Quand les Québécois s’emmêlent avec leurs chefs

Chronique de Louis Lapointe


Si j’étais psychologue, à la vitesse où les Québécois choisissent et
rejettent les chefs, je dirais qu’ils sont présentement à la recherche
d’une identité politique. Tour à tour, depuis quelques années, chacun des
chefs a connu des hausses et des baisses soudaines dans la faveur
populaire. Il y a trois ans, l’acharnement des adversaires d’André
Boisclair, qui avaient révélé quelques-uns de ses squelettes, avait eu pour
effet d'augmenter sa popularité. Il y a quatorze mois, c’était Mario Dumont
qui rebondissait à l'élection, alors qu’on le tenait pour mort six mois
plus tôt. Il y a onze mois, c’était Pauline Marois qui grimpait dans les
sondages, sa venue en politique lui donnant un important avantage sur ses
adversaires. Aujourd’hui, c’est l’immobilisme de Jean Charest qui en fait
le chef le plus populaire.
Avouez qu’avec une telle volatilité de l’opinion, on ne peut certainement
pas se fier aux sondages pour donner un gagnant aux prochaines élections.
Si on a pu conclure péremptoirement à la mort de Jean Charest, du PQ ou de
l’ADQ depuis trois ans, on doit certainement se questionner sur la vraie
nature de l’opinion des Québécois à l’égard des partis et de leurs chefs.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ont beaucoup joué au yoyo en
cette matière.
Si les Québécois changent aussi souvent et rapidement d’opinions, c’est
peut-être parce qu’ils ne s’identifient pas totalement à aucune de ces
formations politiques. Ils les essaient tour à tour, comme on essaie des
voitures avant d’en adopter une. Tenant compte de ces observations,
conclure qu’ils ont déjà adopté le PLQ de Jean Charest pour former le
prochain gouvernement est pour le moins audacieux. À cet égard, les
dernières élections partielles nous ont d’abord révélé que les Québécois
avaient rejeté l’ADQ, mais ne nous renseignent pas sur leur choix entre le
PQ de Pauline Marois et le PLQ de Jean Charest. Quoi qu’en disent les
sondeurs, l’opinion des Québécois est trop volatile pour que leurs votes
puissent déjà cristalliser au sein d’une ou l’autre de ces formations
politiques.
Si on comprend pourquoi les Québécois ont pu s’identifier à Mario Dumont
ou à Pauline Marois, deux fortes personnalités, leur amour pour Jean
Charest demeure cependant une énigme. Comment peut-on s’identifier à un
être aussi informe dont on peine à saisir la véritable personnalité tant il
ne semble jamais clairement s’affirmer? Ainsi, le dernier épisode du 400e
anniversaire de la fondation de Québec nous l’a révélé comme étant un
véritable paillasson sans aucun amour propre. Comme modèle d’inertie, on ne
peut faire mieux. Même Robert Bourassa qui était passé maître dans l’art de
temporiser avait plus d’orgueil que ça.
Peut-on se fier à ce que les Québécois nous disent présentement dans les
sondages pour conclure qu’ils ne veulent plus bouger ou tout simplement
interpréter qu’ils ne bougent pas parce qu’ils réfléchissent à leur
prochain choix? Quelles que soient les raisons de cet attentisme, plusieurs
signes nous dévoilent déjà ce qu’ils ne souhaitent pas de leur prochain
gouvernement.
La quasi défaite de Jean Charest aux élections de mars 2007 nous a indiqué
qu’ils ne voulaient plus d’un gouvernement qui les mettait devant le fait
accompli de décisions prises sans consultation; ils n’ont pas oublié les
fusions et les défusions municipales, le même genre de jugement qu’ils
avaient porté envers le PQ en 2003 ; l’actuelle chute de l’ADQ montre
également qu’ils ne veulent surtout pas d’un gouvernement formé
d’incompétents ; si la cuisante défaite du PQ aux dernières élections
provinciales était celle d’André Boisclair, ils s’attendent maintenant à ce
que le PQ ait des chefs plus charismatiques qui ont des idées et qui les
défendent, ils n’aiment pas la langue de bois.
Si les Québécois n’aiment pas les incompétents, la langue de bois et ceux
