À Éric Messier

Pour en finir avec les «de souche» - suite

Tribune libre

Ce que vous proposez, l’indépendance comme remède à nos maux, constituant tout à la fois la défense ultime de notre francophonie et un projet de société capable de nous réveiller, de nous solidariser à nouveau, c’est ce que soutient le PQ depuis ses débuts. Et pour moi, ça relève finalement de l’imposture.
D’une part, parce que une fois l’indépendance obtenue, je ne vois vraiment pas ce qui changerait d’un point de vue national. Même si ce sont des « de souche» qui auraient majoritairement voté pour faire cette indépendance, il n’en reste pas moins que ce sont les mêmes politiciens multiculturalistes qui seraient au pouvoir et surtout les mêmes élites gouvernementales, institutionnelles, médiatiques, culturelles, économiques, celles-là qui ont signé les manifestes pluralistes du printemps dernier, qui demeureraient en poste. Certes, il leur serait peut-être plus facile de défendre une nationalité distincte (ou plutôt une citoyenneté distincte), mais alors une nationalité encore moins canadienne-française, moins «de souche» qu’aujourd’hui. D’autre part, parce que c’est pour beaucoup l’espoir d’une indépendance salvatrice qui nous plonge actuellement dans un attentisme mortifère. On attend la reprise du pouvoir par le PQ, on attend un nouveau référendum, on n'ose plus, d’ici là, rien dire ou faire de conséquent (ou si peu), laissant ainsi champ libre aux lobbys, aux ambitieux et aux corruptions de toutes sortes.
Vous savez qu’en deux ans de «vigilisme», c’est le premier échange soutenu que j’obtiens, et je vous en suis particulièrement reconnaissant. Surtout qu’en peu de temps nous avons cerné la source même de notre différent : la perception de l’identité canadienne-française. Pour vous, cette dernière «fait colonisé», alors que pour moi, c’est précisément l’inverse.
Car contrairement à ce qu’on dit, un Canadien-Français n’est pas un colonisé, c’est un conquis, de surcroît, un conquis qui résiste à sa conquête. Une résistance qu’on a appelée bien improprement une survivance. Parce que de 70 000 que nous étions en 1760, nous sommes passés à 6 000 000 deux cents ans plus tard (et ce, sans compter la diaspora)! Parce que de petite colonie ruinée, nous sommes parvenus à développer une société respectable qui savait fonder ou ériger, villes, cathédrales, universités, hôpitaux, collèges et couvents, industries aussi, une société originale, française et catholique à notre image, et qui poursuivait un développement extraordinaire compte tenu des obstacles naturels et d’un contexte politique souvent très hostile. Une société qui avait su se donner un drapeau et à laquelle il ne manquait plus qu’un État véritable.
Malheureusement, plutôt que faire du Québec cet État canadien-français qui nous manque toujours, il a fallu croire naïvement que c’est en devenant «Québécois» qu’on l'obtiendrait. Mais devenir «Québécois», qu’est-ce que ça signifiait, qu’est-ce que ça signifie au point de vue identitaire? Ça signifie qu’on cesse justement de se référer au Canada français, au Canada de la Nouvelle-France, à cette nation conquise mais qui résiste, pour adopter l’identité coloniale, administrative, neutre et pluraliste, que l’Anglais a introduite afin de mieux nous posséder. Autrement dit, «Quebec», c’est le nom donné au «French Canada» par la Couronne britannique afin que son intégration à l’empire soit plus aisée et aussi pour qu’une colonisation anglaise, une anglophonie, puisse s’y établir plus facilement (le nom de Canada ne sera rétabli que lorsqu’il pourra désigner une colonie véritablement anglo-saxonne). Être Québécois, c’est donc s’avouer issus de cette colonisation, de cette intégration ayant suivi la Conquête, c’est intérioriser l’aliénation coloniale entretenue depuis lors pour miner notre résistance, notre différence. Au mieux, devenus Québécois «de souche», nous nous retrouvons à nouveau co-fondateurs d'un pays avec les Anglophones, et en conséquence, d'un pays qui, comme le Canada, ne pourra jamais qu’être francophone et bilingue, et non pas français.
Et c’est là que se situe l'imposture dont nous sommes les victimes, l'imposture dont le PQ se rend le premier coupable.
RCdB


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12 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    6 janvier 2013

    Le début de cette discussion est ici:
    http://www.vigile.net/Pour-en-finir-avec-les-souches

  • Lise Pelletier Répondre

    8 décembre 2010

    M.Beauchesne
    Merci pour votre réponse.
    J'aurai une question là-dessus à votre retour.
    Bonnes Vacances
    Lise Pelletier

