Lors de son discours d’intronisation à la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE), Emmanuel Macron répondra à la question : « Qu’est-ce qu’être européen ? », selon Le Parisien de ce 18 janvier. De Strasbourg, le président de la République, en pleine campagne électorale même s’il n’est toujours pas candidat, parlera une vingtaine de minutes. Il devrait balayer la souveraineté européenne, la réforme de la zone euro, les transitions écologique ou numérique. Les sondages d’opinion ne sont pas très vaillants, depuis quelques jours, à l’image du sondage Cluster17-Marianne où il apparait à 22,5 %, en recul de 0,5 point sur la vague précédente. Macron compte sur son podium européen pour redonner du souffle à une campagne qui commence à en manquer.
Quelle naïveté ! Il faut réécouter de Gaulle, le 14 décembre 1965, justement entre les deux tours de l'élection présidentielle : « Il faut prendre les choses comme elles sont et on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités, martelait le chef de l'État. Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l'Europe, l'Europe, l'Europe, mais ça n'aboutit à rien et cela ne signifie rien. » Des mots qu'on croirait destinés au Président Macron. Penser que l’Europe peut dynamiser quoi que ce soit, a fortiori une campagne présidentielle, c’est s’enfoncer le doigt dans l’œil jusqu’à l’oreille. Cet irénisme témoigne d’une méconnaissance profonde des relations entre la France et l’Europe, d’un aveuglement absolu sur le corps électoral hexagonal comme sur le bilan européen et, surtout, d’une surdité pathologique aux cris du pays. Macron voit l’Europe comme un tremplin vers l’Élysée ? Elle sera son tombeau.
Pour une très grande partie des Français, l’Europe reste en effet celle du traité européen de 2005. La ratification de cette Constitution était considérée comme une formalité par tout ce que la France et l’Europe compte de fonctionnaires et de politiciens bien nourris, acquis aux thèses du mondialisme le plus pur qui exige auparavant la constitution de grands ensembles continentaux. Rien ne s’est passé comme prévu, on s’en souvient. Pour une fois consultés, les Français ont repoussé le traité avec 54,7 % des voix, en dépit d’une campagne pro-oui acharnée. « Non merci, sans façon », ont-ils répondu dans la langue de la démocratie. Sarkozy a eu beau faire passer l’affaire en douce quelques années plus tard, les Français n’ont pas changé d’avis, bien au contraire. À bas bruit, l’Europe reste un objet structurant de la vie politique française. À droite, un Français sur trois déclare son intention de voter pour des candidats à la présidentielle en délicatesse avec Bruxelles, ceux qui se prononcent pour Marine Le Pen, Éric Zemmour ou Nicolas Dupont-Aignan. L’Europe n’est pas plus appréciée dans les rangs de la gauche radicale, et depuis longtemps. Restent dans le giron bruxellois certains partisans de Valérie Pécresse, les Verts, les maigres troupes d’Anne Hidalgo et… les soutiens d’Emmanuel Macron. Une cohorte mal assortie, brinquebalante pour un projet qui ennuie dramatiquement les Français. Si les grands médias évitent à tout prix le sujet européen (jamais d’émission en prime time, jamais de unes de presse sur les personnalités de l’Europe), ce n’est pas par opposition larvée, c’est parce que ces médias savent que l’Europe engendre des audiences et des ventes désastreuses.
Depuis le temps, les Français ont compris. Ils savent que l’Europe, créée pour soutenir le charbon et l’acier, a vidé ces deux activités du continent depuis longtemps. Que l’Europe agricole est responsable pour une très grande part de l’élimination de notre agriculture et du terrible suicide de nos agriculteurs. On pourrait ainsi allonger sans fin la liste des méfaits européens. Les myriades de fonctionnaires et de lobbyistes qui grenouillent dans les instances de l’Europe sont pour les Français soit suspects soit coupables du triste sort de notre économie. Quant à la politique, qui parmi nos compatriotes a clairement accepté la mainmise et l’invasion d’un droit européen supérieur au droit français ?
Incapable de répondre aux vrais besoins du pays – l’épisode des masques a été parlant pour les Français -, l’Europe pose depuis l’origine un grave problème démocratique et un défi de souveraineté plus grave encore. Dans sa conférence de presse, ce 18 janvier, Marine Le Pen met les pieds dans le plat : « Au fil des années, l’Union européenne cherche à évoluer vers un État unitaire centralisé à l’échelle européenne […]. L’Europe n’est plus une histoire plurimillénaire mais une construction idéologique qui cherche laborieusement à s’inventer une histoire et les attributs factices d’un État. » On ne saurait mieux dire ni plus clairement. Cette Europe qui étouffe la France sera merveilleusement incarnée par Emmanuel Macron. De quoi braquer un peu plus un peuple qu’il brutalise sans vergogne depuis près de cinq ans. Compter sur l’Europe est rarement un bon calcul, quel que soit l’enjeu. Cette fois, le pari européen de Macron a toutes les chances de s’avérer désastreux pour lui et donc, espérons-le, heureux pour la France, celle que nous aimons. Laissons le donc sauter sur sa chaise comme un cabri en disant « l'Europe, l'Europe, l'Europe ! »