qui ne les écoutent pas, peut-on conclure automatiquement qu’ils aiment la
compétence, la sincérité et l’écoute de leurs gouvernants? Ces quelques
indices devraient, à tout le moins, servir de guide aux principaux partis
dans leur lutte pour conquérir le pouvoir.
La compétence
Sans nul doute, le PQ a la compétence requise, un test que le PLQ a
lamentablement échoué en 2007, alors que l’ADQ en est l’antithèse.
L’écoute
Au chapitre de l’écoute, Boisclair ne connectait tout simplement pas avec
la population aux dernières élections. C’est d’ailleurs le manque flagrant
d’écoute qui a fait perdre le pouvoir au PQ en 2003. Quant à Jean Charest,
il est passé à deux doigts d’être battu aux élections du 26 mars 2007 parce
qu’il avait fait la sourde oreille aux doléances des Québécois pendant
quatre ans. Alors que plusieurs Québécois pensaient que Mario Dumont les
écoutait, ils ont récemment découvert qu’il n’écoutait que lui-même. Cette
fois-ci, parce qu’elle projette l’image d’une bonne mère de famille et en
raison des évidentes déficiences de ses adversaires, Madame Marois pourrait
bien gagner par défaut au chapitre de l’écoute. Toutefois, avouons qu’il
est bien difficile de savoir ce que veulent réellement les Québécois par
les temps qui courent! C’est peut-être le fait que personne ne leur propose
rien d’intéressant !
La sincérité
Le PQ doit faire preuve de plus de sincérité au sujet de l’indépendance
du Québec. Les Québécois ne le rééliront pas tant qu’il restera assis entre
deux chaises. À moins qu’ils aient tout simplement rejeté le projet
indépendantiste, rien de moins sûr, voilà pourquoi plusieurs d’entre eux se
sont déjà tournés vers l’ADQ qui était clairement autonomiste aux dernières
élections; voilà également pourquoi ils vont actuellement vers le PLQ qui
est ouvertement fédéraliste.
Les Québécois ne sont pas dupes, ils voient bien que l’ajournement du
référendum ne fait qu’ajouter à l’ambiguïté. Toutefois, qu’on ne se trompe
pas, les Québécois savent bien que, par le passé, le PQ a été le seul parti
politique au Québec à leur offrir une police d’assurance contre le
fédéralisme centralisateur canadien et lorsque le PQ cherche à masquer son
option, ils n’aiment pas ça parce qu’ils ont l’impression de perdre la
possibilité de recourir à l’indépendance si des évènements de l’ordre de
ceux qui se sont déroulés en 1982 et 1990 se représentaient à nouveau. Pour
que l’épouvantail ait un effet auprès des adversaires, il faut qu’ils le
voient ! Or, à force de cacher l’option, son existence risque d’être
oubliée.
C’est bien connu, les Québécois aiment les polices d’assurance, et
l’indépendance est la meilleure garantie que l’on puisse s’offrir et offrir
à nos enfants contre le triomphalisme canadien. Ça se dit bien avant,
pendant et après une campagne électorale, et les exemples d’abus sont
tellement nombreux, qu’ils risquent d’avoir un puissant effet pédagogique
sur l’électorat, c’est ça la sincérité !
Dans cette perspective, pourquoi le PQ ne propose-t-il pas clairement
l’idée de l’élection référendaire comme le suggère actuellement le Parti
Indépendantiste? Ça ne serait pas la première fois qu’un parti vole les
meilleures idées de ses adversaires en y retranchant les principaux
défauts. Un vote pour le PQ serait un vote pour l’indépendance, point à la
ligne. S’il y a plus de 50% des Québécois qui accordent leurs appuis à des
partis ouvertement indépendantistes, le processus d’accès à l’indépendance
serait enclenché.
Compétence, écoute et sincérité ?
Le PQ a la compétence. Madame Marois a eu la chance de ne pas échouer au
test de l’écoute comme cela est arrivé à ses deux adversaires. Il ne lui
manque plus qu’un seul ingrédient, la sincérité. Les Québécois n’attendent
plus que PQ se branche sur sa véritable nature: indépendantiste ou
autonomiste ?
Louis Lapointe
Brossard
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    1 mars 2012