  • Archives de Vigile Répondre

    7 décembre 2010

    Aussi bien vous répondre tout de suite. C’est vrai que le fleuve avantage Montréal particulièrement depuis qu’il est balisé et dragué, mais c’est un avantage pour ceux qui occupent et contrôlent la ville. Or, vous le savez, après 40 ans de québécitude, les Canadiens-Français sont maintenant minoritaires sur l’île (du jamais vu depuis les années 1860!) et on constate même une anglicisation de plusieurs parties de la banlieue. Si l’avenir du Québec passe par Montréal, il faut être bien conscient que Montréal est foncièrement bilingue et que la nature de ce bilinguisme fait en sorte que c’est le français qui occupe la deuxième place. Et ce qui m’inquiète encore davantage dans la lecture géopolitique de M. Nantel, c’est qu’elle laisse même entrevoir un reflux important des Anglophones de l’Ontario vers Montréal. Oui, Montréal pourrait alors redevenir ce qu’elle a été, une grande plaque tournante de l’Amérique anglo-saxonne, oui ce Montréal-là pourrait être le cœur, le moteur d’un Québec plus prospère, mais qu’adviendrait-il alors du français à Montréal et dans le Québec? Qu’adviendrait-il alors de notre nation? C’est en ce sens que je dis que cette géopolitique est inhumaine : elle fait tout simplement fi de nos intérêts nationaux.

  • Lise Pelletier Répondre

    7 décembre 2010

    M.Beauchesne
    Je sais que vous ne pourrez pas répondre mais juste une question..
    Concernant votre commentaire sur M.Nantel disant que la vie ne peut se réduire seulement à la géopolitique et la question nationale au fait d'être plus riche.
    Bien entendu que la question nationale est plus que cela..
    on pourra en discuter une autre fois..
    Sauf que chaque fois que je parle d'indépendance à des connaissances, on me répond toujours, oublie ça on est bien trop pauvre pour être un pays, donc l'argument de la géopolitique sur l'accès au fleuve St-Laurent a quand même son importance.
    Qu'en pensez-vous ?
    Merci
    Lise Pelletier

  • Archives de Vigile Répondre

    7 décembre 2010

    @ M. Messier
    Désolé pour ce changement de tribune. Je constate donc que pour vous, «Québécois» fait toujours référence aux «de souche», alors que pour moi ce n'est plus le cas. L'équivoque entretenue sur le sujet par le PQ depuis toujours, aurait à mon sens masqué l'évolution d'une québécitude devenue légalement et institutionnellement multiculturelle et bilingue (bien qu’encore majoritairement francophone). À tel point que la plupart des souverainistes élevés dans les nouveaux canons de l'identité nationale, récusent carrément toute filiation avec les Canadiens-Français ou avec les «de souche». Le Collectif Identité québécoise est très clair là-dessus, le RRQ traite les Canadiens-Français de collabos, et même déjà, il y a 10 ans, c'est avant tout son nationalisme canadien-français que des jeunes péquistes reprochaient publiquement à M. Michaud (le texte est sur Vigile http://www.vigile.net/Pour-en-finir-avec-l-affaire ). Pour eux, il est entendu que le Québec n'est surtout pas l'État national des Canadiens-Français, puisqu'il servirait quelque chose de plus grand. C'est ça, l'imposture péquiste qui me semble à la source de nos préoccupations et de nos errances actuelles.
    C'est drôle, parce qu'en y songeant, ça donne à penser que M. Michaud, un des premiers péquistes, est finalement victime de l’équivoque, de l’imposture cultivée par son parti. Il est la preuve vivante qu’en québécitude, qu'au PQ même, il est devenu de plus en plus gênant, voire inacceptable, de se référer aux Canadiens-Français. Une indépendance faite par le PQ n’y pourrait donc rien changer.
    @ Hélèna
    Vous pourriez, si ce n’est déjà fait, lire les échanges précédents. http://www.vigile.net/Pour-en-finir-avec-les-souches. En ce qui concerne le texte de M. Nantel, je suis toujours surpris du manque d’humanité des disciples de M. Sauvé, comme si la vie se résumait à une géopolitique. Si notre question nationale n’avait été que d’être plus riches, il y a longtemps que nous nous serions assimilés (Rappelez-vous le choix de Maria Chapdelaine). Mais non, nous voulions former une nation distincte, catholique et française en terre d’Amérique. Et nos ancêtres ont réussi en dépit du fait que Montréal demeura longtemps le siège de l’establishment canadian. Il faudrait d’ailleurs peut-être tirer quelque enseignement de cet exploit, parce que ce que me suggère surtout la lecture de M. Nantel, c’est que les Anglophones ne feront qu’accélérer leur reconquête de Montréal, et ce, que le Québec soit indépendant ou non (parce que l’identité québécoise consensuelle, bilingue et multiculturelle, le leur permet tout à fait, les encourage même, au contraire de l’identité canadienne-française à laquelle ils ne peuvent participer à moins de le vouloir vraiment).
    @M. Bousquet
    «Canada Français» tout simplement. Ne changeons que ça et la perspective, le rapport de force, les paramètres de négociation avec le Canada ne seraient plus les mêmes. C’est la pérennité de la nation canadienne-française (ce qui m’importe ici) qui serait alors l'enjeu déclaré et non plus la souveraineté d’une simple province majoritairement francophone.
    Merci à vous et aux autres commentateurs.
    Je ne pourrai poursuivre ces échanges avant quelque temps, fin de session oblige.
    RCdB

