par André Bellon, ex-président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, président de l'Association pour une Constituante
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Face aux menaces qui pèsent sur la planète, face aux recompositions de la géopolitique mondiale, les élites françaises et plus généralement occidentales restent enfermées dans un discours qu'elles ont elles-mêmes fabriqué et correspondant à des intérêts restreints. Elles considèrent toute contestation des contraintes générées par la mondialisation ou par leur construction européenne comme un délit de blasphème.
Notre pays affronte une crise exceptionnelle : son gouvernement a perdu toute autonomie d'action et justifie comme inévitables des politiques aux conséquences économiques et sociales catastrophiques ; le peuple est parallèlement privé de son pouvoir politique par la remise en cause continue des instruments normaux de la démocratie.
Une telle situation pourrait sembler insoluble et conduire au fatalisme, à des contestations violentes ou à des dérives extrémistes. Il existe cependant une solution pacifique : l'élection d'une Assemblée constituante pour en finir, sous le contrôle du suffrage universel, avec des institutions de plus en plus hors-sol et refonder la vie politique sur les enjeux de fond qui préoccupent les Français.
Le décalage entre électeurs et élus est en effet devenu une source grave de tensions dans notre pays. Le 29 mai 2005, avec une participation d'environ 70 %, 55 % des électeurs ont rejeté le traité constitutionnel européen. Les élites, toutes tendances confondues, ont méprisé ce vote et font passer en force un traité jumeau, dit de Lisbonne. En septembre-octobre 2010, des millions de citoyens ont manifesté contre une réforme des retraites. La réforme fut tout de même adoptée par le Parlement sur injonction présidentielle.
Si le vote est l'attribut indispensable de la démocratie, celle-ci ne saurait se résumer à cela. Elle doit permettre l'expression des enjeux politiques et sociaux fondamentaux. Dire que, parce qu'il est élu, le président de la République a tout pouvoir, apparente plus le régime à une monarchie qu'à une République. Lorsque les principaux partis sont d'accord sur l'essentiel, en particulier en matière économique, lorsque les directives de Bruxelles priment sur la loi nationale, la formule de "gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple " employée dans l'actuelle Constitution apparaît comme une agression et un mépris.
Si le peuple, souverain théorique, ne peut exprimer et voir appliquée sa volonté ni par les urnes ni par des manifestations pacifiques, alors comment ? Par le désespoir ? La violence ? Il ne faut pas s'étonner de la montée de l'abstention - 60 % aux élections européennes, 55 % aux cantonales - ou de la désaffection vis-à-vis des grands partis dont le 21 avril 2002 a été un symbole si fort. Il ne faudra pas non plus s'étonner que la situation ne fasse que se dégrader dans les mois et années à venir.
Les institutions et le jeu des partis ne permettent plus de représenter la réalité de la société ni de répondre aux défis d'un monde en transformation, et c'est aussi de ce fossé entre électeurs et élus que profite le Front national. Le pays a besoin d'institutions reconnues comme légitimes par les citoyens, de couches moyennes vivaces.
Certains tentent de réformer le système institutionnel de l'intérieur, en lançant une énième rénovation ou en cherchant le candidat (centriste, écologiste, gauche non PS, gaulliste...) idéal pour l'élection présidentielle. Si ces tentatives sont respectables, elles sous-estiment ce que l'expérience des trente dernières années a révélé : les logiques institutionnelles, les jeux partisans et la nécessité des alliances les vouent presque sûrement à la marginalité.
Certains cherchent à résoudre la quadrature du cercle en appelant à une Constituante européenne, manière de faire avaliser la prééminence de l'Union par la récupération du terme au bénéfice d'un mythique peuple européen ; d'autres demandent une VIe République. Ces propositions font l'impasse sur une évidence : pour recréer une dynamique démocratique, les institutions ne peuvent être octroyées ; la reconstruction institutionnelle doit émaner du seul acteur politique reconnu et légitime : le peuple français.
Seule une Assemblée constituante élue au suffrage universel direct en France peut répondre à cette exigence fondamentale, comme ce fut le cas lors de moments-clés de notre histoire où les élites avaient failli (1789, 1848, 1946). Facteur de repolitisation, elle revitalisera une société anesthésiée par les faux débats et la course obscène au coup médiatique et à l'intérêt personnel dont les conseillers en communication de l'extrême gauche à l'extrême droite se délectent.
Aujourd'hui, la crise politique et sociale est tellement profonde que la question est surtout de savoir comment va s'opérer le changement qui s'impose. Pour tous ceux qui refusent les options violentes et qui souhaitent que la participation des citoyens à la vie politique marginalise les extrêmes, la Constituante offre une alternative rassembleuse, constructive et démocratique au découragement et au fatalisme qui se sont emparés de nombreux Français de tous bords. Elle devra définir les moyens (institutions, financement de la vie politique, participation des citoyens...) nouveaux permettant à la fois la redynamisation de la démocratie, le renouvellement des élites et la revitalisation du pays dans un monde en profonde mutation.
Article paru dans l'édition du 06.07.11
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