise financière pourrait provoquer un ralentissement économique comparable à celui qui a suivi l'éclatement de la bulle technologique au début des années 2000. Les plus pessimistes évoquent une répétition de la récession beaucoup plus grave qui s'était produite dix ans plus tôt. Mais Pearl Harbor! La Grande Dépression!
Peut-être nous cache-t-on des choses et qu'il y a véritablement lieu de paniquer, contrairement à ce que l'on nous dit toujours de faire en pareille circonstance? Peut-être ferait-on mieux de se dépêcher d'aller vider nos comptes bancaires et convertir tout cet argent en or que l'on pourra enterrer ensuite dans le jardin avec des bouteilles d'eau et des conserves? On ne sait jamais, mais c'est quand même peu probable qu'on en soit rendu là.
Les médias nous ont habitués à l'escalade de superlatifs lorsqu'ils veulent montrer que quelque chose d'important est en train de se passer. C'est particulièrement vrai en économie, qui intéresse généralement moins les gens et qui est aussi souvent plus difficile à expliquer. Le moindre problème économique est tout de suite appelé une «crise», et une véritable crise est tout de suite comparée à LA crise, celle de 1929. Mais Warren Buffett, 78 ans, et Stephen Jarislowsky, 82 ans, en ont quand même vu d'autres.
Peut-être, alors, cherchent-ils à nous prévenir que quelque chose de vraiment grave nous attend si l'on ne prend pas la mesure des problèmes auxquels on fait face et que l'on n'y réagit pas. Ce n'est sans doute pas un hasard s'ils ont fait leurs alarmantes déclarations la même semaine où l'on essayait de convaincre le Congrès américain d'adopter le plan de sauvetage des institutions financières du secrétaire au Trésor, Henry Paulson, ou encore que l'on essayait de faire dire au premier ministre Stephen Harper que le Canada sera malgré tout lui aussi affecté par la crise économique.
Frapper les esprits
On a vu aux États-Unis comment il pouvait être difficile de venir contredire 30 ans de discours favorable à la libéralisation des marchés et convaincre, notamment les élus républicains, d'adopter un plan général d'intervention piloté par le gouvernement. Le président américain lui-même n'en était pas convaincu, il y a à peine un mois.
Il n'y a pas que les élus qu'il faut convaincre de l'ampleur du danger qui nous guette. Il y a aussi la population qui voyait mal, la semaine dernière, pourquoi il fallait prendre 850 milliards de ses taxes pour voler au secours de banquiers et de financiers qui ont fait la belle vie pendant des années sans se soucier des conséquences de leurs comportements alors que les revenus de la classe moyenne stagnaient. On lui a expliqué que les difficultés des banquiers de Wall Street se traduisent par un tarissement du crédit qui amène une baisse de l'investissement et de la consommation, et par conséquent un ralentissement économique et des pertes d'emplois.
Il faut dire qu'il a fallu beaucoup de temps avant que les dirigeants politiques, les agences régulatrices et même les experts ne se souviennent eux-mêmes de l'importance de ce lien entre Wall Street et Main Street, et qu'ils réalisent qu'ils avaient failli à leur rôle de surveillance et d'encadrement des marchés financiers. Il n'est pas étonnant que le travail d'information et d'éducation de la population sur ces enjeux n'ait pas été fait.
Dans ce contexte, on peut comprendre que même des observateurs habituellement circonspects dans leurs analyses et leurs commentaires ont eu tendance à en rajouter un peu pour être bien sûrs que tout le monde prenne la mesure de l'importance de la crise en cours, tout en sachant que l'on ne fait pas réellement face au danger d'une répétition de l'une des plus grandes catastrophes du XXe siècle.
Le problème est que le bon fonctionnement des marchés financiers, et de l'économie en général, dépend en grande partie de la confiance des acteurs et des consommateurs dans la solidité du système. Il faut donc réussir à suffisamment frapper les esprits pour que tout ce monde se décide à réagir rapidement à la situation, mais pas trop pour ne pas aggraver notre cas et provoquer une ruée vers les banques et les magasins de pelles à jardin.
Pearl Harbor
Il faut donc réussir à suffisamment frapper les esprits pour que tout ce monde se décide à réagir rapidement à la situation, mais pas trop pour ne pas aggraver notre cas et provoquer une ruée vers les banques et les magasins de pelles à jardin.
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