  • Archives de Vigile Répondre

    7 décembre 2010


    @ monsieur Robert Chevalier de Beauchesne
    J'ai oublié hier un post-scriptum : j'apprécierais beaucoup que vous répondiez à nos questions, il est évident que je ne suis pas la seule qui veut en savoir plus...beaucoup plus. MERCI.

  • Lise Pelletier Répondre

    6 décembre 2010

    @gébé tremblay
    pourquoi ne veulent-ils pas qu'on parte
    allez lire le texte de M.Nantel, c'est le troisième qu'il écrit et c'est d'une logique !!!
    @M.Beauchesne
    je me rappelle quand le mot québécois a remplacé le mot canadien-français, à quel point j'étais fière qu'on s'éloigne enfin du mot Canada
    je ne rejette pas vos arguments et je compte réfléchir sur ce sujet et vous revenir
    Lise Pelletier

  • Archives de Vigile Répondre

    6 décembre 2010

    @ EM
    Je vous recommande fortement l'article de Nantel Jean-Jacques ing. /La véritable puissance du Québec, dimanche 28 novembre 2010 - C'est instructif et emballant.
    Je lis et relis l'explication de Robert Chevalier de Beauchesne sur l'importance qu'a notre nom de Canadiens-français...Nous étions Canadiens...notre pays conquis,les Anglais, les vainqueurs (!) ont usurpé notre nom de Canadiens, il nous a fallu ajouter un additif- par la force des choses, pour nous différencier car nos étions différents - nous sommes devenus Canadiens-français.
    Est-ce une façon de commencer à céder du terrain ? Est-ce une marque de fierté, pour nous distinguer, qu'on ne nous mêle pas à ces étrangers venus faire la loi chez nous et se croyant supérieurs?
    En nous donnant un jour le nom de Québécois, ceux qui l'ont décidé, avaient-ils en tête quelque chose qui rejoint le bel article de Jean-Jacques Nantel "La véritable puissance du Québec"? Avaient-ils comme lui la certitude que le Québec n'a pas besoin du Canada, c'est plutôt le Canada qui a un extrême besoin du Québec, et c'est pour cette raison qu'il reste pendu à nos basques.
    Québécois, doit-on être plus fier à porter ce nom que celui de Canadiens-français, cet additif obligé ? Ou comme conséquence de la Conquête, ces deux noms se valent-ils ?
    L'Indépendance nous donnerait ou nous redonnerait-elle notre noble nom?
    Enfin, je trouve ce sujet hyperimportant et j'aimerais bien connaître la suite, vos opinions, quoi.


