Légitimité vs Légalité (2)

Quand le Canada s’emmêle dans ses règles constitutionnelles

L’illusion de la majorité

Chronique de Louis Lapointe

J’ai lu de nombreux commentaires de journalistes et d’experts constitutionnels depuis le début de la crise politique qui frappe actuellement le parlement canadien. Personne n’est d’accord. Cela ne fut pas sans me rappeler ce sombre épisode où la Cour Suprême du Canada a reconnu le droit des provinces canadiennes et du parlement fédéral d’imposer légalement au Québec une nouvelle constitution sans que son accord soit nécessaire. Les juges de la Cour Suprême ont alors décidé que la légalité permettait de faire ce que la légitimité interdisait, parce que la Québec ne jouissait pas de la majorité.

Remarquez bien, quelques années plus tard le Québec a échappé l’entente sur les accords du lac Meech même s’il jouissait de l’appui d’une majorité de provinces. Une minorité, soit deux provinces, a suffi pour défaire l’entente. On le voit bien, les règles constitutionnelles sont forgées pour toujours donner tort au Québec, qu’il jouisse de la majorité, de la légalité ou de la légitimité.

Le problème auquel fait face la gouverneure générale est exactement du même ordre que celui auquel le Canada faisait face lors du rapatriement de la constitution en 1982 et lors de l’adoption des accords constitutionnels du lac Meech en 1990. Elle doit décider qui a raison et qui a tort. Ceux qui bénéficient de la majorité, de la légalité ou de la légitimité ?

Si les conservateurs de Stephen Harper ont été légalement élus, ils sont maintenant dans l’impossibilité de faire fonctionner le parlement, ce que pourraient faire les trois autres partis. Peut-on nier cette légalité aux trois autres partis même s’ils sont majoritaires ? Oui, si les règles constitutionnelles leur donnent tort, comme elles ont donné tort au Québec, lorsqu’il jouissait de la légitimité dans un cas (1982) et de la majorité dans un autre cas (1990).

On le voit bien, ce ne sont pas les règles constitutionnelles qui permettent de trancher les litiges au Canada, ce sont d’abord les enjeux politiques du moment, même lorsque le Québec a l’illusion de faire parti de la majorité comme ce fut le cas lors de la célèbre nuit des longs couteaux, cette nuit là il a perdu son droit de véto.
Jusqu’à ce jour, le camp du Québec a toujours perdu parce qu’il ne bénéficiait pas des appuis politiques prépondérants au sein du Canada. Que la coalition gagne ou perde la présente bataille, une chose est sûre, le Québec sera toujours politiquement perdant, c’est la seule règle qui prime au Canada. Les règles constitutionnelles ne seront jamais d’aucune utilité au Québec, car elles seront toujours interprétées au fil d’arrivée comme étant défavorables au Québec, la Cour Suprême étant un tribunal politique en matière constitutionnelle lorsqu’il s’agit de décider de l’avenir du Québec. Voilà la seule logique canadienne.

Les règles constitutionnelles sont une supercherie. Quelle que soit la situation, elles seront toujours interprétées pour donner tort au Québec, qu’il jouisse de la légitimité, de l’appui de la majorité ou même de la légalité. Il y aura toujours une règle constitutionnelle pour rendre illégal ce qui est légal si cela est dans l’intérêt politique du Canada, quitte à inventer de nouvelles règles, une spécialité de la Cour Suprême du Canada !

Si les règles constitutionnelles ne sont d’aucune utilité, même lorsque le Québec jouit de la majorité ou de la légitimité, que faut-il en conclure ? Que la seule façon d’avoir raison dans un système où le Québec est toujours perdant même lorsqu’il a raison, c’est qu’il invente ses propres règles qui lui donneront raison même lorsque le Canada lui donnera tort. Mieux encore, qu’il quitte tout simplement la fédération canadienne !

Louis Lapointe

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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