Un contrat est un contrat. Et des contrats, Jean-Claude Charette et Gérald Sabourin, propriétaires et agriculteurs de la région de Rigaud, en ont déjà signé plusieurs dans leur vie. Dont celui qui a donné à Interprovincial Pipe Line, l'ancêtre d'Enbridge, le droit de faire passer la conduite sur leurs terres, il y a presque 40 ans.
Aujourd'hui, les deux hommes sont inquiets. «On a changé les règles du contrat, dit Jean-Claude Charette. Ce n'est plus telle quantité et tel produit. Est-ce qu'on a le droit de faire ça sans nous consulter?»
Enbridge veut renverser le flot de son pipeline qui transporte actuellement du pétrole importé vers Montréal et Sarnia, en Ontario. Le tuyau pourra transporter du brut plus lourd en provenance des sables bitumineux de l'Alberta. En même temps, l'entreprise a décidé d'augmenter de 25% le volume de pétrole qui voyagera par son conduit.
Ce ne sont pas de petits changements, selon les deux hommes. «On se sent bougrement concernés», dit Gérald Sabourin.
Ce médecin à la retraite élève avec son fils de 1600 à 1700 têtes de bétail qui ont besoin de beaucoup d'eau, surtout en cette chaleur caniculaire. »En cas de bris ou de fuite qui contaminerait l'eau, on ne peut pas aller au dépanneur pour leur acheter des bouteilles d'eau. »
La protection de l'eau et des nappes phréatiques est la grande, pour ne pas dire l'unique, préoccupation des résidants de ce coin de la Montérégie où le pipeline reliant Sarnia et Montréal fait son entrée en territoire québécois.
«Je ne veux pas faire le débat sur les sables bitumineux, affirme le maire de Saint-Télesphore, Yvon Bériault. Ce qui me préoccupe, c'est l'eau. On est un milieu agricole, et tous les résidants ont des puits.»
Le maire de Saint-Télesphore voudrait qu'Enbridge garantisse une intervention immédiate en cas de problème. «Je ne veux pas attendre des réponses de l'Alberta.»
Des réponses plus immédiates sur le projet d'inversion, les citoyens en attendent encore. L'information diffusée par l'entreprise et les journées portes ouvertes qu'elle a organisées n'ont pas eu raison des inquiétudes de la population. Les réponses d'Enbridge sont imprécises, quand elles ne sont pas contradictoires, disent ceux qui sont allés aux rencontres d'information.
«Enbridge répond, mais à sa façon. On n'a pas été rassurés», dit le maire Bériault.
«Enbridge se moque complètement de nous», dit Patricia Domingos, mairesse de Saint-Justine-de-Newton.
Des questions demeurent sur la durée de vie du pipeline, qui a près de 40 ans, sur la viscosité du pétrole qu'il transportera, sur les mesures prévues en cas d'urgence.
Jean-Claude Charette et Gérald Sabourin n'ont pas obtenu non plus de réponse satisfaisante de la part d'Enbridge. Ils refusent d'aller chercher de l'information chez les environnementalistes, qui en diffusent en quantité.
«On ne veut pas être assimilés aux groupes écologistes parce qu'eux, ils sont contre à peu près n'importe quoi. Alors, on ne veut pas prendre notre information là», précise Gérald Sabourin.
Indépendant, vraiment?
C'est l'Office national de l'énergie (ONE) qui aura le dernier mot, après avoir tenu des audiences publiques en septembre. Lentement, les citoyens de la région se font à l'idée que le gouvernement du Québec ne peut pas défendre leurs intérêts dans ce dossier de compétence fédérale. L'examen du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement qu'ils espéraient n'aura pas lieu.
Le gouvernement du Québec est un peu mal pris avec ce dossier, lui qui a réclamé à l'Office de lui garantir un retour au pétrole canadien si son prix redevenait plus intéressant, quand le flot du pipeline a été inversé une première fois en 1997.
Reste l'ONE, dont l'indépendance et la compétence soulèvent des doutes. «Avec un gouvernement majoritairement conservateur, il y a de quoi se poser des questions», croit Gérald Sabourin.
La capacité de l'organisme à faire respecter la réglementation fait aussi des sceptiques. Avec toutes les coupes gouvernementales, l'ONE peine à assurer le suivi de ces décisions.
L'Office a déjà donné son aval à l'inversion de la plus grande partie de la Ligne 9 entre Sarnia et Westover, en Ontario. Le reste de la Ligne 9 pourrait n'être qu'une simple formalité pour Enbridge.
Les citoyens refusent quand même de baisser les bras. Surtout après ce qui vient d'arriver. La tragédie de Lac-Mégantic, qui a prouvé le danger du transport du pétrole par rail, n'a pas rendu les pipelines moins dangereux, dit Katherine Massam, une citoyenne de Très-Saint-Rédempteur.
Tout le monde là-bas sait ce qui est arrivé en 2010 à Kalamazoo, au Michigan, quand un pipeline d'Enbridge a laissé couler des milliers de litres de brut lourd.
«Ce qui est arrivé à Lac-Mégantic est la preuve qu'il ne faut pas attendre qu'il y ait un accident avant d'avoir des réponses sur les mesures de sécurité», dit-elle.
La ligne 9 en chiffres
1975
Construction de l'oléoduc, qui a été mis en service en 1976 pour assurer l'approvisionnement du Québec en pétrole albertain.
1997
Le flux de la Ligne 9 a été inversé il y a 16 ans pour permettre aux raffineries du Québec et de l'Ontario de s'approvisionner en pétrole importé, moins cher que le pétrole canadien.
30 POUCES
Le diamètre du tuyau (762 millimètres) enfoui dans le sol à environ 3 pieds (1 mètre de profondeur).
639 KM
La longueur du pipeline d'Enbridge entre Sarnia et Montréal. Le flux de la portion comprise entre Sarnia et Westover, dans le sudouest de l'Ontario a déjà été inversé pour acheminer le pétrole brut de l'Ouest.
100 KM
La portion de la Ligne 9 qui passe au Québec, entre Sainte-Justinede- Newton et Montréal-Est.
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