  • Éric Messier Répondre

    6 décembre 2010

    À RCDB:
    Pourquoi avez-vous créé une nouvelle discussion au lieu de continuer à répliquer sur mon message original?
    - Je comprends mal votre accusation d'imposture envers le PQ.
    - "une fois l’indépendance obtenue, je ne vois vraiment pas ce qui changerait d’un point de vue national."
    EM: Un peu fort comme affirmation! Premiers effets que je vois: NOUS gérons notre immigration, NOUS gérons nos impôts, et le Canada n'a plus son mot dans la gestion de NOS affaires (comme sa Cour suprême qui détruit la Loi 101).
    - "... les même élites qui ont signé les manifestes pluralistes du printemps dernier"
    EM: Je conviens qu'il y a un risque qu'un Québec indépendant "tombe entre les mains qu'on ne veut pas"; mais je continue à dire que ce serait moins pire que la situation actuelle, car au moins ce serait entre NOUS.
    - Il y a confusion dans les concepts de nationalité distincte, citoyenneté distincte, nationalité canadienne française. Ça me rappelle encore le syndrome Elvis Gratton.
    - "c’est pour beaucoup l’espoir d’une indépendance salvatrice qui nous plonge actuellement dans un attentisme mortifère."
    EM: Je dirais plutôt l'attente d'un autre référendum qui j'espère ne viendra jamais. NOUS devons déclarer l'indépendance, pas nous faire voler à répétition NOS référendums.
    - "laissant ainsi champ libre aux lobbys, aux ambitieux et aux corruptions de toutes sortes."
    EM: La souveraineté n'est certes pas une assurance contre la corruption. Mais ce n'est pas non plus une raison pour ne pas foncer.
    - "Car contrairement à ce qu’on dit, un Canadien-Français n’est pas un colonisé, c’est un conquis"
    EM: C'est ce que je voulais dire.
    - "Parce que de petite colonie ruinée, nous sommes parvenus à développer une société respectable qui savait fonder ou ériger, villes, cathédrales, universités, hôpitaux, collèges et couvents, industries aussi, une société originale, française et catholique à notre image, et qui poursuivait un développement extraordinaire compte tenu des obstacles naturels et d’un contexte politique souvent très hostile. Une société qui avait su se donner un drapeau et à laquelle il ne manquait plus qu’un État véritable."
    EM: Très bien dit.
    - "Mais devenir Québécois, ça signifiait qu’on cesse justement de se référer au Canada français, au Canada de la Nouvelle-France. Le mot « Quebec », est le nom donné au «French Canada» par la Couronne britannique afin que son intégration à l’empire soit plus aisée. Être Québécois, c’est donc s’avouer issus de cette colonisation."
    EM: Je comprends votre argument. Mais je n'ai pas honte d'avouer que nous avons été colonisés, c'est un fait. À NOUS alors de bien définir les termes, dans l'indépendance, dans NOTRE Constitution.
    Et comme Gilles Bousquet je me demande où déboucherait votre réflexion, que proposeriez-vous?
    Ce dernier évoque une "confédération d'États souverains". J'ai longtemps espéré que le Canada en vienne là, une structure ressemblant à la Suisse, ou même aux États-Unis dont la structure, du moins dans son principe, me semble valable. Mais c'est clair que ça n'arrivera pas.
    À Gébé Tremblay
    - "Qu’est-ce qui dérange tant ceux qui refusent à la majorité canadienne-française ethnique fondatrice leur droit à un Québec libre et autonome, dans le respect de ses minorités ethniques, comme tous les autres pays normaux?"
    EM: Vous oubliez que nous sommes en guerre.
    Posez-vous la question: Pourquoi le Canada, dont tant de citoyens nous détestent et trouvent qu'on leur coûte cher, mettent tant d'énergie à nous garder dans leur fédération?
    Pourquoi ne nous mettent-ils pas à la porte?

  • Archives de Vigile Répondre

    6 décembre 2010

    Très bien exposé, Robert Chevalier de Beauchesne !
    Quel sorte de peuple ne partage pas un passé commun (souche)? Des cadavres dans une fosses commune ?!
    Tous les peuples ont droit à leur pays et autonomie. À conserver leur culture et leur héritage.
    C'est quoi cette propagande infecte qui veut nous faire admettre que le peuple québécois n'a pas ce droit ?
    Il y a des minorités ethniques dans tous les pays, est-ce que les peuples fondateurs s'effacent devant elles ? Leur abandonnent leur héritage et renient leur souche pour ne reconnaître que les souches de ces minorités qui possèdent leurs pays ailleurs ?
    Qu'est-ce qui dérange tant ceux qui refusent à la majorité canadienne-française ethnique fondatrice leur droit à un Québec libre et autonome, dans le respect de ses minorités ethniques, comme tous les autres pays normaux ?
    Quel crime ont commis les Canadiens français, fondateurs du Canada, pour qu'on leur refuse ainsi le même droit que tous les autres peuples de la Terre ?

  • Archives de Vigile Répondre

    6 décembre 2010

    Monsieur,
    J'aime assez votre propos provocateur et le partage en grande partie. Mais pas votre pessimisme. La classe politique péquiste n'est peut-être pas aussi multiculturaliste que vous le pensez. Du moins je l'espère! J'espère que faire du Québec le pays français des Amériques ne veut pas dire refaire un petit Canada! Serions nous colonisés à ce point? Mais un minimum de lucidité historique nous force à nous en inquiéter. Mais de là à parler d'imposture du discours péquiste, l'expression est peut-être un peu forte. Elle suggère la malhonnêteté. J'y verais plutôt l'expression d'une personnalité timorée qui hésite à s'affirmer avec fermeté.Par chance des gens comme vous existent pour travailler à la corriger.

  • Archives de Vigile Répondre

    6 décembre 2010

    Votre analyse de la situation est intéressante et méritoire mais nous vous perdons au moment de savoir ce que nous devrions faire exactement. Continuer dans la fédération actuelle en reprenant la désignation de Canadien-français ? En sortir complètement ? Comment ? Inventer une sorte de confédération d'États souverains ? Si nous formons un pays séparé, il se nommerait comment ? Le Bas-Canada ? Québec-Canada ? Le Canada-francophone ?