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  • Archives de Vigile Répondre

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  • Archives de Vigile Répondre

    18 mai 2008

    Je vous propose une démarche toute simple, M. Lapointe pour avoir une réponse à votre questionnement concernant la sincérité de Mme Marois et du Parti québécois sous sa gouverne.
    1 - Lisez attentivement le chapitre 1 du programme officiel du Parti québécois que vous trouverez sur le site du Parti québécois. Vous allez vous rendre compte rapidement que ce programme officiel voté lors du congrès de juin 2005 stipule que l'objectif premier du parti est "de réaliser la souveraineté du Québec" et que l'enjeu est de "proposer (aux québécois) un projet de pays", lors de l'élection, avec un cadre financier d'un Québec souverain, d'en faire le thème de l'élection et de tenir un référendum dès que possible dans le premier mandat. CELA C'EST LE PROGRAMME OFFICIEL DU PARTI QUÉBÉCOIS.
    2 - Lisez ensuite la proposition sur la souveraineté qui a été adoptée, sous la gouverne de Mme Marois, par le Conseil National de mars 2008. Cette proposition est accessible également sur le site du Parti québécois, dans la section "documents". Vous allez constater rapidement que l'objectif premier du Parti québécois n'est plus de "réaliser la souveraineté du Québec", mais de faire "progresser le Québec, en attendant son accession au statut de pays". Combien de temps? On ne le sait pas.
    Vous allez réaliser ensuite que l'enjeu n'est plus de "proposer un projet de pays" à l'électorat, mais de poser des gestes de gouvernance dit "nationale" alors que tous ces gestes sont des gestes qui peuvent s'accomplir à l'intérieur de la constitution canadienne actuelle. Ce sont donc des gestes de gouvernance provinciale.
    Vous allez réaliser enfin que c'est toute l'obligation référendaire qui a disparu et non pas seulement son échéancier. Comme le PQ est encore référendiste, c'est la souveraineté qui disparait, ce qui est conforme à l'abolition de l'objectif premier, qui est disparu lui aussi.
    Pour le reste, c'est la souveraineté fantasme qu'on garde en toile de fond pour conserver une partie de sa base militante, particulièrement les souverainistes mous à la Gilles Bousquet.
    3 - En terminant, allez vérifier les articles 92, 93 et 106 a) et c) des Statuts du Parti québécois, qui sont à la fin du programme officiel. Vous allez vous rendre compte rapidement que le conseil national n'a aucun pouvoir et aucune juridiction pour modifier le programme officiel du Parti québécois. Tout au plus, peut-il le compléter ou le préciser.
    Donc toute la proposition votée lors du conseil national de mars 2008 est illégale en droit interne du parti parce que contraire aux statuts.
    Ceci signifie qu'il y a, à l'heure actuelle, 2 textes contradictoires sur lesquels est basée l'action politique du PQ : le programme officiel qui est en vigueur tant qu'il n'a pas été modifié par un autre congrès et la proposition adoptée par le conseil national qu'on tente faussement de nous représenter comme le programme officiel du Parti québécois.
    Le Parti québécois est donc devenu sous Pauline Marois, un parti schizophrène, écartelé entre un projet de pays qu'il ne veut pas appliquer et une souveraineté fantasme qu'il veut garder en toile de fond pour conserver une partie de sa clientèle.
    Ceux et celles qui, comme moi, réclament le respect du programme officiel et des statuts sont considérés comme des parias, des dissidents et des fauteurs de troubles.
    Voilà vous avez votre réponse et bien honnêtement, avec ce qui se passe, je ne vois pas le jour où ce parti, sous la gouverne de Mme Marois va tenir une élection référendaire.
    Pour cela, il faudra changer de chef. Cela se produira sans doute lorsque Mme Marois aura perdu la prochaine élection aux mains du PLQ majoritaire.
    En passant, je vous ferai remarquer que c'est la première fois depuis la fondation de ce parti, il y a près de 40 ans, que disparait de son programme son objectif premier qui est de "réaliser la souveraineté du Québec". Même sous Pierre Marc Johnson, avec sa doctrine de l'affirmation nationale, cet objectif était demeurer intact.
    Donc si les partisans de Mme Marois veulent nous faire croire qu'actuellement, ils veulent réaliser la souveraineté du Québec, ce n'est pas vrai. Tout au plus peuvent-ils prétendre qu'ils veulent "faire progresser le Québec" - ce qui n'a rien de très original - "en attendant son accession au statut de pays".
    En attendant, on verse dans la souveraineté fantasme, dans la souveraineté virtuelle, dans la souveraineté blabla.
    Comment appele-t-on des gens qui se comportent de la sorte? Je vous laisse le choix des épithètes.
    Pierre Cloutier

  • Archives de Vigile Répondre

    15 mai 2008

    Vous concluez : «Les Québécois n’attendent plus que PQ se branche sur sa véritable nature : indépendantiste ou autonomiste ?»
    Est-ce que vous avez lu dans la section FORUM de La Presse d'aujourd'hui, la lettre de Mme Marois, en réponse au livre de M. Alain Dubuc intitulée : PLUS QUE JAMAIS L'INDÉPENDANCE dont voici un extrait : Le vrai changement politique pour le Québec sera celui qui lui permettra d'être libre et souverain.
    Me semble que c'est assez clair mais ça ne veut pas dire que, parce qu'elle désire ça, que les Québécois vont la suivre, même si elle en parlerait jour et nuit.
    Le PQ peut bien promouvoir la souveraineté du Québec mais, en attendant que les Québécois se décident, est-ce qu'elle peut poser des gestes d'autonomie ?
    Ses prédécesseurs ont tenté, contre mauvaise fortune, le beau risque ou l'affirmation nationale mais les péquistes l'ont pris comme des trahisons de leurs chefs.(ils sont forts sur la paranoïa).