Le pouvoir d’achat des travailleurs canadiens a augmenté de 53 $ au cours des vingt-cinq dernières années, nous a appris Statistique Canada la semaine dernière. 53 piasses!?! Après vingt-cinq années de croissance économique dans l’un des pays les plus riches du monde!?! Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond en ce lendemain de 1er mai, Fête internationale des travailleurs.
On ne peut pas dire que l’on ne s’en doutait pas un peu, mais la nouvelle a quand même produit son effet. Le revenu médian des Canadiens travaillant à temps plein toute l’année est passé d’un total de 41 348 $ en 1980 (en dollars constants de 2005) à la rondelette somme de 41 401 $ en 2005, soit une augmentation nette et totale de 53 beaux dollars (ou 0,13 %) au terme de vingt-cinq années bien comptées. Pour se consoler, on peut se rabattre sur le revenu total des familles dont la médiane a augmenté de 11,1 % durant la même période, essentiellement parce que les femmes sont plus présentes sur le marché du travail. Pour s’achever, il suffit de regarder l’écart des revenus qui ne cesse de se creuser entre le cinquième des travailleurs les plus riches (+ 16,4 %) et le cinquième des travailleurs les plus pauvres (- 20 %).
Ces nouvelles statistiques ne font que confirmer les conclusions de nombreuses autres études canadiennes et internationales sur le sujet. Si l’on ne peut pas nier que la situation du chômage s’est grandement améliorée au Canada, et que l’importation des produits de pays comme la Chine a considérablement limité l’accroissement des prix, on constate néanmoins que les salaires des travailleurs n’ont fait que suivre l’inflation. La seule source d’enrichissement des ménages, ces dernières années, semble avoir été la forte appréciation du prix des maisons. Beaucoup choisissent également de consommer à crédit. Quant au problème des inégalités croissantes, il apparaîtrait que les transferts sociaux des gouvernements, mais surtout la fiscalité, n’ont jamais autant contribué à réduire les écarts de revenus, particulièrement au Québec, mais que la tendance du marché est tout simplement trop forte.
Le problème est que les travailleurs canadiens ne sont pas assez productifs et que les entreprises génèrent, par conséquent, moins de revenus à leur redistribuer, se sont risqués à expliquer des économistes la semaine dernière. C’est peut-être vrai que le Canada tire de l’arrière en matière de productivité par rapport à certains pays, mais cela n’a pas empêché son économie de carrément doubler durant la période qui nous intéresse (d’environ 650 milliards de PIB à 1250 milliards en dollars constants de 2002).
Les auteurs de l’étude de Statistique Canada proposent, plus sérieusement, trois grands facteurs explicatifs. Le premier est que l’évolution effrénée des technologies augmente la demande (et les salaires) de travailleurs qualifiés capables de s’y adapter rapidement. Malheureusement, l’inverse est aussi vrai en ce qui concerne la main-d’œuvre non qualifiée. Ce phénomène explique sans doute l’accroissement des inégalités, mais pas la stagnation des salaires puisque le niveau général de formation des travailleurs a quand même augmenté au Canada ces vingt-cinq dernières années.
Un deuxième facteur explicatif est l’accroissement de la concurrence nationale et internationale à laquelle font face les entreprises aujourd’hui et qui les incite à réduire autant que possible leurs coûts de production et les salaires de leurs employés. Ce phénomène est indéniable et n’a pas fini de se faire sentir à mesure où les économies émergentes comme la Chine et l’Inde continueront de se rapprocher des champs de compétence des pays développés, tout en continuant d’offrir à leurs travailleurs des conditions de travail bien inférieures à celles en vigueur dans les pays riches.
Les unions, qu’ossa donne?
Le troisième et dernier facteur explicatif avancé est la baisse du taux de syndicalisation. Ce commentaire avait une résonance particulière, l’étude de Statistique Canada ayant été dévoilée le 1er mai, jour de la Fête internationale des travailleurs, mais il avait aussi presque l’air étrange tellement le mouvement syndical est rarement présenté, ces temps-ci, comme quelque chose d’utile à l’économie et à la société.
Il est vrai que la proportion des travailleurs syndiqués est passée d’environ 38 % à 31 % au Canada durant la période étudiée. Le gros de la diminution s’est produit dans les entreprises du secteur privé de la fin des années 80 à la fin des années 90. Le Québec a été un peu plus épargné que les autres provinces, en réussissant à maintenir un taux de syndicalisation de 40 %.
Une autre étude de Statistique Canada publiée en 2005 attribuait principalement ce recul à l’augmentation du nombre d’emplois autonomes, d’emplois professionnels, de gestion et du secteur des services où les taux de syndicalisation sont généralement faibles. Cette tendance n’a rien de rassurant, disent les statisticiens, puisque l’on observe généralement une corrélation entre, d’un côté, la présence de syndicats et, de l’autre, l’offre de meilleurs salaires et une plus grande égalité de revenu entre les hommes et les femmes. Il ne serait pas exagéré d’ajouter à cela que les syndicats ont aussi historiquement joué un rôle important dans l’établissement de mécanismes de répartition de la richesse dans nos sociétés, et qu’ils sont aujourd’hui perçus, par plus d’un expert, comme un maillon important dans l’essentielle mise en place de processus d’amélioration continue dans les entreprises.
La présence de syndicats peut également avoir une influence positive sur au moins un autre des trois facteurs explicatifs cités par les experts de Statistique Canada. Lors d’un récent colloque international tenu à Montréal, plusieurs experts ont souligné que l’un des meilleurs moyens d’aider un relèvement des conditions de travail et des salaires des travailleurs dans les pays en voie de développement était d’y promouvoir le droit d’association et de négociation collective. Aucune organisation internationale, ni même aucun inspecteur gouvernemental, ne peut avoir une connaissance aussi fine des conditions réelles de travail dans les entreprises que les employés eux-mêmes. De plus, l’établissement d’un véritable rapport de force entre employés et employeurs reste l’un des meilleur moyen d’obtenir un compromis raisonnable entre les partis.
Mais il faudra du temps, beaucoup de temps, avant que cela n’aboutisse à des améliorations telles, en Chine ou au Guatemala, qu’elles auraient un impact positif sur nos propres salaires. D’ici là, il faudra trouver d’autres moyens de gagner plus que 53 piasses en vingt-cinq ans.
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